Revue de réflexion politique et religieuse.

L’université fran­çaise existe-t-elle encore ?

Article publié le 3 Avr 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’ins­ti­tu­tion uni­ver­si­taire a été tra­ver­sée, depuis une ving­taine d’années, par des modi­fi­ca­tions impor­tantes issues pour l’essentiel de réformes qui ont été déter­mi­nées sans for­cé­ment prendre en compte la diver­si­té des ins­ti­tu­tions d’enseignement supé­rieur et la spé­ci­fi­ci­té, en leur sein, de l’Université. En France, ce mou­ve­ment s’est très for­te­ment accé­lé­ré depuis 2007 et l’adoption de la loi rela­tive aux liber­tés et res­pon­sa­bi­li­tés des uni­ver­si­tés, qui a concré­ti­sé une double trans­for­ma­tion de l’université, carac­té­ri­sée par l’accroissement de sa bureau­cra­ti­sa­tion et sa sou­mis­sion aux exi­gences qui régissent désor­mais la ges­tion publique, dont l’impératif de confor­mi­té à des objec­tifs chif­frés semble deve­nir le seul hori­zon intel­lec­tuel. Maître de confé­rences en science poli­tique, spé­cia­liste de théo­rie poli­tique, Arnauld Leclerc observe depuis de longues années l’évolution du modèle uni­ver­si­taire fran­çais, au sein de ce qui se veut désor­mais consti­tuer un espace euro­péen de l’enseignement supé­rieur.

Catho­li­ca — L’université est clas­si­que­ment pré­sen­tée comme un lieu de pro­duc­tion et de trans­mis­sion du savoir ; son évo­lu­tion récente tend à la trans­for­mer en appa­reil bureau­cra­tique pro­dui­sant des publi­ca­tions et des diplômes, dont l’objectif prin­ci­pal est de figu­rer en rang hono­rable dans divers clas­se­ments : cette évo­lu­tion, qui devient aujourd’hui très visible, est-elle récente ?

Arnauld Leclerc – Le modèle d’université que nous avons en tête est celui de Hum­boldt qui domi­na en Alle­magne depuis le début du XIXe siècle : il faut d’abord créer un savoir avant de le trans­mettre, si bien que la recherche et l’enseignement doivent être étroi­te­ment asso­ciés. Il n’a jamais vrai­ment exis­té en France. Napo­léon créa sur­tout des grandes écoles d’ingénieurs et l’on concé­da une uni­ver­si­té impé­riale unique admi­nis­trée d’en haut sur­tout pour for­mer des pro­fes­seurs. Même la refon­da­tion par la IIIe Répu­blique se bor­na à ins­ti­tu­tion­na­li­ser cette bipar­ti­tion du sys­tème fran­çais doté de ce pilo­tage cen­tra­li­sé des uni­ver­si­tés.
Certes la culture « scien­tiste » des pères fon­da­teurs de la Répu­blique favo­ri­sa l’éclosion d’une « Répu­blique des Pro­fes­seurs » et une impor­tante pro­mo­tion de la science mais il ne faut pas oublier que l’objectif final était double : concur­ren­cer le rival alle­mand qui avait mani­fes­té sa supé­rio­ri­té scien­ti­fique en 1870 et confé­rer à la Répu­blique un pres­tige et une élite intel­lec­tuelle. Avec la Deuxième Guerre mon­diale, cette orien­ta­tion fut remise en cause. Dès 1939 et plus encore en 1945, la créa­tion du CNRS visait à ten­ter de confis­quer la recherche en la sor­tant de l’Université au pro­fit d’un organe natio­nal externe. Fina­le­ment, on revint vers une solu­tion hybride (recherche par­tiel­le­ment mixte uni­ver­si­tés-CNRS) à par­tir de 1966. Au même moment, la mas­si­fi­ca­tion de l’enseignement supé­rieur intro­dui­sit une plus grande pola­ri­sa­tion sur la trans­mis­sion du savoir au sein des uni­ver­si­tés. C’est le début d’un pro­ces­sus de démul­ti­pli­ca­tion des mis­sions de l’Université que l’on charge de s’ouvrir sur la socié­té, d’accompagner ses étu­diants, de par­ti­ci­per plus inten­si­ve­ment au débat public, de contri­buer au déve­lop­pe­ment éco­no­mique des ter­ri­toires, de déve­lop­per les coopé­ra­tions inter­na­tio­nales et fina­le­ment de gérer l’insertion pro­fes­sion­nelle de ses étu­diants. Les tâches se sont empi­lées sans véri­table prio­ri­té et même sans véri­ta­ble­ment se poser trop de ques­tions. Per­sonne n’a alors per­çu les effets en chaîne sur la nature des orga­ni­sa­tions et des métiers à l’intérieur de l’Université. […]

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