Revue de réflexion politique et religieuse.

Lec­ture : Uto­pie ou le triomphe de la fini­tude

Article publié le 10 Avr 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

LHis­toire de l’utopie pla­né­taire d’Armand Mat­te­lart consti­tue une somme. Son sous-titre, de la cité pro­phé­tique à la socié­té glo­bale, indique immé­dia­te­ment dans quelle démarche se situe l’auteur et, par avance, la cohé­rence par­fois éton­nante qu’il a su don­ner à l’histoire du mythe uto­pien. C’est qu’il ne fait pas sim­ple­ment oeuvre d’érudition : toute sa démons­tra­tion porte à recon­naître dans la socié­té tech­no­glo­ba­liste — post­mo­derne — un accom­plis­se­ment de la cité pro­phé­tique, dont le sens rétros­pec­tif devient alors, pour le chré­tien, assez clai­re­ment, l’ancrage de la volon­té humaine dans son auto­no­mie. A. Mat­te­lart, qui n’entend en fait nul­le­ment opé­rer une cri­tique du maté­ria­lisme mais plu­tôt celle du mar­ché comme auto-accom­plis­se­ment de l’humanité, dénonce en exergue de son ouvrage la « nature pré­da­trice du modèle pro­duc­ti­viste ». L’homogénéisation du monde à l’ère des mana­gers serait une néga­tion de la diver­si­té humaine, donc une forme de coer­ci­tion illé­gi­time et contre-nature — l’approfondissement d’une défi­ni­tion d’une éven­tuelle nature humaine ne sem­blant cepen­dant pas res­sor­tir des pré­oc­cu­pa­tions de l’essayiste.
C’est de la décou­verte du nou­veau monde que (re)surgissent les aspi­ra­tions à un autre monde. Les grands voyages et la colo­ni­sa­tion des Amé­riques ébranlent les repré­sen­ta­tions de l’univers d’une chré­tien­té qui se sécu­la­rise pro­gres­si­ve­ment, à l’image de son droit. La pos­si­bi­li­té même d’un mun­dus novus refa­çonne l’imaginaire euro­péen et per­met désor­mais de pen­ser une refon­da­tion du monde. Cette exten­sion (tem­po­raire) des limites de la géo­gra­phie sus­cite une espé­rance nou­velle dans les choses du monde, espé­rance entre­te­nue et avi­vée par l’enrichissement qu’elle per­met. L’Amérique du Nord reste jusqu’à ce jour au centre des uto­pismes : à la fois son pré­texte, son moteur et son pilote, une sorte de cata­ly­seur qui donne maté­ria­li­té à la vision, au concept.
L’ailleurs, ou le nulle-part, de l’Uto­pie de Tho­mas More cède rapi­de­ment la place à un futur. Les pro­phètes du monde à venir donnent aux len­de­mains la forme et les traits de leurs pré­fé­rences et de leurs convic­tions. La paix per­pé­tuelle en trame de fond, ces futu­ro­logues bâtissent les plans de la cos­mo­po­lis. Si pour Adam Smith la liber­té mar­chande est garante de la paix et de la pros­pé­ri­té, c’est pour Condor­cet une Répu­blique uni­ver­selle des sciences qui se des­sine à l’horizon paci­fié de l’humanité.
Au siècle sui­vant, avec Saint-Simon puis Comte, le tech­ni­cisme et le posi­ti­visme érigent en (contre)religions la foi dans un pro­grès humain sans borne. Les roman­ciers ne sont pas en reste, qui de Vic­tor Hugo à Jules Verne ou Edward Bel­la­my décrivent le monde à venir, fruit d’une maî­trise tou­jours plus pous­sée de la matière. Le rêve d’Icare est alors en passe de prendre forme, mar­quant « l’entrée en jouis­sance du globe » (p. 169). […]

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