[1]Docteur en philosophie et en droit, Paul Dubouchet a été maître de conférences en droit public à l’Université des Antilles et de la Guyane puis à l’Université de Corse. Ses écrits ont d’abord porté sur l’histoire des idées politiques, la théorie et la philosophie du droit avant d’aborder plus spécifiquement la pensée de René Girard. L’objet de son dernier ouvrage[1] [2] n’apparaît pas clairement de prime abord : si le sous-titre laisse entendre qu’il s’agit d’un hommage à Michel Villey, le titre évoque une analyse de la pensée d’Aristote et de Saint Thomas dans l’histoire de la pensée juridique. L’introduction très brève (2 pages) ne clarifie pas tellement le propos. L’auteur y indique vouloir donner un aperçu de l’« œuvre immense » de Michel Villey à travers une relecture de son dernier ouvrage (Questions de Saint Thomas sur le droit et la politique, Puf, 1987), complétée par quelques articles choisis. À ce stade de la lecture, on ne voit pas pourquoi l’auteur limite son propos à ces quelques textes au lieu de procéder à une analyse complète de la pensée de Michel Villey. Et l’on ne saisit pas le rapport direct avec la pensée d’Aristote et de saint Thomas à laquelle se réfère le titre de l’ouvrage. La suite de la lecture ne clarifie pas tellement le propos. On alterne entre les analyses d’histoire de la pensée juridique propres à l’auteur, la paraphrase des textes de Michel Villey, de saint Thomas ou d’Aristote et la mise en relation de ceux-ci avec une grande variété de philosophes.
En réalité, il faut atteindre les dernières pages de la conclusion (très brève elle aussi) pour véritablement saisir l’ambition de l’auteur : en s’appuyant sur l’analyse que Michel Villey a fait d’Aristote et de saint Thomas, il entreprend de revisiter l’histoire de la pensée juridique pour départager les philosophes qui « se situent » du côté de l’analytique, et ceux qui « penchent plutôt vers la dialectique » (p. 119) : « On peut observer que, pour la Seconde scolastique, Vitoria est plutôt dialecticien, et Suarez logicien ; pour le XVIIe siècle, les Lumières sont logiciennes, mais Montesquieu peut être dialecticien ; pour le XIXe siècle, l’École de l’exégèse est logicienne, tandis que l’hommage rendu par Jhering à saint Thomas le placerait du côté des dialecticiens ; enfin, pour le XXe siècle […] les artisans du retour au positivisme sont évidemment logiciens, tandis que les protagonistes d’un retour à Aristote et saint Thomas […] sont bien sûr dialecticiens » (ibid.).
Paul Dubouchet entend ainsi prolonger la réflexion lancée dans deux ouvrages précédents en établissant un parallèle entre la pensée de Michel Villey et celle de René Girard. Il considère en effet que la distinction entre les logiciens et les dialecticiens correspond à celle que René Girard effectue entre les penseurs qui procèdent à « la dissimulation du meurtre fondateur (l’analytique dans les sciences humaines et la philosophie) et à sa révélation (la dialectique) » (p. 119) On peut regretter que cette indication n’ait pas été donnée sinon dans les intitulés, du moins dans l’introduction de l’ouvrage, ce qui aurait permis de clarifier son objet.
Au demeurant, la démonstration de l’auteur n’est pas convaincante, ne serait-ce qu’en raison de la brièveté des analyses : il apparaît téméraire de revisiter toute l’histoire de la pensée juridique en 122 pages tout en rendant hommage à Michel Villey dont les écrits sur la question sont incomparablement plus volumineux. Et le classement opéré par l’auteur entre les héritiers d’Aristote et de saint Thomas et ceux qui s’en détachent apparaît plus que contestable, qui plus est au regard des analyses de Michel Villey. En effet, contrairement à Paul Dubouchet, Michel Villey n’avait pas considéré Pascal, Montaigne, Montesquieu, Jhering, Duguit ou Hauriou comme des héritiers de l’« aristotélo-thomisme ». Et tout en reconnaissant les mérites de la nouvelle rhétorique de Perelman, il avait pris ses distances avec celle-ci en raison de son relativisme, ce que l’auteur évoque dans l’introduction (p. 18) mais ne développe pas dans ses analyses (pp. 89–105). Il écrit au contraire que Michel Villey « approuve entièrement » Perelman, ce qui est faux. Pareillement, le rapprochement opéré entre la pensée de Villey (et de saint Thomas) et celle de Hayek (pp. 105–116) apparaît tout aussi contestable. Ce livre relève donc plus de l’instrumentalisation que de l’hommage à la pensée de Michel Villey. Il n’en demeure pas moins que les nombreuses références bibliographiques mobilisées par l’auteur (notamment Jean-Louis Gardies) pour étayer son propos apportent un éclairage intéressant pour resituer celle-ci dans son contexte.
[1] [3] Paul Dubouchet, Michel Villey : Aristote et Saint Thomas dans l’histoire de la pensée juridique
Hommage à Michel Villey géant et rebelle, L’Harmattan, sept. 2024, 122 p., 15 €