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Les réponses non pro­por­tion­nées d’une théo­lo­gie morale « pro­por­tion­nelle »


Le texte qui suit est la tra­duc­tion d’un cha­pitre du livre col­lec­tif 
Mors tua vita mea, publié sous la direc­tion de Mas­si­mo Viglione (Manie­ro del Mir­to, Alba­no Laziale, 2021, 332 p.), repris ici dans notre tra­duc­tion avec l’autorisation de l’éditeur et de l’auteur. Le long sous-titre de l’ouvrage en indique l’objet pré­cis : « La fin ne jus­ti­fie pas les moyens. Sur l’illicéité morale des vac­cins qui uti­lisent les lignes cel­lu­laires de fœtus vic­times d’avortements volon­taires ».[1] [1]

Le débat sur l’utilisation de lignées cel­lu­laires pro­ve­nant d’avortements volon­taires pour tes­ter et/ou pro­duire des vac­cins (ou « pré­ten­dus vac­cins ») est deve­nu une affaire très contro­ver­sée et très dis­cu­tée, même dans les milieux catho­liques, uni­que­ment à la suite des pro­blèmes de san­té cau­sés par la pro­pa­ga­tion du Sars-Cov‑2. Jusqu’alors, le sujet était trai­té presque exclu­si­ve­ment par des experts en bioé­thique et en théo­lo­gie morale, ou trai­té dans très peu de textes magis­té­riels. Ce sont les cir­cons­tances récentes entou­rant une vac­ci­na­tion de masse inédite qui ont mis la ques­tion sous les feux de la rampe et lui ont don­né une toute nou­velle réso­nance.

Le pro­blème éthique de l’utilisation de maté­riel bio­lo­gique humain dans la recherche scien­ti­fique est ain­si appa­ru dans toute sa per­ti­nence. Les indi­ca­tions don­nées prin­ci­pa­le­ment par deux docu­ments de la Congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi (l’Instruction Digni­tas per­so­nae de 2008 et la Note sur la mora­li­té de cer­tains vac­cins anti-Covid-19 de décembre 2020) disent des choses essen­tielles sur le sujet, de manière très concise, mais cer­tai­ne­ment pas de manière exhaus­tive et sur­tout pas de manière satis­fai­sante, du moins à mon avis. Digni­tas per­so­nae en traite briè­ve­ment en deux para­graphes seule­ment, tan­dis que la Note de 2020 le fait en six très courts numé­ros. En ce qui concerne ces deux décla­ra­tions magis­té­rielles, un cer­tain nombre de docu­ments publiés par l’Académie pon­ti­fi­cale pour la vie (2005, 2017, 2020) peuvent ser­vir à mieux cadrer le pro­blème, mais ils ne consti­tuent pas eux-mêmes une source magis­té­rielle, puisqu’ils ont été émis par un orga­nisme qui n’a qu’une fonc­tion auxi­liaire d’étude et d’investigation. Je vou­drais donc m’arrêter uni­que­ment sur les deux docu­ments cités de la Congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi (CDF), en fai­sant quelques com­men­taires et en tirant quelques conclu­sions.

Mal­gré leur conti­nui­té sub­stan­tielle, cer­taines dif­fé­rences peuvent être notées entre les deux textes. Tout d’abord, sur leur degré d’autorité. Le docu­ment de 2008 est une ins­truc­tion et fait donc plus auto­ri­té que la simple note ulté­rieure et plus récente. Ce der­nier texte doit donc être com­pris à la lumière du pre­mier, pour cor­ri­ger un cer­tain dés­équi­libre. Il existe éga­le­ment une dif­fé­rence du point de vue selon lequel le pro­blème est exa­mi­né. Le texte de 2008 traite de la ques­tion dans le contexte plus large de l’utilisation de maté­riel bio­lo­gique humain pour divers types de recherche scien­ti­fique. La pro­duc­tion de vac­cins à par­tir de lignées cel­lu­laires issues d’avortements volon­taires n’est que l’un des aspects de l’utilisation pos­sible et des trai­te­ments gra­ve­ment illi­cites du maté­riel bio­lo­gique humain.

a) Digni­tas per­so­nae s’exprime sur cette ques­tion en termes res­tric­tifs et sélec­tifs. Le texte sti­pule très clai­re­ment que la pro­duc­tion arti­fi­cielle d’embryons à des fins expé­ri­men­tales est illi­cite, tout comme l’est abso­lu­ment l’utilisation de maté­riel fœtal humain pro­ve­nant d’avortements volon­taires à des fins de recherche scien­ti­fique ou dans l’industrie phar­ma­ceu­tique. Les autop­sies pra­ti­quées sur des fœtus spon­ta­né­ment avor­tés, sans le consen­te­ment des parents, sont éga­le­ment inter­dites. Là où la légis­la­tion et le sys­tème de san­té per­mettent ce type de pra­tiques gra­ve­ment immo­rales, l’Instruction pré­cise le devoir de « se dis­tan­cier des aspects iniques de ce sys­tème, afin de ne pas don­ner l’impression d’une cer­taine tolé­rance ou d’une accep­ta­tion tacite d’actions gra­ve­ment injustes », car cela « contri­bue­rait à accroître l’indifférence, voire la faveur avec laquelle ces actions sont consi­dé­rées dans cer­tains milieux médi­caux et poli­tiques » (n. 35). Notez l’utilisation du terme « sys­tème », sur lequel nous revien­drons.

Dans cette indi­ca­tion nor­ma­tive géné­rale claire du devoir de se dis­so­cier et de reje­ter ces tech­niques, devoir sur lequel nous nous éten­dons, il y a un pas­sage de très peu de lignes sur le sujet des vac­cins : « Dans ce cadre géné­ral, il existe natu­rel­le­ment des res­pon­sa­bi­li­tés dif­fé­ren­ciées et des motifs graves qui peuvent être mora­le­ment pro­por­tion­nés pour jus­ti­fier l’utilisation de ce “maté­riel bio­lo­gique”. Par exemple, face au dan­ger pour la san­té des enfants, les parents peuvent auto­ri­ser l’utilisation d’un vac­cin pour la pré­pa­ra­tion duquel on s’est ser­vi de lignées cel­lu­laires d’origine illi­cite, res­tant sauf le devoir de tous d’exprimer leur propre désac­cord à ce sujet et de deman­der que les sys­tèmes de san­té mettent à leur dis­po­si­tion d’autres types de vac­cins (ibid.).

Si le devoir de refu­ser toute com­pli­ci­té dans ces pra­tiques illi­cites est clai­re­ment énon­cé, les condi­tions excep­tion­nelles qui per­met­traient d’obtenir cer­tains résul­tats – en der­nier recours – sont assez vagues. Les expres­sions « motifs graves », ain­si que « [le] dan­ger pour la san­té des enfants », res­tent des affir­ma­tions au conte­nu indé­ter­mi­né. Il s’agit de para­mètres ouverts, dont la spé­ci­fi­ca­tion, dans des condi­tions concrètes, com­prend des variables non spé­ci­fiées et, j’ajouterais, dif­fi­ciles à spé­ci­fier. Les variables, comme on peut le devi­ner, sont liées à la fré­quence de la mala­die, à la pro­ba­bi­li­té de la contrac­ter, aux consé­quences ou au degré d’invalidité ou de léta­li­té qu’elle peut entraî­ner, au contexte sani­taire et thé­ra­peu­tique, etc. Ce qui est « grave » et ce qui est un « dan­ger pour la san­té », et dans quelle mesure, doivent être recon­nus au cas par cas et relèvent d’une appré­cia­tion émi­nem­ment médi­cale et empi­rique, qui ne relève mani­fes­te­ment pas de la com­pé­tence spé­ci­fique de l’autorité judi­ciaire. La tuber­cu­lose, par exemple, qui fut un dan­ger grave et fré­quent, très sou­vent mor­tel, en Europe au début du XXe siècle, ne semble plus l’être aujourd’hui dans les pays euro­péens, alors qu’elle conti­nue de l’être dans les régions les plus pauvres de la pla­nète. La notion de gra­vi­té et de dan­ger pour la san­té varie donc chro­no­lo­gi­que­ment et contex­tuel­le­ment. Il existe éga­le­ment une variable cultu­relle : par exemple, au XIXe siècle, mou­rir à l’âge de 50 ans était assez cou­rant et n’était pas consi­dé­ré comme par­ti­cu­liè­re­ment inha­bi­tuel ou grave. Le docu­ment ne le pré­cise pas en détail, notam­ment parce que, comme il a été dit, il n’appartient pas au Magis­tère d’entrer dans le détail de ces aspects.

b) Dans la Note de 2020, nous obser­vons quelques chan­ge­ments d’accentuation, sur les­quels nous devons nous arrê­ter. Tout d’abord, on peut noter que le devoir de se dis­so­cier et de se dis­tan­cier des aspects iniques des actions illi­cites men­tion­nées ci-des­sus est beau­coup moins men­tion­né que dans l’instruction de 2008. C’est presque en pas­sant qu’il est indi­qué que « l’utilisation licite de ces vac­cins n’implique pas et ne doit en aucun cas impli­quer une appro­ba­tion morale de l’utilisation de lignées cel­lu­laires pro­ve­nant de fœtus avor­tés » (n. 3). On peut se deman­der ce que les pieuses inten­tions des catho­liques peuvent signi­fier pour un sys­tème phar­ma­ceu­tique mon­dial qui pros­père grâce à des cen­taines de mil­lions de doses de vac­cins pro­duites en exploi­tant hon­teu­se­ment des tis­sus de fœtus avor­tés, qui, tout en se fai­sant hum­ble­ment injec­ter le vac­cin, sachant (s’ils le savent !) qu’il s’agit d’une « coopé­ra­tion maté­rielle pas­sive et loin­taine » à l’illicite, répètent en eux-mêmes (même s’ils le font !) qu’ils sont de toute façon contre l’avortement. Il est évident qu’une telle atti­tude est tota­le­ment inadé­quate pour dis­si­per à la fois l’impression d’indifférence (selon l’expression de Digni­tas per­so­nae) et l’indifférence elle-même, ain­si que l’impression d’approbation impli­cite du tra­vail immo­ral de l’industrie phar­ma­ceu­tique. En bref, les catho­liques entrent ain­si dans une situa­tion de subor­di­na­tion et d’assujettissement total à un régime abor­tif géné­ra­li­sé pro­mu à l’échelle pla­né­taire, donc à un « sys­tème ». D’autre part, le fait que le monde catho­lique soit déjà habi­tué à la léga­li­sa­tion et à la pra­tique de l’avortement et ne montre plus aucune volon­té sérieuse de com­battre ce fléau est mal­heu­reu­se­ment un phé­no­mène assez évident.

Par consé­quent, ce que nous lisons au point 4 de la note semble presque pathé­tique : « Il est donc deman­dé aux entre­prises phar­ma­ceu­tiques et aux agences gou­ver­ne­men­tales de san­té de pro­duire, d’approuver, de dis­tri­buer et de pro­po­ser des vac­cins éthi­que­ment accep­tables qui ne créent pas de pro­blèmes de conscience, ni pour les per­son­nels de san­té, ni pour ceux qui doivent être vac­ci­nés. » La requête est louable. Mais pen­sez-vous que Big Phar­ma ou les États ayant une légis­la­tion favo­rable à l’avortement écou­te­ront la demande inof­fen­sive de la CDF ? D’autant plus qu’elle vient d’affirmer que lorsqu’il n’y a pas d’alternative, rece­voir des vac­cins pro­duits de manière illi­cite est auto­ri­sé, si l’on garde une « inten­tion juste » !

c) Un autre aspect à signa­ler, dans la note de décembre 2020, est étroi­te­ment lié au pré­cé­dent et concerne l’évaluation médi­co-sani­taire de la situa­tion actuelle de large pro­pa­ga­tion du virus Sars-Cov‑2. C’est un point déci­sif ! La licéi­té de l’utilisation de vac­cins anti-Covid pro­duits de manière non éthique repose en fait sur la consta­ta­tion de la gra­vi­té de la situa­tion pan­dé­mique actuelle : « Le devoir moral d’éviter une telle coopé­ra­tion maté­rielle pas­sive n’est pas contrai­gnant s’il existe un dan­ger grave, comme la pro­pa­ga­tion autre­ment incon­trô­lable d’un grave agent patho­gène : dans le pré­sent cas, la pro­pa­ga­tion pan­dé­mique du virus SARS-CoV‑2 qui pro­voque la Covid-19. Il faut donc consi­dé­rer que, dans un tel cas, toutes les vac­ci­na­tions recon­nues comme cli­ni­que­ment sûres et effi­caces peuvent être uti­li­sées, avec la conscience cer­taine que le recours à de tels vac­cins ne signi­fie pas une coopé­ra­tion for­melle à l’avortementd’où dérivent les cel­lules avec les­quelles les vac­cins ont été pro­duits. » Après cette abso­lu­tion, il est clair que les vac­cins non éthiques ont peu de chances de créer un pro­blème, même aux consciences les plus sen­sibles. L’accoutumance et la sou­mis­sion au « sys­tème » ont en fait été réa­li­sées, mal­gré les meilleures inten­tions contraires.

Alors que Digni­tas per­so­nae par­lait des situa­tions de « grave dan­ger » pou­vant jus­ti­fier l’acceptation de vac­cins de ce genre, dans un sens géné­ral et indé­fi­ni, la Note de 2020, entrant dans le vif du sujet, éva­lue la situa­tion pan­dé­mique actuelle comme grave, jus­ti­fiant ain­si l’autorisation – dans l’instant – de tout vac­cin, même non éthique. Il est même affir­mé que sans les vac­cins, la pro­pa­ga­tion virale serait « sans cela incon­trô­lable ». Le juge­ment sur la « gra­vi­té » d’une situa­tion sani­taire et sur les méthodes pour conte­nir une épi­dé­mie, en revanche, comme nous l’avons déjà sou­li­gné, n’est pas du res­sort du Magis­tère, car il s’agit de juge­ments médi­caux que le Magis­tère, tout au plus, peut emprun­ter aux experts qui en observent les don­nées et en donnent une inter­pré­ta­tion. Il s’agit d’un juge­ment empi­rique et contin­gent, et dans cer­tains cas dis­cu­table.

En fait, il n’existe aucun consen­sus entre les experts quant à la gra­vi­té de l’agent patho­gène res­pon­sable de cette épi­dé­mie et aux mesures à prendre pour la com­battre. À titre d’exemple seule­ment, À titre de simple exemple, le recours for­mé conjoin­te­ment par deux asso­cia­tions, l’une de méde­cins et l’autre de magis­trats, auprès des auto­ri­tés ins­ti­tu­tion­nelles suprêmes de l’État ita­lien contre l’obligation de la vac­ci­na­tion anti-covi­dienne pour le per­son­nel sani­taire, pré­tend, sur la base de la lit­té­ra­ture scien­ti­fique dis­po­nible et exa­mi­née par elles, que les condi­tions de gra­vi­té requises pour lan­cer un plan de vac­ci­na­tion dans l’urgence enta­mé ces der­niers mois n’existent pas et qu’il y a d’autres moyens (trai­te­ment pré­coce à domi­cile) pour faire face de manière adé­quate à la mala­die[2] [2]. D’autres voix, nom­breuses et auto­ri­sées dans le monde scien­ti­fique, l’ont répé­té.

La note 2020 de la CDF contient donc une décla­ra­tion morale (auto­ri­ser les vac­cins non éthiques) basée sur un juge­ment de la gra­vi­té du dan­ger (éva­lua­tion médi­cale) et de l’adéquation du remède (vac­cin) qui n’est ni una­nime ni incon­tes­té. Au contraire, de nom­breux scien­ti­fiques et méde­cins se plaignent, par exemple, de la sous-esti­ma­tion des thé­ra­pies phar­ma­co­lo­giques clas­siques face à une confiance exces­sive dans la poli­tique de vac­ci­na­tion pré­ven­tive entre­prise, remet­tant en cause pré­ci­sé­ment ce que la CDF consi­dère comme acquis, à savoir que seuls les vac­cins peuvent conte­nir les ravages du virus. Il est donc clair que l’indication morale don­née dans la Note sur la licéi­té de ces vac­cins non éthiques repose sur une base assez fra­gile, et qu’une rééva­lua­tion glo­bale du pro­blème à la lumière de don­nées plus com­plètes serait néces­saire.

d) Mais dans la Note 2020, il y a aus­si une omis­sion fla­grante : l’aspect de la sécu­ri­té et de l’efficacité des nou­veaux vac­cins n’est pas consi­dé­ré, comme si cela n’avait aucune per­ti­nence dans le juge­ment moral final. Cette éva­lua­tion est lais­sée aux per­sonnes « com­pé­tentes ». Tout cela est bien beau, mais il est clair qu’en met­tant entre paren­thèses une telle ques­tion « métho­do­lo­gique », on omet un aspect essen­tiel de la ques­tion morale glo­bale rela­tive à la vac­ci­na­tion actuelle, et on donne l’impression qu’il s’agit d’un détail mineur ou négli­geable qui peut peut-être être trai­té sépa­ré­ment ou à une date ulté­rieure. Mais quand ? Lorsque la vac­ci­na­tion est ter­mi­née, il peut être trop tard. Est éga­le­ment omis l’aspect d’expérimentation de masse que repré­sente la vac­ci­na­tion actuelle, puisque les pré­su­més vac­cins en cir­cu­la­tion n’ont pas pas­sé toutes les étapes régle­men­taires requises pour l’homologation. Ain­si, sur ce non-res­pect des codes éthiques et déon­to­lo­giques dans la pra­tique actuelle de la vac­ci­na­tion anti-Covid, la CDF ne nous a rien dit, elle a renon­cé à nous gui­der.

Comme ne manquent pas les aver­tis­se­ments sérieux sur la sécu­ri­té et l’efficacité de ces vac­cins et sur le manque de clar­té de la pro­cé­dure de leur appro­ba­tion pro­vi­soire et d’urgence don­née par les orga­nismes qui en sont char­gés[3] [3], le carac­tère non éthique de la vac­ci­na­tion entre­prise repose éga­le­ment sur d’autres moti­va­tions que celles liées à l’utilisation de maté­riel bio­lo­gique humain. Le pro­blème moral des vac­cins anti-Covid n’est donc pas seule­ment lié à l’utilisation de lignées cel­lu­laires avor­tées. Pas­ser sous silence ces autres aspects ne peut que conduire à un juge­ment par­tiel, incom­plet et fina­le­ment erro­né[4] [4].

e) À ce stade, une ample dis­cus­sion s’est ouverte entre cher­cheurs pour déter­mi­ner les caté­go­ries les plus appro­priées pour inter­pré­ter mora­le­ment l’administration de vac­cins déri­vés de lignées de cel­lules fœtales issues d’avortements – coopé­ra­tion au mal (directe/indirecte, formelle/matérielle, pro­chaine) ou appro­pria­tion du mal. Mais dans les deux pers­pec­tives, rien ne change. Et, mal­gré la diver­si­té des approches her­mé­neu­tiques, celles-ci convergent dans un juge­ment final d’admissibilité de ces vac­cins pour les patients sur la base de la situa­tion pré­su­mée de « gra­vi­té » et d’absence d’alternative.

Le pro­blème est que ces dis­cus­sions, bien qu’instructives et utiles en elles-mêmes, se situent dans un hori­zon extrê­me­ment étroit et insuf­fi­sant pour gui­der la conscience dans un pro­blème aus­si com­plexe et arti­cu­lé. Cette ques­tion ne peut pas être réso­lue uni­que­ment comme une ques­tion de bioé­thique indi­vi­duelle (le citoyen indi­vi­duel face au vac­cin indi­vi­duel), car elle a des impli­ca­tions à de nom­breux autres niveaux. Si, comme nous l’avons vu, la licéi­té de cer­tains vac­cins, non éthiques en rai­son de leur ori­gine, dépend, selon le cri­tère de « pro­por­tion­na­li­té » uti­li­sé par les docu­ments magis­té­riels exa­mi­nés, de l’évaluation des cir­cons­tances (gra­vi­té de la situa­tion pan­dé­mique, degré de dan­ge­ro­si­té, absence d’autres remèdes, etc.), ces cir­cons­tances devraient être exa­mi­nées de manière exhaus­tive ou, du moins, plus large et plus appro­fon­die que ce qui a été fait. Sinon, nous ne pou­vons même pas faire des éva­lua­tions éthiques dignes de foi.

f) Il devrait main­te­nant être clair que cette vac­ci­na­tion ne sera pas une excep­tion, mais a toutes les appa­rences d’être, au moins en prin­cipe, l’inauguration d’un sys­tème per­ma­nent de vac­ci­na­tion de masse. Dès la fin du pre­mier cycle, les variantes du virus ou le mythe de la pro­phy­laxie sys­té­ma­tique afin d’éviter d’autres vagues éven­tuelles, ont été l’occasion facile d’ouvrir un nou­veau scé­na­rio : induire une vac­ci­na­tion totale et per­ma­nente. Les indi­vi­dus ne seront pas confron­tés « pour une fois » à l’équilibre « pro­por­tion­nel » entre une vac­ci­na­tion non éthique et la sau­ve­garde de la san­té dans des cir­cons­tances « graves ». Au contraire, le fait le plus remar­quable est que le concept même de « rai­sons sérieuses » a été len­te­ment modi­fié, car les attentes en matière de sécu­ri­té et de bien-être ont chan­gé. Même la défi­ni­tion du terme « pan­dé­mie » a été élar­gie par l’OMS, ce qui la rend plus faci­le­ment appli­cable. En bref, il ne s’agit plus d’un vac­cin unique (comme celui contre la rubéole ou la rou­geole). Au contraire, l’idée même d’un « état thé­ra­peu­tique » per­ma­nent pro­gresse et tend à trans­for­mer la vac­ci­na­tion d’un acte ponc­tuel et iso­lé en un « sys­tème » stable et répé­ti­tif à l’infini, au nom d’un exor­cisme radi­cal de la mort.

Dans un tel contexte, même la pro­duc­tion de vac­cins non éthiques, qui était déjà deve­nue un « sys­tème » dans les labo­ra­toires, se trans­forme en leur uti­li­sa­tion « sys­té­ma­tique » et conti­nue par la popu­la­tion. Face à ce scé­na­rio, les pré­sup­po­sés moraux énon­cés dans les docu­ments magis­té­riels sus­men­tion­nés (rela­tifs aux cir­cons­tances spé­ciales et excep­tion­nelles à appré­cier « pro­por­tion­nel­le­ment ») sont tota­le­ment inadé­quats. Ce qui pour­rait peut-être être admis comme une excep­tion dans de rares cas risque de deve­nir la règle géné­rale s’il n’y a pas de pos­si­bi­li­té de choi­sir s’il faut vac­ci­ner et quel vac­cin rece­voir.

Compte tenu de l’utilisation géné­ra­li­sée de lignées cel­lu­laires abor­tives pour la fabri­ca­tion de vac­cins par de nom­breuses grandes entre­prises phar­ma­ceu­tiques, le dilemme à résoudre peut donc être for­mu­lé comme suit : est-il mora­le­ment admis­sible de deve­nir des consom­ma­teurs per­ma­nents et « sys­té­ma­tiques » de pro­duits phar­ma­ceu­tiques liés à l’industrie de l’avortement ? L’extraordinaire carac­tère excep­tion­nel du cas unique, jusqu’ici sous-enten­due, est rem­pla­cée par une vac­ci­na­tion totale, répé­tée on ne sait com­bien de fois, qui néces­si­te­ra l’extension et la faci­li­ta­tion de l’utilisation de tis­sus fœtaux humains, avec une légis­la­tion de plus en plus per­mis­sive[5] [5].

g) Le fait que la pers­pec­tive morale de la pro­por­tion­na­li­té, telle que reflé­tée dans les textes du Magis­tère, a été dépas­sée par ce tour­nant d’époque, et est donc inadé­quate pour com­prendre et éva­luer le nou­veau phé­no­mène devant lequel et dans lequel nous nous trou­vons, est éga­le­ment confir­mé par d’autres consi­dé­ra­tions. Il est tout à fait évident, pour qui regarde l’évolution rapide des évé­ne­ments avec un mini­mum de sens cri­tique, que la cam­pagne de vac­ci­na­tion actuelle est le pré­lude à des pers­pec­tives bien dif­fé­rentes : l’avènement des cer­ti­fi­cats de vac­ci­na­tion et des visas sani­taires, au-delà des­quels se pro­file l’adoption des puces élec­tro­niques déjà en phase d’essai avan­cée. Ce sont toutes des mesures qui portent gra­ve­ment atteinte aux droits humains et civils fon­da­men­taux. L’exigence d’un pas­se­port vac­ci­nal est une forme de chan­tage, préa­lable et pré­pa­ra­toire à la vac­ci­na­tion obli­ga­toire. La pers­pec­tive de puces infra­rouges ou de vac­cins pou­vant être lus à dis­tance par des sys­tèmes élec­tro­niques revient à prendre le contrôle du corps et de la vie pri­vée des indi­vi­dus. En d’autres termes, accep­ter la vac­ci­na­tion de masse à ce stade a des impli­ca­tions éthiques poten­tiel­le­ment graves pour l’avenir des socié­tés libres et faci­lite l’émergence de nou­velles formes de tota­li­ta­risme. En revanche, vac­ci­ner 80 à 90% de la popu­la­tion contre un virus qui, dans plus de 90% des cas, ne pré­sente aucun symp­tôme, est une mesure tota­le­ment dis­pro­por­tion­née.

La bioé­thique et la théo­lo­gie morale qui ne tiennent pas compte de ce contexte géné­ral, mais se limitent à exa­mi­ner la tête d’épingle de la conscience indi­vi­duelle pla­cée devant l’acte indi­vi­duel de vac­ci­na­tion effec­tué à titre excep­tion­nel, res­semblent à ceux qui s’attaquent à l’artillerie lourde avec un arc et des flèches, en pré­ten­dant que les arcs et les flèches sont des armes très effi­caces. Il peut être vrai et inté­res­sant de démon­trer que l’arc et la flèche, s’ils sont uti­li­sés par un tireur d’élite, sont une arme effi­cace ; mais face aux chars et aux mitrailleuses, cela n’est abso­lu­ment pas per­ti­nent. Si l’on veut vrai­ment com­pa­rer la situa­tion actuelle à une guerre, on peut le faire. Il suf­fit de pré­ci­ser que la guerre n’est pas contre le virus, mais contre un « sys­tème » qui fait du virus son che­val de Troie.

En conclu­sion, la ques­tion de l’utilisation de lignées cel­lu­laires humaines à des fins de recherche phar­ma­ceu­tique et scien­ti­fique, et la ques­tion de la licéi­té de l’utilisation de cer­tains vac­cins (et autres pro­duits) résul­tant de ces pra­tiques, ne sont que des aspects par­tiels d’un pro­blème plus géné­ral, en dehors duquel ils ne peuvent être trai­tés et réso­lus de manière adé­quate. Dans le cadre pla­né­taire actuel, une science qui uti­lise des tis­sus humains à grande échelle comme maté­riel de labo­ra­toire est une science qui pré­pare et nour­rit une socié­té de cobayes et de sujets mani­pu­lés et contrô­lés. Il ne s’agit plus sim­ple­ment de la ques­tion de l’admissibilité de cer­taines thé­ra­pies dans cer­taines condi­tions. Il s’agit de modi­fier les condi­tions mêmes qui jus­ti­fient une thé­ra­pie en en fai­sant un « sys­tème ». Il s’agit d’une vision du monde visant à trans­for­mer le corps des gens en une source d’immenses pro­fits (éco­no­mie) et en un ins­tru­ment de contrôle capil­laire (poli­tique).

Nous devons prendre conscience que si elle est pous­sée trop loin, « la médi­ca­li­sa­tion de la socié­té pousse à l’extrême le carac­tère impé­ria­liste de la socié­té indus­trielle » (Ivan Illich). La médi­ca­li­sa­tion totale de la socié­té, au nom du droit à la san­té ou du bien com­mun de la san­té publique, est le fer de lance d’un nou­vel impé­ria­lisme qui veut ache­ver l’œuvre de trans­for­ma­tion des citoyens en mar­chan­dises et en esclaves, après avoir trans­for­mé les fœtus humains en mar­chan­dises. Devons-nous être naïfs au point de croire que les super-phi­lan­thropes et Big Phar­ma tra­vaillent pour le bien des êtres humains en assas­si­nant d’autres êtres humains ? Ceux qui sacri­fient des enfants aujourd’hui n’auront pro­ba­ble­ment aucun scru­pule à sacri­fier demain des pans entiers d’adultes.

[1] [6] Pour une utile dis­tinc­tion entre les labo­ra­toires qui recourent à ces pro­cé­dés et ceux qui n’y recourent pas, se repor­ter au tableau « Update : COVID-19 Vac­cine Can­di­dates and Abor­tion-Deri­ved Cell Lines », publié le 2 juin 2021 par le Char­lotte Lozier Ins­ti­tute (Arling­ton, Vir­gi­nie). Cf. https://lozierinstitute.org/update-covid-19-vaccine-candidates-and-abortion-derived-cell-lines/ [7]

[2] [8] Cf. https://www.marcotosatti.com/wp-content/uploads/2021/04/diffida-Presidente-della-Repubblica-Governo-e-Parlamento.pdf

[3] [9] Cf. https://www.marcotosatti.com/wp-content/uploads/2021/04/diffida-Presidente-della-Repubblica-Governo-e-Parlamento.pdf

[4] [10] Voir par exemple l’étude de S. Kam­pows­ki : https://veritasamoris.org/files/KAMPOWSKI-Cooperazioneappropriazioneevaccini2021028a.pdf [11]

[5] [12] Voir, par exemple, l’étude de S. Kam­pows­ki dans https://veritasamoris.org/files/KAMPOWSKI-Cooperazioneappropriazioneevaccini2021028a.pdf.