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La qua­li­fi­ca­tion démo­cra­tique de la tyran­nie

En inti­tu­lant son récent ouvrage L’esprit démo­cra­tique des lois ((. Domi­nique Schnap­per, L’esprit démo­cra­tique des lois, Gal­li­mard, NRF essais, 2014, 298 p., 19,90 €. )) , Domi­nique Schnap­per reven­dique une illustre filia­tion. Elle for­mule aus­si une ambi­guï­té carac­té­ris­tique de la pen­sée faible : on peut en effet au pre­mier abord se deman­der s’il faut entendre que les lois sont, de manière géné­rale, démo­cra­tiques parce qu’elles sont des lois ou entendre que, d’un point de vue fac­tuel, les lois contem­po­raines sont démo­cra­tiques. Cette ambi­guï­té est d’une cer­taine manière l’enfant natu­rel d’une vision uni­voque de la démo­cra­tie (du poli­tique en géné­ral) et du pur nomi­na­lisme dis­cur­sif qui la sous-tend. Pour les ini­tiés, elle signe une pen­sée codée qui rejette toute casuis­tique pour défi­nir le bien et le mal avec de simples balises émo­tion­nelles. Pour le tout-venant, peu importe la liqueur, le packa­ging est solen­nel. Domi­nique Schnap­per entend d’abord pré­sen­ter les dan­gers qui menacent la démo­cra­tie de l’intérieur, ceux qui lui sont consub­stan­tiels, en les regrou­pant sous trois formes de risques : l’hybris – la ten­ta­tion de l’illimité –, l’individualisme exa­cer­bé – la licence – l’égalitarisme et la confu­sion – l’indistinction. Puis, par un habile glis­se­ment qui rap­pelle curieu­se­ment le mode de rai­son­ne­ment mar­xiste, éva­cuant toute cri­tique externe à son sys­tème, elle retient sa propre cri­tique des risques comme cri­tique de la (sa) démo­cra­tie pour mieux affir­mer son idéo­lo­gie dans un qua­trième cha­pitre dit cri­tique de la cri­tique. Nous nous lais­se­rons gui­der, dans une cri­tique (contra­dic­toire celle-là) de cet ouvrage, dont la pen­sée qui l’anime est peu ou prou par­ta­gée par tout le cler­gé de la démo­cra­tie, par cer­taines spé­ci­fi­ci­tés rele­vant moins d’une vision ori­gi­nale que du degré de dévoi­le­ment actuel du sys­tème, la pro­gres­si­vi­té de son affir­ma­tion révé­lant, sous le cou­vert des brumes dia­lec­tiques, des ambi­tions et des visées très larges. Dans un pre­mier temps, nous com­pi­le­rons les carac­té­ris­tiques de la démo­cra­tie rete­nues par l’auteur pour en dres­ser le por­trait-robot, puis nous consta­te­rons sans grande sur­prise que les deux pre­mières dérives décrites dans l’ouvrage et rele­vant de la dyna­mique même du sys­tème sont des dérives « rela­tives ». Après quoi nous exa­mi­ne­rons un peu plus pro­fon­dé­ment la ques­tion de l’indistinction, qui tra­duit en fait une volon­té oli­gar­chique de cap­ta­tion de tous les moyens d’influence sociale. Nous nous inter­ro­ge­rons ensuite sur le sens, les consé­quences et les fina­li­tés de ce pro­jet si par­ti­cu­lier qu’est la démo­cra­tie occi­den­tale dont Mme Schnap­per se fait héraut. Enfin, nous pro­cé­de­rons à une éva­lua­tion rapide de la soli­di­té scien­ti­fique des thèses ain­si avan­cées.
Ce qui meut l’auteur, c’est un com­bat pour une socié­té mon­dia­li­sée auto­nome et auto­nor­ma­tive. C’est d’abord un com­bat de l’idée qui, pour assu­rer son triomphe, se pose en abso­lu et ne s’évalue que par rap­port à elle-même. De nom­breux pos­tu­lats qui res­semblent, aux goûts des jours qui passent, à autant de slo­gans nous per­mettent de mieux com­prendre que la démo­cra­tie est une machine de guerre. La démo­cra­tie, c’est le savoir : « On ne peut qu’observer un lien his­to­rique entre la démo­cra­tie et le déve­lop­pe­ment scien­ti­fique. » (p. 19) La démo­cra­tie, c’est tout le champ social, car l’esprit démo­cra­tique trans­forme « les rap­ports entre les hommes, entre les hommes et les femmes, des plus poli­tiques aux plus intimes » (p. 33). La démo­cra­tie, c’est toute l’humanité en créa­tion. En effet « la démo­cra­tie moderne n’est pas seule­ment un régime poli­tique. Elle a fait naître une forme par­ti­cu­lière d’humanité » (p. 25). La démo­cra­tie, c’est le bien : « La socié­té démo­cra­tique est une socié­té de per­for­mance et d’utopie maté­rielle sans limite. » (p. 64) Enfin, la démo­cra­tie c’est l’idole par­faite puisque « l’individu démo­cra­tique doit être l’enfant de ses propres œuvres » (p. 96). Etant posé ce qui est pour les obser­va­teurs de la chose une grande bana­li­té, à savoir que la démo­cra­tie, c’est tout, c’est l’être, il devient clair qu’a contra­rio ce qui n’est pas de la démo­cra­tie relève des ténèbres du néant et que les adver­saires – ou les simples vrais cri­tiques – de la démo­cra­tie font figure de démons. C’est pour­quoi une cri­tique de la démo­cra­tie par un de ses thu­ri­fé­raires est d’abord une entre­prise d’explicitation de la bonne démo­cra­tie (celle du moment) et s’achève tou­jours dans l’apothéose d’un pané­gy­rique enflam­mé. […]