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« Conni­vences » euro­péennes

Le pro­ces­sus d’intégration euro­péen a depuis l’origine exer­cé une sorte de fas­ci­na­tion pour un milieu catho­lique en recherche d’alternative moderne au règne social chré­tien. Nous avions ici déjà repris la for­mule excel­lem­ment révé­la­trice de Jean-Marie Mayeur sur le rôle d’idéologie de sub­sti­tu­tion qu’il pou­vait repré­sen­ter pour ses diri­geants démo­crates-chré­tiens ((. En 1980, Jean-Marie Mayeur écri­vait dans Des par­tis catho­liques à la démo­cra­tie-chré­tienne XIXe-XXe siècles (Armand Colin, 1980) que « L’Europe [avait joué] le rôle d’une idéo­lo­gie de sub­sti­tu­tion » pour les démo­cra­ties chré­tiennes. Il sug­gé­rait que cette incan­ta­tion du nom d’Europe devait cacher en fait l’absence d’une archi­tec­ture démo­crate-chré­tienne dans cette édi­fi­ca­tion jus­te­ment parce que l’Europe fonc­tion­na­liste se fon­dait sur des prin­cipes inas­si­mi­lables à une concep­tion chré­tienne de l’homme et de l’économie. )) , une nou­velle divi­ni­té façon­née d’unilatéralisme, de nou­veaux dogmes et d’irréversibilité, une œuvre mes­sia­nique laï­ci­sée. Robert Schu­man, icône du pro­ces­sus, « père de l’Europe » et dont le pro­cès en béa­ti­fi­ca­tion est ouvert au Vati­can, avait don­né pour titre au cha­pitre III de son seul ouvrage indé­fi­ni­ment réédi­té, Pour l’Europe ((. Robert Schu­man, Pour l’Europe, Nagel, 1960. ))  une phrase com­plète : « L’Europe c’est la mise en œuvre d’une démo­cra­tie géné­ra­li­sée dans le sens chré­tien du mot ». Il affir­mait éga­le­ment : « La démo­cra­tie est née le jour où l’homme a été appe­lé à réa­li­ser dans sa vie tem­po­relle la digni­té de la per­sonne humaine, dans la liber­té indi­vi­duelle, dans le res­pect des droits de cha­cun et par la pra­tique de l’amour fra­ter­nel envers tous. Jamais avant le Christ de telles idées ne furent for­mu­lées. » Le car­di­nal Jean-Marie Lus­ti­ger, dans le cha­pitre V de son ouvrage Nous avons ren­dez-vous avec l’Europe ((. Car­di­nal Jean-Marie Lus­ti­ger, Nous avons ren­dez-vous avec l’Europe, Mame, 1991. )) , lequel indui­sait le conti­nuum natu­rel de la civi­li­sa­tion euro­péenne par la « construc­tion euro­péenne », se posant la ques­tion « Europe chré­tienne qu’est-ce à dire ? », répon­dait que « la doc­trine catho­lique de la liber­té reli­gieuse indique dans un monde plu­riel et qui se dit plu­riel un che­min de tolé­rance posi­tive. Elle enseigne l’accueil et le dia­logue comme des témoi­gnages ren­dus à la véri­té ». Jean Bois­son­nat affir­mait, quant à lui, dans Dieu et l’Europe ((. Jean Bois­son­nat, Dieu et l’Europe, Des­clée de Brou­wer, 2005. )) , que « c’est sur­tout dans un nou­veau dia­logue des cultures et des civi­li­sa­tions que l’Europe peut illus­trer au XXIe siècle son rôle de labo­ra­toire du monde. Or, dans ce domaine, l’intégration de la Tur­quie […] consti­tue­rait une expé­rience majeure, abso­lu­ment sans pré­cé­dent […]. L’entrée de la Tur­quie dans l’Europe serait aus­si une manière d’en faire sor­tir Dieu, en un sens pré­cis. C’est-à-dire de dis­tin­guer le Dieu des chré­tiens de la culture euro­péenne, qu’Il a sans doute contri­bué à créer. Mais cette culture, en retour, a trop acca­pa­ré ce Dieu avec le risque de le défi­gu­rer et de le rendre moins intel­li­gible dans les autres cultures. Les mis­sion­naires n’apparaîtraient plus comme les auxi­liaires de la colo­ni­sa­tion. Le chris­tia­nisme retrou­ve­rait alors sa voca­tion uni­ver­selle au moment pré­cis où la mon­dia­li­sa­tion lui ouvre de nou­veaux hori­zons ».
Der­niè­re­ment encore, Antoine Gug­gen­heim, prêtre diri­geant le Pôle recherche du Col­lège des Ber­nar­dins et le cycle doc­to­ral de sa Facul­té de théo­lo­gie, peut écrire dans son livre Pen­ser l’Europe. Une res­source pour l’humanité dans la glo­ba­li­sa­tion ((. Antoine Gug­gen­heim, Pen­ser l’Europe. Une res­source pour l’humanité dans la glo­ba­li­sa­tion, Parole et Silence, mai 2014. Ce livre, paru quelques jours avant les élec­tions euro­péennes, reprend les tra­vaux de plu­sieurs sémi­naires du Col­lège des Ber­nar­dins. )) , les lignes sui­vantes qui mêlent pres­crip­tion et bana­li­tés dans une par­faite inver­sion des fins : « La construc­tion de la socié­té euro­péenne dépend de l’engagement de l’ensemble de ses membres et non seule­ment de ses res­pon­sables. L’Europe se bâtit au quo­ti­dien et au ras du sol. La socié­té civile n’a pas besoin de deman­der la per­mis­sion de l’administration pour pro­duire du tis­su humain là où celle-ci pro­duit des normes. La par­ti­ci­pa­tion des jeunes Euro­péens à leur ave­nir est l’objectif majeur de l’action des res­pon­sables poli­tiques, éco­no­miques et reli­gieux. La moder­ni­té de l’Europe lui impose de consi­dé­rer l’avenir comme un pro­jet où elle s’engage avec les res­sources de son his­toire. L’individu, ou la per­sonne, est pour l’Europe la mesure de son accom­plis­se­ment et de son pro­jet. L’humanisme, qu’il soit agnos­tique ou reli­gieux, est en ce sens la phi­lo­so­phie de l’Europe ».

L’expression de la col­la­bo­ra­tion

Par­tant de tels atten­dus, plu­sieurs thèmes de pro­pa­gande dia­lec­tique n’ont ces­sé d’être uti­li­sés en direc­tion de l’électorat et des res­pon­sables des par­tis démo­crates-chré­tiens. Le pre­mier fut celui de la « récon­ci­lia­tion », le deuxième de la « paix », le troi­sième de la « fina­li­té », jusqu’à l’évocation d’une « Europe Vati­cane » ((. Cf. Pas­cal Che­naux, Une Europe Vati­cane ?, édi­tions Cia­co, Bruxelles, 1990. ))  à laquelle Alfred Dufour fit jus­tice ((. Alfred Dufour, « Europe sans chré­tien­té ou chré­tien­té sans Europe. Réflexions sur le déra­ci­ne­ment cultu­rel et spi­ri­tuel de l’Europe à la veille du IIIe mil­lé­naire », Facul­té de droit de Genève, L’histoire du droit entre phi­lo­so­phie et his­toires des idées, recueil d’études, Schulthess/ Bruy­lant, Zurich, Bruxelles, 2003. ))  et que réfute Yvan Tran­vouez, la qua­li­fiant de mythe for­gé à par­tir d’une décla­ra­tion de Joseph Hours, et en rela­ti­vi­sant l’importance de l’engagement des catho­liques fran­çais dans ce cadre ((. Yvon Tran­vouez, Catho­li­cisme et socié­té dans la France du XXe siècle. Apos­to­lat, pro­gres­sisme et tra­di­tion, Kar­tha­la, 2011.)) .
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