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Fré­dé­ric Pichon : Syrie. Pour­quoi l’Occident s’est trom­pé

Il res­sort de cette très bonne syn­thèse l’impression que le court cycle de la « fin de l’histoire », c’est-à-dire de la maî­trise abso­lue du cours des choses par la Super­puis­sance amé­ri­caine et de ses vas­saux, pré­sente des signes nets de déca­dence. L’auteur s’intéresse prin­ci­pa­le­ment aux erreurs accu­mu­lées comme à plai­sir par le gou­ver­ne­ment fran­çais de la période, avec la céci­té de ses ser­vices diplo­ma­tiques et son mélange de légè­re­té et de pré­ten­tion gran­di­lo­quente. Mais la por­tée est plus ample, d’où le sous-titre sur l’Occident. L’affaire syrienne a été mon­tée comme l’avait été celles de la Ser­bie, de l’Irak et de la Libye, tou­jours plus par délé­ga­tion, appuyée sur une mas­sive dés­in­for­ma­tion média­tique mais limi­tée à des inter­ven­tions logis­tiques indi­rectes – livrai­sons d’armes aux « insur­gés », c’est-à-dire aux dji­ha­distes. Seule­ment rien n’est plus comme avant, notam­ment en rai­son tant de la désin­vol­ture fran­co-amé­ri­caine dans l’affaire libyenne (meurtre de Kadha­fi, dépas­sant sen­si­ble­ment le per­mis d’agir don­né par le Conseil de sécu­ri­té, équi­va­lant à une pro­vo­ca­tion anti­russe), peut-être aus­si de l’échec de la guerre psy­cho­lo­gique (qui exige un mini­mum de cré­di­bi­li­té, et sans doute un renou­vel­le­ment constant d’imagination dans le men­songe, en voie de taris­se­ment). Enfin l’autre obs­tacle, de taille, est que l’anéantissement aérien de la Syrie s’avère impos­sible sans coût dis­pro­por­tion­né : ce qui a été mili­tai­re­ment pos­sible contre la Ser­bie ou l’Irak et à plus forte rai­son contre la Libye, est bien plus dif­fi­cile dès lors que la Syrie dis­pose d’une défense aérienne lui per­met­tant d’interdire l’accès à son ter­ri­toire, ou de le faire payer très cher à d’éventuels atta­quants. C’est d’ailleurs pour­quoi, en Syrie comme plus récem­ment en Ukraine, l’option rete­nue n’a pas été direc­te­ment mili­taire, mais prin­ci­pa­le­ment poli­tique, cher­chant à fomen­ter désordre et anar­chie. La dra­ma­ti­sa­tion de la situa­tion, opé­rée par les médias, a eu pour but prin­ci­pal de jus­ti­fier les livrai­sons d’armes aux diverses fac­tions ain­si sus­ci­tées ou encou­ra­gées. Cepen­dant Fré­dé­ric Pichon montre que dans cette affaire, la réa­li­té est plus com­plexe que la fic­tion de pro­pa­gande. Sim­plisme, paresse, cor­rup­tion finan­cière et aveu­gle­ment idéo­lo­gique ont long­temps mas­qué le rôle de l’Arabie séou­dite et du Qatar, aidant déli­bé­ré­ment les pires extré­mistes, tant pour leur don­ner un abcès de fixa­tion que pour créer un gla­cis anti-ira­nien. Même si un jour­nal comme Le Monde conti­nue imper­tur­ba­ble­ment à réper­cu­ter le dis­cours de la chaîne Al-Jazee­ra, la réa­li­té du ter­rain com­mence sérieu­se­ment à faire peur, et notam­ment le fait du recru­te­ment mas­sif de véri­tables bri­gades inter­na­tio­nales du dji­hâd. Quant à la puis­sance russe, elle main­tient son appui au régime Assad pour un ensemble de rai­sons, de prin­cipe (refus de plier devant les Etats-Unis, rôle de défense des grecs-ortho­doxes syriens) et d’intérêt. Quant aux chré­tiens et fina­le­ment, semble-t-il, à la majo­ri­té des Syriens sen­sés, il est clair qu’ils pré­fèrent encore un régime dont la colonne ver­té­brale est une secte non musul­mane (les Alaouites) qu’une guerre inter­re­li­gieuse entre sun­nites et chiites, comme en Irak. Le pro­nos­tic de Fré­dé­ric Pichon est que le régime Assad ne tom­be­ra pas, et joue­ra sur le natio­na­lisme pour se débar­ras­ser des bandes dji­ha­distes. Il ne res­te­ra plus alors à ceux d’entre eux qui se sont implan­tés en Europe à y faire leur retour, avec les risques que cela com­por­te­ra. Les Etats-Unis sor­ti­ront de l’affaire plus affai­blis. Quant au sort des chré­tiens res­tés sur place et dont la vie, sinon les biens, ont été épar­gnés, outra­gés par les médias et jusque par un arche­vêque fran­çais comme sup­pôts du régime, ils essaie­ront tant bien que mal de sub­sis­ter.