Revue de réflexion politique et religieuse.

« Résis­tances intel­lec­tuelles », vrai­ment ?

Article publié le 10 Juin 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Nico­las Truong, qui dirige les pages « Idées-Débats » du Monde et est res­pon­sable du « Théâtres des idées » au Fes­ti­val d’Avignon, a réuni les contri­bu­tions que trente-et-un pen­seurs ont appor­tées aux entre­tiens orga­ni­sés entre 2004 et 2012 dans le cadre de ce der­nier pour dres­ser une sorte d’état des lieux de la pen­sée cri­tique contem­po­raine ((. Résis­tances intel­lec­tuelles. Les com­bats de la pen­sée cri­tique, entre­tiens diri­gés par Nico­las Truong, Fes­ti­val d’Avignon, édi­tions de l’Aube, 2013, 334 p., 24 €.)) . Ont notam­ment été convo­qués à cette tri­bune Jacques Der­ri­da, Fran­çoise Héri­tier, Edgar Morin, Jean-Luc Nan­cy, Michel Onfray, Jacques Bou­ve­resse, Peter Slo­ter­dijk, Phi­lippe Mei­rieu, Mar­cel Gau­chet et Annie Lebrun. L’objectif était, nous annonce Nico­las Truong, d’esquisser « ce que pour­rait être un ser­vice public des idées et de per­mettre un accès direct, libre et par­ta­gé à l’intellectualité ». Comme on pou­vait le craindre, on est d’emblée plon­gé dans les cli­chés les plus écu­lés de la pen­sée qui, depuis des décen­nies, a les suf­frages des médias, des Etats, du monde uni­ver­si­taire, des artistes, des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales et des grandes ong : la « pen­sée 68 », le liber­ta­risme gau­chi­sant – lequel, ajou­te­ra-t-on, n’a pas voca­tion à deve­nir un « ser­vice public des idées » puisqu’il l’est déjà : omni­pré­sent, mas­si­ve­ment sub­ven­tion­né et seul homo­lo­gué, de la mater­nelle au doc­to­rat.
C’est ain­si qu’on lit que l’avenir de l’Europe ne peut être que réso­lu­ment alter­mon­dia­liste (Jacques Der­ri­da), qu’il faut com­battre la mar­gi­na­li­sa­tion des « groupes domi­nés » que sont les malades du sida, les mino­ri­tés sexuelles, les immi­grés et les femmes, qu’il faut éclai­rer sous un jour nou­veau l’Histoire de France (Sophie Wah­nich déplore que, dans le – main­te­nant défunt – pro­jet sar­ko­zyste de Musée de l’Histoire de France, la bataille de Poi­tiers figu­rait comme moment impor­tant sans qu’un mot soit dit de la Com­mune de Paris), qu’il faut reve­nir au cynisme antique, lequel, « par sa capa­ci­té à manier l’ironie, per­met à l’artiste d’être réel­le­ment sub­ver­sif, de deve­nir un pen­seur d’utopie en prise directe avec son corps » (Michel Onfray)… Reviennent comme une ren­gaine les for­mules « inven­ter autre chose », « construire des choses qui soient pro­gres­sistes et éman­ci­pa­trices », « rendre effec­tives les pos­tures cri­tiques, les pos­tures de gauche… » Bref, on retrouve là un cha­ra­bia enten­du dans tous les lieux où, depuis des lustres, sévit l’intellectuel estam­pillé « cri­tique », c’est-àdire le pen­seur offi­ciel, le don­neur de ton. On ne s’étonnera pas non plus de lire que, quand il s’agit de « résis­ter », c’est uni­que­ment contre le « fas­cisme » et tout ce qu’il véhi­cule de racisme et d’« inté­grisme ». Les résis­tants de réfé­rence sont René Char, Ber­thold Brecht, les époux Aubrac. Jamais Sol­jé­nit­syne, Milan Kun­de­ra ou Jean-Paul II.
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