Revue de réflexion politique et religieuse.

La droite, la gauche, et le bien com­mun

Article publié le 10 Juin 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Il n’est plus l’heure d’annoncer la paru­tion à la librai­rie Per­rin, à l’automne der­nier, de l’His­toire intel­lec­tuelle des droites, de Fran­çois Hugue­nin, qu’on avait lue en 2006 (La table ronde) sous le titre Le conser­va­tisme impos­sible. Au texte pri­mi­tif s’ajoutent quelques com­plé­ments, notam­ment un cha­pitre trai­tant du catho­li­cisme social, qui, de mémoire, n’existait pas dans le volume de 2006. Nous nous pro­po­sons ici quelques remarques sur ce qui consti­tue mani­fes­te­ment la prin­ci­pale pré­oc­cu­pa­tion de l’auteur, qui réflé­chit au moyen de réfor­mer la droite, aujourd’hui en fort mau­vaise san­té. La droite, qu’il défi­nit, en sub­stance, par l’esprit conser­va­teur tel qu’il s’est oppo­sé dès le départ à l’idolâtrie du pro­grès propre à la gauche, n’est jamais par­ve­nue à se consti­tuer en un véri­table cou­rant à même de « contre­ba­lan­cer » l’idéologie de la gauche. Hugue­nin ne se montre pas par­ti­cu­liè­re­ment opti­miste pour l’avenir, mais il croit néan­moins à la pos­si­bi­li­té d’un redres­se­ment, de telle manière qu’il ne pose pas la ques­tion de la per­ti­nence de ce concept de droite adver­saire de la gauche dans un sys­tème sus­ci­té et orga­ni­sé par l’apparition d’une gauche qui en a vita­le­ment besoin pour être ce qu’elle est. Dans les der­niers cha­pitres de son enquête, ayant jusque-là bros­sé une impres­sion­nante et pas­sion­nante étude des cou­rants qui ont ani­mé et façon­né la pen­sée de droite depuis la Révo­lu­tion jusqu’à nos jours, pro­je­tant son regard haut dans la généa­lo­gie des idées essen­tielles à ces concep­tions du rap­port de l’homme à la socié­té, de la liber­té à l’ordre poli­tique, Hugue­nin concentre son atten­tion de manière plus thé­ma­tique sur la ques­tion de la légi­ti­mi­té du pou­voir, fon­da­men­tale en phi­lo­so­phie poli­tique, mais qui se pose de manière très aiguë dans le dif­fi­cile dia­logue, à droite, entre la pen­sée libé­rale, éprise des liber­tés indi­vi­duelles, et la pen­sée réac­tion­naire, nos­tal­gique de l’Ancien Régime. Héri­tières inégales de la pen­sée clas­sique, ce sont deux visions peu conci­liables sinon dans leur com­mune oppo­si­tion aux prin­cipes de la Révo­lu­tion, c’est-à-dire dans leur rejet des idéaux de la gauche issus des concep­tions de Jean-Jacques Rous­seau. Intel­lec­tuel­le­ment, Rous­seau est deux fois père : il l’est de ce qu’il est conve­nu d’appeler la moder­ni­té poli­tique, et il l’est de la pen­sée de gauche. On peut être ten­té d’ajouter que c’est en réa­li­té la même chose, que la moder­ni­té est de gauche, mais cela entraîne que la droite est obso­lète, à moins qu’elle ne consente à être un peu de gauche. Il est plus cou­rant d’entendre dire que la gauche est moderne ; per­sonne ne le conteste, qu’on oppose le moderne au clas­sique, comme le fait Hugue­nin à juste titre, ou qu’on l’assimile au pro­grès, comme cela se fait chez les gens de gauche, qui sont enclins à pen­ser que la vraie poli­tique com­mence avec la Révo­lu­tion fran­çaise, c’est-à-dire avec l’avènement de la démo­cra­tie.
La ques­tion de la légi­ti­mi­té du pou­voir conduit natu­rel­le­ment Hugue­nin à envi­sa­ger la notion de bien com­mun, dont il fait l’un des objets les plus impor­tants dans la réflexion poli­tique, tout en sou­li­gnant la dif­fi­cul­té qu’il y a à s’en for­mer une idée claire : « La ques­tion du bien com­mun est donc capi­tale. […] Mais per­sonne ne sait aujourd’hui com­ment le défi­nir. Quel sens revêt encore la notion de bien com­mun ? » Une telle inter­ro­ga­tion, à vrai dire, revient à dou­ter que le poli­tique ait encore un sens, tant dans l’esprit de ceux qu’il a voca­tion à ser­vir et qui, pour la plu­part démo­crates incon­di­tion­nels, admettent de plus en plus sou­vent que voter est deve­nu vain, que de ceux qui exercent le pou­voir et qui, démo­crates pro­cla­més, tiennent le vote de leurs conci­toyens pour un blanc-seing à leur volon­té de jouis­sance. Pour les uns et les autres l’idée même de bien com­mun n’évoque plus rien de bien pré­cis. Les pre­miers y voient, au mieux, l’intérêt public qui, pour être juste, doit répondre à leurs inté­rêts propres ; les seconds agitent les valeurs de la répu­blique, grand totem qui absorbe tout bien pos­sible et jus­ti­fie n’importe quoi. La moder­ni­té, rap­pelle Hugue­nin, est fon­dée sur « le pri­mat de l’individu sur la socié­té, laquelle, ne pou­vant être un fait de nature, est un arti­fice, une construc­tion » ; et (repre­nant les termes de Pierre Manent), sur « le fait que l’homme ne se recon­naisse aucune autre loi que celle qu’il s’est don­née lui-même. Il n’y a plus de cri­tère objec­tif du bien. Il n’y a plus d’extériorité de la norme. Il n’y a donc plus de ten­sion vers un bien qui dépasse l’homme et l’oblige à se per­fec­tion­ner. » Il est cer­tain que dans ces condi­tions c’est la notion de bien elle-même qui s’obscurcit. Deve­nu rela­tif au droit de l’homme, il n’est plus la norme de sa conduite, mais l’objet de sa fan­tai­sie : l’on n’aime ni ne fuit plus les choses selon qu’elles sont bonnes ou mau­vaises en elles-mêmes, c’est parce qu’on les aime qu’elles sont bonnes, et parce qu’on n’en veut plus qu’elles cessent de l’être. Pris d’un point de vue dia­chro­nique, cela s’appelle le pro­grès. Et puisque le pro­grès consiste à aller du moins bien vers le mieux, le libre cours de la liber­té vaut tou­jours mieux que tout bien.
Pour appor­ter quelque lumière sur le sens de la notion de bien com­mun Hugue­nin en appelle à Jacques Mari­tain, qu’il appa­rente direc­te­ment à Aris­tote et saint Tho­mas d’Aquin : « Une des grandes leçons de la poli­tique clas­sique, d’Aristote à Mari­tain, est que le bien com­mun ne sau­rait être réduit à la somme des inté­rêts par­ti­cu­liers. » Par cela Mari­tain doit se démar­quer réso­lu­ment des concep­tions de gauche. Mais Hugue­nin insiste, en même temps, sur l’indéniable inté­rêt de Mari­tain pour les droits de la per­sonne humaine, que le bien poli­tique ne sau­rait sup­plan­ter, sem­blant par là concé­der la pri­mau­té de la par­tie sur le tout. On peine un peu, fina­le­ment, à voir ce qui en fait un pen­seur de droite. La leçon de Mari­tain est confuse, et l’on y trouve plu­tôt ce qu’on y met, qu’une règle pour l’action du poli­tique. Hugue­nin recon­naît que la poli­tique de Mari­tain, « mélange de tho­misme, de libé­ra­lisme et d’humanisme, […] n’existe pas », et il ajoute qu’« elle reste à inven­ter » sans qu’on sache s’il l’appelle de ses vœux ou fré­mit à l’idée qu’elle puisse voir le jour. Nous vou­drions mon­trer ici en quelques mots ((. Nous avons don­né une ana­lyse beau­coup plus com­plète des prin­ci­pales insuf­fi­sances de la pen­sée de Jacques Mari­tain dans notre intro­duc­tion aux tra­vaux de Charles De Koninck sur le bien com­mun : Charles De Koninck, De la pri­mau­té du bien com­mun contre les per­son­na­listes (1943), nou­velle édi­tion, sui­vie de Pour la défense de Saint Tho­mas (1945), Œuvres com­plètes, t. II, vol. 2, PUL, Qué­bec, 2009. ))  que la notion que Mari­tain se fait du bien com­mun n’a pas la por­tée que lui prête Hugue­nin, et que son tho­misme, plus de répu­ta­tion que de convic­tion, ne suf­fit pas à en faire un recours pour un hypo­thé­tique redres­se­ment de la droite, et encore moins pour ce qui nous paraît plus impor­tant et plus urgent, le réta­blis­se­ment d’une saine et juste com­pré­hen­sion du poli­tique.
Hugue­nin fait une longue cita­tion de L’homme et l’État, dont nous repro­dui­sons ici le prin­ci­pal. « Le bien com­mun », dit Mari­tain, « est com­mun à la fois au tout et aux par­ties, c’est-à-dire aux per­sonnes à qui il se redis­tri­bue et qui doivent béné­fi­cier de lui ». Il n’est « pas seule­ment la somme des avan­tages et des ser­vices publics que l’organisation de la vie publique pré­sup­pose… », il « implique aus­si l’intégration socio­lo­gique de tout ce qu’il y a de conscience civique, de ver­tu poli­tique, et de sens de la loi et de la liber­té, d’activité, de pros­pé­ri­té maté­rielle et de richesses spi­ri­tuelles, […] dans la mesure où toutes ces choses sont, d’une cer­taine façon, com­mu­ni­cables et font retour à chaque membre, l’aidant à per­fec­tion­ner sa vie et sa liber­té de per­sonne, et où elles consti­tuent dans leur ensemble la bonne vie de la mul­ti­tude. »
Mari­tain affirme que le bien com­mun est com­mun au tout et aux par­ties, mais ne le montre pas. Il n’y apporte jamais que des exemples, et s’il n’éprouve nulle part le besoin d’en rendre compte, c’est qu’il ne voit rien d’autre dans le bien com­mun qu’un bien qui « fait retour à chaque membre » ; il est « com­mun au tout et aux par­ties » en tant qu’il « se redis­tri­bue » à ceux qui (par défi­ni­tion) « doivent béné­fi­cier de lui ». Où Mari­tain écrit com­mun (ou com­mu­ni­cable), il veut dire com­mu­ni­qué. Or on peut aimer pour son uni­ver­selle com­mu­ni­ca­bi­li­té même un bien qu’on sait répan­du à un petit nombre ; ain­si l’enfant admire-t-il la science de ses maîtres. De même, un bien dont on jouit effec­ti­ve­ment ne nous est pas tou­jours pour cela aimable en tant que com­mu­ni­cable à plu­sieurs. Ain­si rai­sonne l’avare. Ce qu’omet Mari­tain, dont toutes les pen­sées trouvent leur mesure dans l’insurpassable digni­té de la per­sonne humaine, c’est que le bien est essen­tiel­le­ment cause finale ; et c’est en tant que tel, fon­da­men­ta­le­ment, qu’il est dif­fu­sif de soi. Il est, sui­vant les termes d’Aristote, « la fin de toute géné­ra­tion et de tout mou­ve­ment » ((. Méta­phy­sique, I, 3 ; de même, saint Tho­mas d’Aquin, notam­ment : Q. D. De Veri­tate, q. 1, a. 1.)) . Tout ce que nous regar­dons comme une fin, nous l’aimons comme un bien ; tout ce que nous esti­mons un bien nous y voyons une fin, c’est-à-dire quelque chose de dési­rable et à quoi consa­crer nos efforts. Dire d’un bien qu’il n’est un bien que pour autant qu’on en jouit, c’est, à vrai dire, se faire la mesure du bien.
A cet égard la défi­ni­tion qu’Huguenin emprunte à Benoît XVI, et qu’il qua­li­fie de « concep­tion clas­sique du bien com­mun », pèche elle aus­si par approxi­ma­tion. Selon Benoît XVI, le bien com­mun « n’est pas un bien recher­ché pour lui-même, mais pour les per­sonnes qui font par­tie de la com­mu­nau­té sociale, et qui, en elle seule, peuvent arri­ver réel­le­ment et plus effi­ca­ce­ment à leur bien » ((. Benoît XVI, Cari­tas in veri­tate, 7.)) . On com­prend l’idée du Saint Père : on ne sau­rait vou­loir un bien sinon pour le voir répan­du. Mais cela ne ren­voie qu’indirectement au bien pro­pre­ment dit com­mun, dans la mesure où la com­mu­nau­té du bien com­mun, c’est-à-dire son uni­ver­selle bon­té, trouve sa rai­son dans les autres et non en lui-même ; autre­ment dit, il n’est pas conçu comme intrin­sè­que­ment sur­abon­dant et dési­rable dans son incom­men­su­ra­bi­li­té même, mais est recher­ché pour autre chose que sa qua­li­té de bien com­mun, ou, ce qui revient au même, n’est conçu comme com­mun que par la consi­dé­ra­tion de ce à quoi il est sus­cep­tible de béné­fi­cier, comme s’il n’était pas néces­saire qu’il fût com­mun pour se répandre, c’est-à-dire anté­rieu­re­ment à toute com­mu­ni­ca­tion de soi. Les autres ne sont natu­rel­le­ment pas étran­gers à la recherche du bien com­mun, mais ils ne peuvent être tenus pour rai­son pre­mière de l’amabilité du bien com­mun, parce qu’ils ne sont pas la rai­son de sa com­mu­ni­ca­bi­li­té.
Sans doute Benoît XVI est-il un peu l’héritier de Mari­tain, dont Hugue­nin évoque la forte influence sur le Concile Vati­can II. Dans le droit fil de cette vision du bien com­mun, cette autre cita­tion de Cari­tas in veri­tate, à la page sui­vante : « Seule la cha­ri­té, éclai­rée par la lumière de la rai­son et de la foi, per­met­tra d’atteindre des objec­tifs de déve­lop­pe­ment por­teurs d’une valeur plus humaine et plus huma­ni­sante. » Il y a quelque chose d’insolite à cette recom­man­da­tion, quand c’est d’ordinaire plu­tôt la rai­son, et la foi elle-même, qu’on exhorte à la cha­ri­té ((. 1 Co 13, 2 : « Quand j’aurais toute la foi pos­sible, jusqu’à trans­por­ter les mon­tagnes, si je n’ai point la cha­ri­té, je ne suis rien. » )) . Quelle cha­ri­té demande, en réa­li­té, à être rai­son­née et rap­pe­lée aux objets de la foi sinon celle conçue prin­ci­pa­le­ment comme amour du pro­chain, celle qui s’expose à la déme­sure de l’amour sépa­ré de la véri­té ? Dieu est exem­plaire de tout bien et sou­ve­rain bien de toute chose. Il est donc sou­ve­rai­ne­ment dif­fu­sif de soi, c’est-à-dire à sa divine mesure, pas à celle de l’homme. C’est d’ailleurs pour cela que la cha­ri­té, qui est avant tout amour de Dieu, est aus­si et par consé­quent amour du pro­chain ((. Saint Tho­mas, notam­ment Q. D. De cari­tate, a. 4, ad 2. ))  : le bien divin n’est pas aimé pour lui-même s’il n’est aimé dans sa sur­abon­dance qui est dif­fu­si­bi­li­té. C’est ain­si que nous aimons notre pro­chain d’un amour juste non pas, ulti­me­ment, pour lui-même, mais en tant qu’il est capax bea­ti­tu­di­nis, appe­lé à la béa­ti­tude : c’est Dieu que nous aimons en lui, comme en nous-mêmes. Et c’est, selon toute néces­si­té, comme bien com­mun que nous aimons Dieu en nous-mêmes, comme dans le pro­chain.
Si rien ici-bas, selon Mari­tain, ne peut éga­ler la per­sonne humaine en digni­té, c’est parce qu’elle est seule image de Dieu. Elle est donc le bien le plus éle­vé dans la nature et ne peut être subor­don­née à aucun autre bien que celui dont elle est jus­te­ment la res­sem­blance, et auquel elle est, par le fait, pro­mise. Ici Mari­tain oublie qu’en toute rigueur tout bien est tel par une res­sem­blance du bien divin qui lui est inhé­rente ((. Saint Tho­mas, Somme théo­lo­gique, I, q. 6, a. 4, resp. )) , et que si l’homme est plus par­fai­te­ment à la res­sem­blance de Dieu par sa nature intel­lec­tuelle, il est aus­si vrai qu’un bien est un plus grand bien à pro­por­tion qu’il s’étend à un plus grand nombre. Mari­tain mécon­naît la dis­tinc­tion pour­tant chère à saint Tho­mas entre la bon­té ou per­fec­tion selon l’essence et la per­fec­tion dans l’ordre des causes ((. Ibid., I, q. 103, a. 4.))  ; et parce qu’elles sont une même chose en Dieu (qui est exem­plaire et fin de tout bien), il croit qu’il en est de même dans l’image de Dieu, comme si l’homme et son créa­teur par­ta­geaient une même nature. De là suit que le bien com­mun ne peut qu’être subor­don­né à l’épanouissement de la per­sonne, qui, se consa­crant à se rendre plus humaine se fait par là plus divine.
La socié­té est ain­si conçue comme « un tout dont les par­ties sont elles-mêmes des touts, et elle est un orga­nisme fait de liber­tés », et « sous peine de se déna­tu­rer lui-même », le bien com­mun « implique et exige la recon­nais­sance des droit fon­da­men­taux des per­sonnes, et il com­porte lui-même comme valeur prin­ci­pale la plus haute acces­sion pos­sible (c’est-à-dire com­pa­tible avec le bien du tout) des per­sonnes à leur vie de per­sonnes et à leur liber­té d’épanouissement… », c’està-dire leur liber­té de touts ori­gi­nai­re­ment indé­pen­dants de la socié­té par le lien qui unit cha­cune d’elles à l’absolu « dans lequel seul elle peut trou­ver son plein accom­plis­se­ment » ((. Les droits de l’homme et la loi natu­relle, in Œuvres com­plètes [O. C.], Edi­tions Saint-Paul, Fri­bourg, 1986–2008, t. 7, pp. 622, 621.)) . On ne peut mieux dire que le bien com­mun est subor­don­né à la per­sonne dans ce qu’elle a d’originairement étran­ger à l’ordre poli­tique, et pour qui il n’est que le moyen de s’émanciper de l’ordre social auquel l’attachent les besoins maté­riels tan­dis qu’elle aspire à se consa­crer à ses fins propres ((. Ce que Mari­tain appelle « la vraie éman­ci­pa­tion poli­tique » dans Prin­cipes d’une poli­tique huma­niste, O. C., t. 8, p. 196. )) .
Si, main­te­nant, il est de la nature du bien com­mun d’impliquer la « recon­nais­sance des droits fon­da­men­taux des per­sonnes », c’est que ces droits lui sont par nature anté­rieurs : la socié­té est « un tout de per­sonnes dont la digni­té est anté­rieure à la socié­té » ((. Les droits de l’homme…, O. C., t. 7, p. 631.)) . Or, dès l’instant où c’est le droit qui fonde le bien, ce qui est dési­gné comme un bien l’est en fonc­tion du droit, c’est-à-dire, ici, du droit des per­sonnes anté­rieur à la socié­té. C’est le droit qui est l’absolu, le bien est rela­tif. Le bien com­mun n’est donc pas intrin­sè­que­ment com­mun, comme ce qui s’étend davan­tage au sin­gu­lier que le bien sin­gu­lier, mais seule­ment de manière extrin­sèque, en tant qu’il est par tous dési­ré comme l’instrument du bien pri­vé. Que ce soit pour de pieuses rai­sons n’y change rien. La socié­té de Mari­tain est une com­mu­nau­té de droit et non pas une com­mu­nau­té de bien : ce sont des droits dont ses membres ont en com­mun de jouir cha­cun pour soi-même, non un bien auquel ils œuvrent ensemble comme à leur fin com­mune et la plus noble. Si le bien poli­tique était aimé d’un amour juste et recher­ché pour lui-même (l’étant par là pour les autres), il serait aimé pour ce qu’il est, l’analogue dans la cité ter­restre du sou­ve­rain bien de la cité céleste ; et cet amour juste répon­drait à ce qu’exige ici-bas l’amour de la béa­ti­tude céleste ((. Saint Tho­mas, Q. D. De cari­tate, a. 2, resp. )) , qu’on ne peut vou­loir pour qui­conque si on ne la veut pour elle-même. C’est, en ce sens, la cha­ri­té qui est, en chré­tien­té, la pre­mière ver­tu du poli­tique, plu­tôt que la géné­ro­si­té de Mari­tain ou la misé­ri­corde de MacIn­tyre.
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