Revue de réflexion politique et religieuse.

Le popu­lisme pour tous !

Article publié le 28 Juin 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Il y avait autre­fois, il y a si peu de temps en fait, des « popu­lismes éta­blis ». Des popu­lismes réper­to­riés de manière qua­si­ment offi­cielle, véhé­men­te­ment condam­nés par les répu­bli­cains de tous poils, et sou­te­nus seule­ment par leurs très nom­breux élec­teurs n’osant s’avouer tels, inti­mi­dés qu’ils étaient par la répro­ba­tion impla­cable des « hon­nêtes citoyens » qui, au mieux, tenaient leur déviance poli­tique en mépris api­toyé. Il s’agissait du Front Natio­nal en France, des adeptes vété­rans du Par­ti du pro­grès nor­vé­gien, de leurs homo­logues danois du Par­ti du peuple, des sin­gu­liers libé­raux autri­chiens mis en orbite par Jörg Hai­der, des fidèles de Sil­vio Ber­lus­co­ni ou de la Ligue du Nord d’Umberto Bos­si. Plus récem­ment, il fut éga­le­ment de plus en plus ques­tion d’un popu­lisme néer­lan­dais for­te­ment moder­ni­sé lan­cé par son pre­mier mar­tyr Pim For­tuyn ((. Wil­hel­mus Simon Petrus For­tuyn, assas­si­né en 2002. Il fut sui­vi par le réa­li­sa­teur de ciné­ma cri­tique de l’Islam Theo van Gogh, assas­si­né en 2004.)) , puis pro­pul­sé à pré­sent par le sédui­sant Geert Wil­ders et son Par­ti pour la Liber­té, ou encore de sa ver­sion sépa­ra­tiste de la Flandre belge, conduite de main de maître par Bart de Wever et la Nou­velle alliance fla­mande, deve­nue le par­ti le plus repré­sen­té à la Chambre des repré­sen­tants à Bruxelles. Toutes for­ma­tions ren­for­cées en outre par le Par­ti des vrais Fin­lan­dais, par les popu­listes grecs de droite de l’Aube dorée, ceux de gauche de Syri­sa, sans oublier les popu­listes tar­difs et peu atten­dus du Par­ti des démo­crates sué­dois.
Ces cou­rants poli­tiques demeurent divers. Ils mani­festent certes sans excep­tion une hos­ti­li­té décla­rée à l’immigration extra-euro­péenne spé­cia­le­ment musul­mane, ain­si qu’à l’Islam en géné­ral. Mais cer­tains sont  anciens, nés en tant que par­tis « anti­fis­caux » comme en Nor­vège ou au Dane­mark, d’autres sur­gis par­fois presque d’un coup à des dates assez proches. La plu­part s’affirment natio­na­listes au sens habi­tuel.
Quelques-uns, beau­coup plus rares, sont cepen­dant sépa­ra­tistes à l’instar des par­tis dits jadis « fla­min­gants » de Bel­gique, ou de la Ligue du Nord dont l’objectif consiste à ras­sem­bler dans une « Pada­nie » à voca­tion d’indépendance la Lom­bar­die, le Pié­mont, la Véné­tie et le Tren­tin. Ces popu­listes en quelque sorte paten­tés se révèlent les plus sou­vent hos­tiles à l’Union euro­péenne, mais il y en eut de proeu­ro­péens aux Pays-Bas ou en Ita­lie du Nord en par­ti­cu­lier. Cer­tains furent ou res­tent même favo­rables à l’Etat d’Israël, tan­dis que la plu­part recèlent plu­tôt un anti­sé­mi­tisme sous-jacent, au vrai remis en cause par Marine Le Pen. Il en est éga­le­ment de « néo­li­bé­raux » décla­rés, face à des « pro­tec­tion­nistes » acquis à une inter­ven­tion impor­tante de l’Etat en matière éco­no­mique et au main­tien d’un vaste sec­teur public et social. Enfin, lors même que la droite y com­pris éta­tiste domine lar­ge­ment chez eux, le cli­vage droite-gauche n’épargne pas les popu­listes clas­sés comme tels. Ain­si en Grèce, notam­ment, où les trans­fuges socia­listes du Pasok ont créé le très radi­cal par­ti Syri­sa.
Quelles que soient leurs dif­fé­rences, il s’agit pour­tant dans tous ces cas de for­ma­tions popu­listes refou­lées de longue date dans un espace poli­tique sépa­ré, encer­clé par un « cor­don sani­taire ». Cet espace est étran­ger à celui des pro­fes­sion­nels de l’élection édu­qués au sein d’un par­ti de type par­le­men­taire où ils ont effec­tué une car­rière de longue haleine dont ils entendent conser­ver le béné­fice. Il l’est tout autant à la logique de ras­sem­ble­ment spon­ta­né des foules pro­tes­ta­taires du genre de celles hos­tiles ou favo­rables au « mariage pour tous » en France, des indi­gna­dos espa­gnols ou autres, voire des adeptes du Tea Par­ty aux Etats-Unis. Bien qu’ils se soient conver­tis depuis des lustres à la démo­cra­tie plu­ra­liste et qu’ils aient ces­sé de dis­si­mu­ler des des­seins auto­ri­taires, les cadres popu­listes appa­raissent en somme comme des tri­cheurs. Non confor­mistes, ils se sont dis­pen­sés de gra­vir avec patience les degrés d’un par­cours par­ti­san nor­mal afin de mon­ter en grade dans le res­pect des conve­nances de leur métier. Ils n’ont pas « payé leur ticket »… En ce qui les concerne, ils font litière des codes de la cama­ra­de­rie trans-par­ti­sane – l’entre-collègues – régis­sant les rap­ports réci­proques rela­ti­ve­ment réglés entre­te­nus par les poli­ti­ciens habi­tuels. Ces der­niers pro­fessent une aver­sion au risque de ne pas être élus ou de perdre leur siège, ce qui est moins net chez les popu­listes, beau­coup plus aven­tu­reux. Les popu­listes pré­tendent avec cela incar­ner le peuple des sans voix tout en se révé­lant aus­si dis­tincts de celui-ci en tant que caté­go­rie de spé­cia­listes de l’agitation poli­tique que le per­son­nel des par­tis par­le­men­taires en tant que pro­fes­sion­nels de la repré­sen­ta­tion. Ce sont des soli­taires, récon­for­tés néan­moins par les accla­ma­tions de leurs admi­ra­teurs. Avec cela, les popu­listes pré­sentent cette par­ti­cu­la­ri­té émi­nente de ser­vir de repous­soir à tous ceux qui les dési­gnent comme le comble de l’abomination poli­tique afin de magni­fier par contraste leur propre « ver­tu répu­bli­caine » et, par la même occa­sion, spé­cia­le­ment en France, d’expulser les élec­teurs popu­listes hors les murs du jeu poli­tique concret se tra­dui­sant en sièges et en accès aux res­pon­sa­bi­li­tés de tous niveaux2. Ce qui revient dans les cir­cons­tances cou­rantes à offrir une rente de situa­tion à la gauche.
Il serait pour­tant erro­né d’estimer que tout a chan­gé pour que rien ne change. On vient à peine de s’apercevoir en réa­li­té que tout change pour de bon dans l’univers du popu­lisme euro­péen. En France, la grande trans­for­ma­tion a débu­té avec celle per­son­nelle de Jean-Luc Mélen­chon, lorsqu’il aban­don­na le Par­ti socia­liste pour fon­der le Par­ti de gauche en 2008. Il connut alors une seconde nais­sance. D’homme poli­tique en passe d’être blan­chi sous le har­nois, conseiller géné­ral en 1985, séna­teur en 1986, dépu­té euro­péen, ministre de Lio­nel Jos­pin de 2000 à 2002, il renaît alors comme lea­der d’un par­ti extrême et sur­tout comme popu­liste à l’immense talent. Ce n’était tou­te­fois rien par com­pa­rai­son avec ce qui va suivre en Ita­lie en 2013. […]

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