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Joseph Lequi­nio : Guerre de la Ven­dée et des Chouans. Edi­tion cri­tique éta­blie et pré­sen­tée par Jean Arta­rit

« J’ai com­pa­ru devant un tri­bu­nal redou­table ; je suis entré dans moi-même. J’ai son­dé ma conscience. Elle m’acquitte plei­ne­ment. Elle me dit que j’ai bien fait ». Pour­tant le dépu­té Joseph Lequi­nio, révo­lu­tion­naire « modé­ré » par rap­port aux « grands » noms de Robes­pierre ou Car­rier, n’offre pas au lec­teur que (et fort peu en fait) de belles scènes d’indulgence. Xavier Mar­tin, dans Nature humaine et Révo­lu­tion fran­çaise (DMM, Bouère, 1994), avait déjà atti­ré l’attention sur Lequi­nio, auteur d’un autre livre, de doc­trine, Les pré­ju­gés détruits (1792). La lec­ture de l’ouvrage réédi­té par J. Arta­rit, paru en 1794 (com­pre­nant, outre les écrits et rap­ports de l’auteur, des témoi­gnages et des « pièces dénon­cia­tives » des hor­reurs com­mises par les révo­lu­tion­naires) est pas­sion­nante, en dépit de des­crip­tions par­fois dures à lire, mais tel­le­ment ins­truc­tives par leur froi­deur cachée der­rière un pré­ten­du huma­nisme.
A titre d’exemples l’exécution de sang froid de deux chefs « bri­gands » à bout por­tant dans la pri­son de Fon­te­nay-le-Peuple, « acte d’humanité pris en lui-même et sous tous ses rap­ports », ou encore l’attitude à l’égard des pri­son­niers : « Je ne veux point qu’on fasse de pri­son­niers. Je veux que nous por­tions d’une main un sabre inflexible pour tous ceux que nous trou­ve­rons ou en armes ou en attrou­pe­ments dan­ge­reux, et de l’autre une branche d’olivier pour tous ceux qui ne seront ni ci-devant prêtres, ni ci-devant nobles, contre­ban­diers, ni mal­tô­tiers, ni déser­teurs, ni vaga­bonds, en un mot pour tous ceux dont la scé­lé­ra­tesse des pre­miers a plon­gés dans le fana­tisme et dans l’erreur ». Lequi­nio montre effec­ti­ve­ment une haine par­ti­cu­liè­re­ment sau­vage à l’égard des « vrais bri­gands » qu’il pré­tend res­pon­sables de la guerre de Ven­dée. « Le flam­beau du fana­tisme, alors agi­té par ces mains hypo­crites et per­verses, cou­vrit les culti­va­teurs infor­tu­nés d’une haine cri­mi­nelle, embra­sa jusqu’à la moelle de leur os et fit cou­ler dans leurs veines, avec le phlo­gis­tique impur de la fré­né­sie reli­gieuse, le fiel empoi­son­né d’une aver­sion presque inex­tin­guible ». Seule la mort pou­vait étouf­fer la soif du crime qui dévo­rait ces ignobles « bri­gands par inté­rêt » – qui exal­taient le peuple sans connais­sance et sans force. Il faut donc – ani­mé d’un grand prin­cipe d’humanité – tout faire pour rendre heu­reux et faire aimer la révo­lu­tion aux « peuples igno­rants qui habitent ce riche pays ». « Le peuple des cam­pagnes fana­tiques et igno­rantes ne connaît pas les avan­tages de la Révo­lu­tion. Il ne connaît pas ce que c’est que la liber­té, il ne connaît pas ce que c’est que l’égalité. Son igno­rance le consti­tue dans un état de fai­blesse et de ver­sa­ti­li­té habi­tuelle, et le rend à chaque ins­tant vic­time de la mal­veillance et de l’intrigue ». Dans le même temps, on trouve un peu plus loin cette affir­ma­tion : « Si le salut de la France exi­geait l’anéantissement des 400 000 hommes qui couvrent le ter­ri­toire de la Ven­dée et pays insur­gés voi­sins, il fau­drait les anéan­tir. Mais […] en fai­sant éva­nouir ces géné­ra­tions entières pour le bon­heur de la patrie, rien ne pour­rait
faire tolé­rer des mesures bar­bares, inhu­maines et scé­lé­rates, exer­cées sur un seul indi­vi­du. Il fau­drait encore accom­pa­gner de com­pas­sion et de pitié cette exé­cu­tion ter­rible, mais néces­saire à l’affermissement de la Répu­blique, et ne pas accroître le mal­heur de s’y trou­ver réduit par la souillure des remords ». Si les mas­sacres gênent le dépu­té, c’est uni­que­ment pour des consi­dé­ra­tions maté­rielles (400 000 per­sonnes, cela fait beau­coup ; la Ven­dée est un pays agri­cole riche…).