Revue de réflexion politique et religieuse.

Jean-Marie Keroas : Com­prendre les struc­tures de péché avec Jean-Paul II

Article publié le 5 Mai 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le Caté­chisme de l’Eglise catho­lique énonce, dans son article 1869, la pro­po­si­tion sui­vante : « […] le péché rend les hommes com­plices les uns des autres, fait régner entre eux la concu­pis­cence, la vio­lence et l’injustice. Les péchés pro­voquent des situa­tions sociales et des ins­ti­tu­tions contraires à la Bon­té divine. Les “struc­tures de péché” sont l’expression et l’effet des péchés per­son­nels. Elles induisent leurs vic­times à com­mettre le mal à leur tour. Dans un sens ana­lo­gique elles consti­tuent un “péché social” ». Il est dif­fi­cile avec cela de com­prendre le sens d’une expres­sion sur­gie inopi­né­ment dans quelques textes de Jean-Paul II (ency­clique Sol­li­ci­tu­do rei socia­lis, de 1987, pré­cé­dem­ment exhor­ta­tion apos­to­lique Recon­ci­lia­tio et poe­ni­ten­tiae, de 1984) et jamais appro­fon­die. Dans la cita­tion ci-des­sus, il n’y a pas de défi­ni­tion mais une affir­ma­tion qui n’éclaire pas grand chose du fait que les « struc­tures de péché » sont pré­sen­tées comme des consé­quences de péchés indi­vi­duels. Faut-il com­prendre que l’on a affaire à des struc­tures néga­tives de la per­son­na­li­té morale, en d’autres termes à des vices, qui condi­tionnent la liber­té et poussent, par exemple, à répé­ter les fautes com­mises en les pas­sant en habi­tudes ? Fait-on aus­si allu­sion à des ambiances sociales ren­dant opaque la loi morale, à cer­tains usages favo­ri­sant diverses formes de relâ­che­ment moral (milieux de la publi­ci­té, du spec­tacle, ral­lyes et autres mon­da­ni­tés…) ? Jean-Paul II opère cette iden­ti­fi­ca­tion lorsqu’il parle de la « culture de mort » (Evan­ge­lium vitae, 1995, § 12). Curieu­se­ment, alors qu’il avait eu des mots très sévères contre le com­mu­nisme, ou encore contre le capi­ta­lisme (Pue­bla, 1979), struc­tures sociales viciées s’il en est, il n’avait pas eu recours au même concept. Il résulte de tout cela l’impression d’avoir assis­té à la mise en ser­vice d’une expres­sion impré­cise, sans néces­si­té.
Le pré­sent livre n’offre mal­heu­reu­se­ment pas une élu­ci­da­tion de la notion, et sur­prend par l’ampleur de l’exposé, clair quoique for­cé­ment rapide, des prin­cipes de la morale géné­rale, incluant même des apar­tés sur le trai­té De Magis­tro de saint Tho­mas, ou encore sur la réforme des études ecclé­sias­tiques de phi­lo­so­phie (2011). En défi­ni­tive, le vrai sujet abor­dé est celui de l’objection de conscience, et donc de l’obéissance à des ordres ou à des lois posi­tives allant contre la morale. L’auteur, conscient du léga­lisme régnant, pro­pose de recou­rir à l’épikie, c’est-à-dire au res­pect de l’esprit de la loi au-delà de sa com­pré­hen­sion lit­té­rale. Jeu sub­til lorsque l’injonction est nette comme un cou­pe­ret ! La pro­po­si­tion peut cepen­dant aider des scru­pu­leux à se pré­dis­po­ser à sur­mon­ter des conflits appa­rents de devoirs, d’autres à se débar­ras­ser de fausses obli­ga­tions res­sas­sées par les vec­teurs de la culture domi­nante et leurs relais intra-ecclé­siaux ; mais elle ne peut évi­ter le heurt direct avec une léga­li­té de nature essen­tiel­le­ment posi­ti­viste, dont l’exception de légi­ti­mi­té ne sau­rait être sou­le­vée qu’au nom du consen­sus et de ses maîtres. Mais sur­tout, et c’est le regret sus­ci­té par l’ensemble de l’ouvrage, elle laisse dans l’ombre la ques­tion prin­ci­pale, celle des struc­tures sociales per­verses (éven­tuel­le­ment même « intrin­sè­que­ment per­verses »), qu’elles soient de nature poli­tique, éco­no­mique, de l’ordre des confor­mismes col­lec­tifs ou de méca­nismes ins­ti­tu­tion­nels détour­nés de leur fina­li­té.

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