Jean-Marie Keroas : Comprendre les structures de péché avec Jean-Paul II
Le Catéchisme de l’Eglise catholique énonce, dans son article 1869, la proposition suivante : « […] le péché rend les hommes complices les uns des autres, fait régner entre eux la concupiscence, la violence et l’injustice. Les péchés provoquent des situations sociales et des institutions contraires à la Bonté divine. Les “structures de péché” sont l’expression et l’effet des péchés personnels. Elles induisent leurs victimes à commettre le mal à leur tour. Dans un sens analogique elles constituent un “péché social” ». Il est difficile avec cela de comprendre le sens d’une expression surgie inopinément dans quelques textes de Jean-Paul II (encyclique Sollicitudo rei socialis, de 1987, précédemment exhortation apostolique Reconciliatio et poenitentiae, de 1984) et jamais approfondie. Dans la citation ci-dessus, il n’y a pas de définition mais une affirmation qui n’éclaire pas grand chose du fait que les « structures de péché » sont présentées comme des conséquences de péchés individuels. Faut-il comprendre que l’on a affaire à des structures négatives de la personnalité morale, en d’autres termes à des vices, qui conditionnent la liberté et poussent, par exemple, à répéter les fautes commises en les passant en habitudes ? Fait-on aussi allusion à des ambiances sociales rendant opaque la loi morale, à certains usages favorisant diverses formes de relâchement moral (milieux de la publicité, du spectacle, rallyes et autres mondanités…) ? Jean-Paul II opère cette identification lorsqu’il parle de la « culture de mort » (Evangelium vitae, 1995, § 12). Curieusement, alors qu’il avait eu des mots très sévères contre le communisme, ou encore contre le capitalisme (Puebla, 1979), structures sociales viciées s’il en est, il n’avait pas eu recours au même concept. Il résulte de tout cela l’impression d’avoir assisté à la mise en service d’une expression imprécise, sans nécessité.
Le présent livre n’offre malheureusement pas une élucidation de la notion, et surprend par l’ampleur de l’exposé, clair quoique forcément rapide, des principes de la morale générale, incluant même des apartés sur le traité De Magistro de saint Thomas, ou encore sur la réforme des études ecclésiastiques de philosophie (2011). En définitive, le vrai sujet abordé est celui de l’objection de conscience, et donc de l’obéissance à des ordres ou à des lois positives allant contre la morale. L’auteur, conscient du légalisme régnant, propose de recourir à l’épikie, c’est-à-dire au respect de l’esprit de la loi au-delà de sa compréhension littérale. Jeu subtil lorsque l’injonction est nette comme un couperet ! La proposition peut cependant aider des scrupuleux à se prédisposer à surmonter des conflits apparents de devoirs, d’autres à se débarrasser de fausses obligations ressassées par les vecteurs de la culture dominante et leurs relais intra-ecclésiaux ; mais elle ne peut éviter le heurt direct avec une légalité de nature essentiellement positiviste, dont l’exception de légitimité ne saurait être soulevée qu’au nom du consensus et de ses maîtres. Mais surtout, et c’est le regret suscité par l’ensemble de l’ouvrage, elle laisse dans l’ombre la question principale, celle des structures sociales perverses (éventuellement même « intrinsèquement perverses »), qu’elles soient de nature politique, économique, de l’ordre des conformismes collectifs ou de mécanismes institutionnels détournés de leur finalité.