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Faté­ma Bakhaï : Oran après la mer

Ces deux romans pré­sentent cer­tains traits com­muns : l’évocation de l’Algérie des années fran­çaises, la com­pa­rai­son entre ce pas­sé et les dés­illu­sions de l’indépendance, la détes­ta­tion des « bar­bus », et quelques lieux com­muns, bak­chichs payés aux cen­seurs des deux rives de la Médi­ter­ra­née en échange d’une cer­taine garan­tie de nihil obs­tat. Faté­ma Bakhaï, avo­cate à Oran, situe sa fic­tion dans cette ville, au che­vet d’une vieille femme se mou­rant de faim à l’hôpital, racon­tant sa vie à la nar­ra­trice. Arri­vée en car­riole de l’arrière-pays, elle passe son enfance dans la pau­vre­té de la Ville Nou­velle, une ban­lieue insa­lubre d’où elle sort une fois embau­chée comme femme de ménage dans les quar­tiers du centre. De nom­breuses des­crip­tions de la vie quo­ti­dienne font res­sor­tir les rela­tions d’intimité avec le petit peuple d’origine espa­gnole, plus dis­tantes avec cer­tains Euro­péens aisés, mais dans l’ensemble et jusque vers la fin des années de guerre, sans acri­mo­nie ni révolte aucune, en dépit d’une hos­ti­li­té latente au rou­mi entre­te­nue par de vieilles femmes. Le tableau est for­cé dans le sens d’un cer­tain mani­chéisme (le bon juif, le méchant pied-noir, le bon « libé­ral » venu de Métro­pole, l’héroïque maqui­sard…) bien que l’image moyenne reste dépas­sion­née. S’ajoute à cela une cri­tique sévère des moeurs musul­manes tra­di­tion­nelles, ain­si que des pra­tiques mara­bou­tiques mêlant croyances païennes, sou­fisme et exploi­ta­tion de la cré­du­li­té.
Le roman de Boua­lem San­sal, écri­vain consa­cré inter­na­tio­na­le­ment, est d’une meilleure qua­li­té que le pré­cé­dent même si l’on peut regret­ter l’abus du genre pica­resque. Au-delà d’une his­toire sca­breuse et rocam­bo­lesque met­tant en scène une proxé­nète très forte en affaires et un petit monde fami­lial tenu à l’écart, à Bel­court, le quar­tier algé­rois d’Albert Camus, ce roman regorge de nota­tions cri­tiques ou nos­tal­giques sur l’Algérie des temps heu­reux, sur la folie des nou­veaux ter­ro­ristes, la cor­rup­tion endé­mique des maîtres du jour, et le sort des héri­tiers par­ta­gés entre réus­site écla­tante en Suisse ou au Cana­da, et le dji­hâd au Wazi­ris­tan. La cri­tique est de temps à autre très directe en pré­sence des misé­rables décon­ve­nues du demi-siècle écou­lé. Le héros prin­ci­pal, Yazid, qui a vou­lu retour­ner rue Dar­win pour dénouer les fils de ses ori­gines, conclut sa quête sur des pro­pos très désa­bu­sés : « Me voi­ci arri­vé au bout de ma route. Je vais main­te­nant par­tir, chan­ger de pays, et apprendre à vivre hors des conven­tions et des pactes, dans la seule véri­té de la vie, dans la seule véri­té du moment. » Faut-il y voir le regret à peine voi­lé d’un grand ratage his­to­rique ?