Revue de réflexion politique et religieuse.

Redé­cou­vrir l’oeuvre de Charles De Koninck

Article publié le 17 Fév 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Si l’on se sou­vient encore un peu, aujourd’hui, sur le conti­nent amé­ri­cain, de la contro­verse qui a eu lieu en 1945 au Cana­da autour de la notion de bien com­mun, en France, quoique le per­son­na­lisme en vogue à ce moment-là fût d’origine essen­tiel­le­ment fran­çaise, tout est depuis long­temps presque com­plè­te­ment oublié. Ce bref dia­logue a, sur le moment, sus­ci­té beau­coup d’intérêt en Amé­rique du Nord, mais aus­si en Amé­rique latine, ain­si qu’en Espagne et à Rome, où Charles De Koninck a quelque renom­mée. L’écho de cet échange s’explique aus­si cer­tai­ne­ment par le fait que s’y trouve indi­rec­te­ment mis en cause Jacques Mari­tain, alors prin­ci­pal repré­sen­tant du per­son­na­lisme, autant en Amé­rique qu’en Europe.
Charles De Koninck est alors pro­fes­seur de phi­lo­so­phie à l’université Laval, à Qué­bec. Par sa for­ma­tion, il est avant tout phi­lo­sophe des sciences. Catho­lique ardent, for­mé prin­ci­pa­le­ment à Lou­vain, il y devient un lec­teur assi­du de saint Tho­mas d’Aquin. En 1935, il par­ti­cipe étroi­te­ment à la fon­da­tion de la facul­té de phi­lo­so­phie de l’université Laval, long­temps répu­tée « cita­delle » du tho­misme le plus rigou­reux. Nom­mé doyen en 1939, il le res­te­ra durant plus de quinze ans.
Dans cet avant-guerre tour­men­té, une cer­taine concep­tion de l’homme et de son rôle dans la socié­té connaît un écho gran­dis­sant en France, mais aus­si sur le conti­nent amé­ri­cain, sous l’impulsion déci­sive de Jacques Mari­tain et Emma­nuel Mou­nier : parce qu’elle déclare pla­cer la per­sonne au centre de la socié­té, cette concep­tion s’intitule per­son­na­lisme. Les per­son­na­listes aspirent à rendre à la per­sonne le pri­mat sur la socié­té tou­jours sus­pecte de détour­ner l’homme de lui-même, et à rendre la socié­té à sa voca­tion la plus essen­tielle selon eux, qui est de tout mettre en oeuvre pour l’épanouissement de la per­sonne, dont les fins sont ori­gi­nai­re­ment étran­gères à tout bien poli­tique.
Dans un contexte de renou­veau des études tho­mistes, en France en par­ti­cu­lier, sous l’impulsion, notam­ment, d’Etienne Gil­son, on se réfère beau­coup au moyen âge. Mou­nier ne s’en lasse pas, quoiqu’il ne paraisse pas tou­jours s’en faire une idée très claire. On aime la pose anti­mo­derne contre l’individualisme des socié­tés déchris­tia­ni­sées, on en appelle aux Evan­giles contre les doc­trines tota­li­taires. Les per­son­na­listes pré­sentent volon­tiers, comme un des prin­ci­paux objets de l’enseignement du Christ, l’éminente digni­té de la per­sonne humaine, incom­pa­rable à quoi que ce soit dans la créa­tion natu­relle ; cha­cun étant appe­lé per­son­nel­le­ment à la béa­ti­tude céleste, rien ne sau­rait donc avoir plus de prix, par­mi les choses humaines, que l’existence per­son­nelle, c’est-à-dire l’épanouissement de la per­sonne par lequel cha­cune illustre sa digni­té d’image de Dieu.
L’enjeu de ces concep­tions est de la plus grande impor­tance aux yeux de Charles De Koninck. Dire que la per­sonne est indé­pen­dante de la cité au nom de sa digni­té même de per­sonne, c’est-à-dire en tant qu’elle est à l’image de Dieu, appe­lée à la béa­ti­tude, c’est tenir qu’elle est davan­tage une fin pour elle-même que ne l’est le bien com­mun ; que le bien per­son­nel de cha­cun, par consé­quent, est plus divin que le bien com­mun de la socié­té poli­tique qui, du même coup, se trouve écar­tée tant des fins natu­relles de l’homme que de l’économie du salut. […]

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