Revue de réflexion politique et religieuse.

Généa­lo­gie des géno­cides

Article publié le 17 Fév 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Reynald Secher, dans un der­nier ouvrage, revient une nou­velle fois sur la ques­tion du géno­cide ven­déen ((. R. Secher, Ven­dée, du géno­cide au mémo­ri­cide. Méca­nique d’un crime légal contre l’humanité, Cerf, octobre 2011, 396 p. + annexes, 24 €.)) . Fort de la mise à jour, dont le mérite lui revient, de très nom­breuses cor­res­pon­dances des auto­ri­tés civiles et mili­taires qui pré­si­dèrent au plan d’extermination mas­sive et l’exécutèrent, il trace les lignes de ce qu’il appelle le géno­cide « par petits bouts de papier » et le relie à toute l’histoire des crimes de masse qui l’ont sui­vi. Il démontre pour cela d’innombrables simi­li­tudes d’objectifs, de moyens, de tech­niques, de méthodes, de rhé­to­riques, avant de s’interroger : « La connais­sance des filia­tions qui relient l’ensemble de ces géno­cides à celui des ven­déens laisse une ques­tion pen­dante : quid de ceux-ci si le géno­cide ven­déen avait été trai­té avec la même déter­mi­na­tion que celui des juifs ? » (p. 270). Une réponse est en fait pro­po­sée dès la pré­face par le péna­liste Gilles-William Gold­na­del, pré­sident d’Avocats sans fron­tières : « La Ven­dée est le pre­mier des géno­cides contem­po­rains. C’est parce que ce crime n’a jamais été jugé au fond que le sys­tème qui l’a engen­dré n’a jamais été sanc­tion­né, que les hommes qui l’ont conçu et mis en oeuvre n’ont jamais été condam­nés, que ce crime contre l’humanité a été repris et appli­qué par les sys­tèmes de même nature mor­ti­fère comme le com­mu­nisme et le natio­nal-socia­lisme. Le reste n’est qu’une ques­tion de moyens et de temps » (p. 14). Cette série d’absences redou­tables a un nom : mémo­ri­cide. L’incroyable déni qui a accom­pa­gné toute l’histoire de défense répu­bli­caine est éga­le­ment le modèle des poli­tiques d’oubli qui ont si sou­vent recou­vert et conti­nuent de recou­vrir d’un voile d’hypocrisie odieuse les pires atro­ci­tés. Ain­si, le mémo­ri­cide, outre la jus­ti­fi­ca­tion du géno­cide pré­cé­dent par sa déqua­li­fi­ca­tion, rend plus pro­bable le pro­chain.
Nous revien­drons ici briè­ve­ment sur ces faits assez lar­ge­ment connus, que Secher déve­loppe et pré­cise, avant de nous attar­der sur la défense du sys­tème d’extermination, lon­gue­ment ana­ly­sé par Sté­phane Cour­tois, qui éreinte l’historiographie offi­cielle à tra­vers une large revue de ses auteurs dans une post­face très dense. Nous ter­mi­ne­rons par cer­taines consi­dé­ra­tions sur diverses ques­tions que sou­lève la conscien­ti­sa­tion du géno­cide et de sa conti­nua­tion morale, le mémo­ri­cide.
L’auteur relève vingt-quatre pro­cé­dés de jus­ti­fi­ca­tion du géno­cide de Ven­dée et de son mémo­ri­cide rele­vant de quatre grandes familles : la néga­tion, le rela­ti­visme, la jus­ti­fi­ca­tion et l’ostracisme (pp. 296 à 298). Il sera effec­ti­ve­ment bien dif­fi­cile de ne pas voir à tra­vers eux de nom­breuses constantes intel­lec­tuelles et ter­mi­no­lo­giques propres aux régimes exter­mi­na­teurs, dont le point com­mun est l’ancrage dans la moder­ni­té comme auto­no­mie dans la pro­duc­tion du sens, c’est-à-dire sa pro­duc­tion au fil des besoins cir­cons­tan­ciels des maîtres de l’instant. « La liber­té ou la mort » (la pre­mière est la mienne, la seconde est pour l’autre), la volon­té constante des révo­lu­tion­naires, pro­cla­mée à lon­gueur de cor­res­pon­dance, de ne renon­cer à aucun moyen sus­cep­tible de leur assu­rer un triomphe défi­ni­tif, conduit natu­rel­le­ment à la mise en oeuvre d’une poli­tique de des­truc­tion totale, la dis­pa­ri­tion de l’autre cor­ré­lant la dis­pa­ri­tion de tout autre pos­sible (poli­tique, reli­gieux, social, phi­lo­so­phique, cultu­rel…). Ain­si, « la dis­tinc­tion qui n’offre que deux alter­na­tives – ami ou enne­mi, liber­té ou mort – a été reprise par tous les sys­tèmes tota­li­taires qui s’en sont ser­vis pour jus­ti­fier leurs crimes de masse, comme l’explique Sté­phane Cour­tois dans Com­mu­nisme et tota­li­ta­risme. On ne tue pas des gens pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils sont » (p. 220). […]

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