Revue de réflexion politique et religieuse.

D’un au-delà du com­mu­nisme. Elé­ments de théo­rie

Article publié le 17 Fév 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Point n’est besoin de longs dis­cours pour défi­nir briè­ve­ment le com­mu­nisme : il suf­fit de reve­nir à Marx dont il est dif­fi­cile de nier qu’il est un orfèvre en la matière. « Les com­mu­nistes peuvent résu­mer leur théo­rie dans cette for­mule unique, l’abolition de la pro­prié­té pri­vée ». La défi­ni­tion peut paraître abrupte. Cepen­dant Marx lui-même déclare y voir le prin­cipe même de tout com­mu­nisme pos­sible : il importe donc de com­prendre pour­quoi. D’autant plus que, si cha­cun connaît la for­mule, on s’en tient géné­ra­le­ment à son sens le plus super­fi­ciel. Or, à bien réflé­chir, on s’aperçoit qu’elle confère à l’idéologie com­mu­niste un sens que la bana­li­té même de la for­mule dis­si­mule para­doxa­le­ment, mais c’est ce qu’il faut faire appa­raître.
On note­ra donc qu’il s’agit, dans les pages qui suivent, de décrire non les formes his­to­riques de l’idée com­mu­niste, mais ce qu’elles ont de com­mun et qui est l’esprit du com­mu­nisme. Si beau­coup de com­mu­nismes sont morts, leur esprit leur a sur­vé­cu : on va voir qu’il se révèle à l’oeuvre dans les socié­tés occi­den­tales contem­po­raines.

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Par­tons donc de la défi­ni­tion mar­xiste. Cer­tains diront que Marx n’a pas vou­lu abo­lir la pro­prié­té en géné­ral mais seule­ment la pro­prié­té bour­geoise. C’est lui-même qui le dit. Mais le dis­cours qui suit cet aver­tis­se­ment limi­naire le dément aus­si­tôt. S’agit-il d’abolir la pro­prié­té du petit-bour­geois, du petit pay­san ? Inutile, dit-il, le pro­grès de l’industrie l’a abo­lie et conti­nue à l’abolir chaque jour. Marx aurait dû être avo­cat : il peut d’autant mieux se défendre de vou­loir l’abolir qu’il n’est plus besoin de le faire. Mais admet­tons qu’il n’en ait pas vou­lu la mort : c’est néan­moins à la condi­tion énon­cée sans trop en avoir l’air, qu’elle ne laisse aucun béné­fice sus­cep­tible de don­ner un pou­voir sur le tra­vail d’autrui. Toute pro­prié­té est illé­gi­time qui engendre pour son pro­prié­taire un sur­plus dis­po­nible inutile à sa sur­vie : le bou­lan­ger ne sau­rait pos­sé­der le pain dont ne peut se pas­ser un homme qui meurt de faim, non plus que le pain qu’il peut confec­tion­ner non parce qu’il lui est néces­saire mais pour s’enrichir en le ven­dant. (« Il faut abo­lir la liber­té du com­merce, la liber­té de vendre et de s’enrichir. ») « Les ani­maux, » disait Bris­sot, « sont pro­prié­taires ain­si que l’homme », et devraient ser­vir de modèle, eux qui à la fois ne pos­sèdent que ce qu’ils se sont mis dans l’estomac et aus­si bien ne pos­sèdent rien parce que la consom­ma­tion, qui est d’une cer­taine manière une appro­pria­tion, est d’une autre manière la des­truc­tion de ce qui est pos­sé­dé. Plus rien à voir donc avec la pro­prié­té dans son sens clas­sique qui est pro­prié­té d’une réserve pour le len­de­main. De la défi­ni­tion mar­xiste il suit encore que tout ce que les uns ne s’approprient pas pour leur consom­ma­tion immé­diate ne leur appar­tient pas mais est à la dis­po­si­tion vir­tuelle de tous : quand bien même on sup­po­se­rait que le com­mu­nisme, dont Marx veut for­mu­ler l’idéal, n’interdirait pas la petite ou la toute petite pro­prié­té, dans la mesure où celle-ci équi­vaut à une appro­pria­tion indis­pen­sable à la repro­duc­tion de la vie, ce pré­ten­du main­tien d’une petite pro­prié­té pri­vée, essen­tiel­le­ment mini­male, consti­tue en réa­li­té une abo­li­tion radi­cale de la pro­prié­té au sens com­mun du terme, rem­pla­cée par le droit de consom­mer dans la mesure de ses besoins des biens essen­tiel­le­ment col­lec­tifs. Ce que dit très clai­re­ment Marx : « Le com­mu­nisme n’enlève à per­sonne le pou­voir de s’approprier des pro­duits sociaux » ; la prise au tas est légi­time, pas la pro­prié­té pri­vée.
On doit remar­quer qu’un tel régime ne peut conve­nir qu’à des hommes qui vivent au jour le jour, sans famille parce que sans sou­ci d’en entre­te­nir une, et sans autre charge que celle de pro­duire sans cesse, ano­ny­me­ment et per­son­nel­le­ment, pour ajou­ter à la manne com­mune. Le com­mu­nisme est la phi­lo­so­phie spon­ta­née de l’homme qui naît enfant trou­vé et meurt céli­ba­taire, quoique contraint de tra­vailler. […]

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