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Gene­viève Gavi­gnaud-Fon­taine : Les catho­liques et l’économie-sociale en France XIXe-XXe siècles

Il faut rendre hom­mage à Gene­viève Gavi­gnaud-Fon­taine d’avoir réus­si le pari dif­fi­cile de résu­mer, sans som­brer dans la cari­ca­ture, les lignes de force des dif­fé­rentes théo­ries d’économie poli­tique qui se suc­cèdent ou riva­lisent en France depuis le XVIIIe siècle. L’honnête homme, s’il existe encore car, depuis qua­rante ans, les « esprits ornés » – pour reprendre la for­mule d’Alain Pey­re­fitte (1925–1999) – ne sont plus légions, goû­te­ra l’exposition claire des doc­trines qui, pro­gres­si­ve­ment, ont mis l’Etat au ser­vice de l’expansion éco­no­mique, le détour­nant du ser­vice du bien com­mun. Avec finesse, l’auteur sou­ligne com­bien la quête de la jus­tice sociale par l’apologie du mar­ché auto­ré­gu­la­teur, autre­ment dit l’ordolibéralisme, ne peut être assi­mi­lé à la jus­tice éco­no­mique. Les fidèles des reli­gions chré­tiennes sont très atta­chés à cette der­nière. Les chré­tiens sociaux pour les Eglises issues de la Réforme ou les catho­liques sociaux pour les fidèles de l’Eglise romaine sont nés, comme tous les socia­lismes, aux len­de­mains de la Révo­lu­tion fran­çaise. La vita­li­té de ces mou­ve­ments, qui ont cher­ché à pro­mou­voir une éco­no­mie sociale chré­tienne, fut grande au XIXe siècle et dans la pre­mière par­tie du XXe siècle. Sur ce point, l’auteur, en orien­tant son ana­lyse vers les ques­tions stric­te­ment éco­no­miques et sociales, donne une bonne syn­thèse des tra­vaux de Jean-Bap­tiste Duro­selle, d’Emile Pou­lat, de Phi­lippe Levil­lain et de bien d’autres. Force lui est de consta­ter l’assèchement actuel de ce cou­rant poli­tique, en dépit des efforts faits par cer­tains hommes poli­tiques pour le remettre à flot. La résur­rec­tion des Semaines Sociales de France est l’exemple type de ces ten­ta­tives.
Ce livre bien construit et docu­men­té ne rend pas assez compte de l’impuissance crois­sante de la reli­gion chré­tienne à mode­ler un monde éco­no­mique et social com­pa­tible avec sa concep­tion non de l’homme – le mot est gal­vau­dé – mais de la per­sonne com­prise dans la défi­ni­tion de la doc­trine sociale de l’Eglise. Tout un tra­vail demeure à accom­plir sur les prin­cipes théo­lo­giques qui forment le socle de la foi des fon­da­teurs du catho­li­cisme social. On sait depuis des lustres qu’ils sont les héri­tiers spi­ri­tuels de Maistre et Bonald, sans jamais sou­li­gner com­bien ces deux théo­ri­ciens sont mus par une concep­tion jan­sé­niste de la faute ori­gi­nelle et de la per­sonne. Ce pes­si­misme étant admis comme la Tra­di­tion de l’Eglise, il est facile de fran­chir le pas de la révé­la­tion du social et de lui attri­buer, à l’instar de Bonald, une logique de déve­lop­pe­ment propre qui ne sau­rait se confondre avec celle de la per­sonne « aux volon­tés dépra­vées » (Bonald). La théo­lo­gie d’Alphonse de Liguo­ri et des rédemp­to­ristes n’a pas eu de prise sur les catho­liques sociaux qui cher­chèrent les voies de la réno­va­tion sociale dans les sciences humaines plu­tôt que dans la théo­lo­gie morale.
Car c’est un des grands mérites de ce livre que d’ouvrir à une réflexion et à une recherche renou­ve­lée sur les liens entre le tem­po­rel et le spi­ri­tuel dans la France post-révo­lu­tion­naire pour com­prendre l’évanouissement des valeurs chré­tiennes dans la vie civique et sociale.