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Le col­lap­sus édu­ca­tif

La décom­po­si­tion du lien social tant déplo­rée depuis des années n’a pas pour cause unique la crise de l’éducation fami­liale, sociale, patrio­tique, reli­gieuse. Mais celle-ci en consti­tue l’un des prin­ci­paux fac­teurs en même temps qu’elle en donne l’image la plus immé­dia­te­ment per­cep­tible : effon­dre­ment de la culture – fruit direct de l’échec du sys­tème sco­laire sous contrôle éta­tique, de la mater­nelle à l’université – et indif­fé­rence ou mépris pur et simple du bien com­mun, du van­da­lisme à la haine de soi. Au-delà des nuances qui s’imposent, la remarque vaut pour la plu­part des pays occi­den­taux. Ce constat géné­ral, quelles que soient les néga­tions effron­tées et les hypo­crites dénon­cia­tions arrê­tées à mi-course, met certes en cause l’incurie poli­tique ou les inté­rêts de cer­tains groupes sociaux. Mais les racines du mal sont plus pro­fon­dé­ment à recher­cher dans les idéo­lo­gies édu­ca­tives issues des Lumières et par­ve­nues, au stade de la post­mo­der­ni­té, à une sorte de furie du nivel­le­ment par le bas. Zyg­munt Bau­man a fait remar­quer que par un effet non inno­cent d’inversion, l’individualité est exal­tée comme jamais dans le pas­sé de la moder­ni­té, mais se voit offrir comme unique moyen de réa­li­sa­tion le confor­misme et le déra­ci­ne­ment his­to­rique ((. Cf. Z. Bau­man, La vie liquide, Le Rouergue/Chambon, Rodez, 2006. C’est pour cette rai­son, explique le socio­logue, que « le pas­sé tend sys­té­ma­ti­que­ment à être détruit » (ibid., p. 173).)) . A ce sujet, nous avons inter­ro­gé Inger Enk­vist, pro­fes­seur à l’Université de Lund, en Suède (lit­té­ra­ture espa­gnole et lati­no-amé­ri­caine, études romanes) et auteur de nom­breux ouvrages en sué­dois et en espa­gnol, notam­ment Repen­sar la edu­ca­ción (Edi­ciones inter­na­cio­nales uni­ver­si­ta­rias, Pam­pe­lune, 2006). Experte dans l’observation des phé­no­mènes de des­truc­tion lin­guis­tique et des ravages de la théo­rie du « genre », elle a spé­cia­le­ment étu­dié les idéo­lo­gies éga­li­ta­ristes mises en oeuvre dès l’école élé­men­taire.

Catho­li­ca – Par­tons d’un constat, vou­lez-vous : nous sommes bien devant une crise de l’éducation ?

Inger Enk­vist – Oui, bien sûr qu’il y a une crise édu­ca­tive. Cela se véri­fie tant dans le niveau de connais­sances des élèves que dans leur conduite, autre­ment dit dans les deux sens du mot édu­ca­tion. On constate les effets de cette crise lorsqu’on tra­verse le centre d’une ville et qu’on voit ses murs tagués, des ordures et des mégots sur le sol, les arrêts d’autobus détruits pour le plai­sir de détruire. Tout aus­si triste est le spec­tacle des jeunes réunis pour consom­mer de l’alcool. Les jeunes d’aujourd’hui jouissent d’une situa­tion éco­no­mique plus favo­rable que celle de toutes les géné­ra­tions anté­rieures, et mal­gré cela, ils choi­sissent d’utiliser leur liber­té et leurs res­sources de manière néga­tive. Cette dégra­da­tion s’est pro­duite petit à petit, tan­dis que les auto­ri­tés n’ont ces­sé de dire que tout allait de mieux en mieux, et que beau­coup de gens ont tar­dé à se rendre compte de la situa­tion réelle.
On constate une évi­dente perte de la maî­trise de la langue, affec­tant non seule­ment le lexique, l’orthographe, la syn­taxe mais aus­si évi­dem­ment les concepts cor­res­pon­dants. En quoi cette perte de maî­trise tra­duit-elle la pro­fon­deur de la crise ?
Effec­ti­ve­ment, la réduc­tion de l’agilité lin­guis­tique tra­duit ce qui s’est pas­sé en matière d’éducation. Ce résul­tat est une com­bi­nai­son de ce qui a affec­té la famille, l’école et les médias. Les échanges entre les membres de la famille se sont réduits parce que cha­cun a son horaire propre et s’occupe de soi. La conver­sa­tion est rem­pla­cée par le son de la télé­vi­sion.
Dans la chambre d’un jeune, il y a presque tou­jours un ordi­na­teur, mais pas tou­jours des livres, et l’ordinateur est uti­li­sé pour jouer et pour écrire des mes­sages aux amis plus que pour étu­dier. A l’école, la baisse du niveau de capa­ci­té d’expression est en rela­tion avec la nou­velle péda­go­gie qui valo­rise avant tout l’apprentissage dit actif. Ce que l’on consi­dère comme actif est tout ce qui est lié au mou­ve­ment et à l’activité manuelle plus qu’à l’activité men­tale. Aupa­ra­vant l’école se carac­té­ri­sait par un accent mis sur l’écoute, la lec­ture et l’écriture. Les élèves écou­taient le pro­fes­seur et lisaient les manuels, c’est-à-dire qu’ils étaient en contact avec des sources com­pé­tentes en matière d’usage du lan­gage. […]