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Mesure de l’art contem­po­rain

La per­plexi­té se lit sur le visage des visi­teurs qui entrent dans la salle d’exposition du monas­tère médié­val des Ber­nar­dins récem­ment res­tau­ré à Paris. Beau­coup ne peuvent s’empêcher de s’écrier : « Que s’est-il pas­sé ? C’est du van­da­lisme. » Ils voient des ran­gées ver­ti­cales de verre, bri­sées, grandes comme des vitrines de maga­sins. Sur les murs des traces de fumée, de suie, lais­sées par des rayon­nages de livres brû­lés. Un guide se fait apai­sant : l’exposition figure les dom­mages qu’a subis le couvent au cours de son his­toire. Cette expo­si­tion, à l’automne 2008, consti­tuait l’ouverture du Centre cultu­rel catho­lique – après son inau­gu­ra­tion par le Pape Benoît XVI qui pro­non­ça un remar­quable dis­cours sur le rôle du mona­chisme dans la culture euro­péenne.

Il est dif­fi­cile de dire si la réac­tion hou­leuse des visi­teurs venait plu­tôt de la réflexion ou si elle était incons­ciente, si elle rele­vait du réflexe ou si c’est ce que l’on appelle dans l’art contem­po­rain le « retour des émo­tions », termes pro­po­sés par le com­mis­saire de l’exposition Cathe­rine Gre­nier dans son livre La revanche des émo­tions. Il est effec­ti­ve­ment dif­fi­cile de res­ter indif­fé­rent, de gar­der sa séré­ni­té d’âme devant la « créa­tion » de ce concep­teur ita­lien. Le terme de concep­teur convient mieux, me semble-t-il, que le terme d’artiste étant don­né le rem­pla­ce­ment com­plet des moyens tra­di­tion­nels de repré­sen­ta­tion, de la pein­ture, du bronze, du marbre, etc., par tout ce qui tombe sous la main, par exemple un veau mort coif­fé d’une cou­ronne dorée dans un aqua­rium rem­pli de for­mol. Il ne reste plus qu’à rem­pla­cer le nom de Mau­so­lée de Lénine sur la place Rouge par Gale­rie d’art contem­po­rain avec expo­si­tion per­ma­nente du même objet… pour faire émo­tion. Emo­tion devant le « maître » russe qui court tout nu à quatre pattes en fai­sant le chien et en mor­dant les mol­lets des visi­teurs, devant le concep­teur chi­nois du groupe Cadavre qui mange des fœtus humains. Note d’élégance, de coquet­te­rie contem­po­raine, un concep­teur, repré­sen­tant du beau sexe, change sans arrêt d’apparence en fai­sant des opé­ra­tions ; le résul­tat de la der­nière opé­ra­tion est qu’elle a main­te­nant deux mon­ti­cules sur le front. Ce que nous décri­vons aurait sa place dans les tabloïds, ou dans un diag­nos­tic psy­chia­trique, si cela ne s’exposait pas dans des lieux pri­vi­lé­giés : musées, gale­ries, salles d’exposition, comme celle du couvent pari­sien nou­vel­le­ment res­tau­ré. L’appellation « art contem­po­rain » est-elle l’une des nom­breuses expres­sions du genre « art gas­tro­no­mique », « art de vivre », dans les­quelles est signi­fié un cer­tain état d’excellence, d’accomplissement ? Ou bien a‑t-elle sa place dans la famille his­to­rique de l’art des Grecs, des Egyp­tiens, des maîtres médié­vaux ?
Car, ici, il n’y a pas de doute quant au terme « art » dans l’esprit d’un homme de bon sens. Prê­tons jus­te­ment l’oreille à cette voix du bon sens. La réac­tion spon­ta­née des visi­teurs au col­lège des Ber­nar­dins en est la mani­fes­ta­tion. Ain­si que le sen­ti­ment de nau­sée devant ce que nous avons décrit plus haut. Nous vivons dans un monde où, sans exa­gé­ra­tion, il est pos­sible de dire : appe­ler les choses par leur nom, dire que le noir est noir et le blanc est blanc, devient de plus en plus dif­fi­cile. Devant la lai­deur, il faut impé­ra­ti­ve­ment incli­ner la tête ; et pas­ser sans le voir devant ce qui est beau. Prendre l’inexistant pour l’être. Néan­moins, dans ce monde d’illusions et de chi­mères, le bon sens, comme un navire conduit par une main ferme, trouve un vrai che­min. Il se fonde sur l’essence des choses et des êtres et tend vers la lumière sans laquelle la vie est impos­sible. Le bon sens est dépo­sé dans la pro­fon­deur de la nature humaine, comme un ins­tinct. Il est le résul­tat d’une longue his­toire et de l’expérience de nom­breuses géné­ra­tions : ce centre ima­gi­naire de l’équilibre auquel la conscience rap­porte tous les mou­ve­ments de l’âme. Le bon sens a le sen­ti­ment de l’harmonie, de l’accord orga­nique qui per­met à l’homme, comme un funam­bule avec sa perche, de pas­ser au-des­sus de l’abîme du
men­songe. Il a une sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière grâce à laquelle il fait la dif­fé­rence entre la véri­té et le men­songe, la beau­té et la mons­truo­si­té.
Ses enne­mis décla­rés sont toutes les idéo­lo­gies : par essence elles sont des créa­tions arti­fi­cielles, alors que le bon sens est orga­nique. Il voit le monde non pas comme un chaos mais construit sur la base de sub­stances immuables. […]