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Lec­ture : « Mort céré­brale » et mort de l’être humain

La ques­tion rela­tive à la valeur des signes qui attestent la mort d’un être humain peut sem­bler être un sujet réser­vé à des experts cli­niques ou sémio­tiques et rele­ver d’un champ de recherches spé­cia­li­sé dont l’éthique, le droit, la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie seraient exclus. Ce thème est sou­vent pré­sen­té comme pure­ment tech­nique, ne lais­sant pas la place à une réflexion d’un autre ordre. Cepen­dant, si l’on se penche un peu plus atten­ti­ve­ment sur ce sujet, il appa­raît bien vite qu’une telle posi­tion n’est pas tenable si l’on veut rendre compte cor­rec­te­ment de la réa­li­té : la ques­tion ne peut être sai­sie que dans son ensemble, en incluant ses aspects phi­lo­so­phiques, éthiques, juri­diques et théo­lo­giques. Plu­sieurs consi­dé­ra­tions peuvent être invo­quées à l’appui de cette affir­ma­tion.
En 1968, le comi­té ad hoc de la Har­vard Medi­cal School iden­ti­fiait la « mort céré­brale » et la mort du sujet humain et jus­ti­fiait ses propres conclu­sions par des argu­ments qui n’étaient pas cli­niques mais prag­ma­tiques et pra­tiques, en évo­quant la néces­si­té de mettre un terme aux soins vitaux afin de libé­rer des ins­tru­ments et de la place et, sur­tout, de récu­pé­rer des organes. Com­ment ne pas évo­quer éga­le­ment les obser­va­tions péné­trantes du phi­lo­sophe contem­po­rain Hans Jonas au sujet de l’identification de la mort du sujet humain et de la « mort céré­brale », tant du point de vue des cri­tères de véri­fi­ca­tion que de celui des consé­quences et de la res­pon­sa­bi­li­té de son appli­ca­tion : « Une fois que l’on est sûr d’avoir affaire à un cadavre, il n’existe pas de motifs logiques oppo­sés à la pour­suite d’une irri­ga­tion san­guine arti­fi­cielle (la vie simu­lée) et à l’utilisation du corps du défunt comme une banque d’organes vivants et, poten­tiel­le­ment, comme une fabrique d’hormones et d’autres sub­stances bio­chi­miques utiles. Au contraire, il existe des motifs prag­ma­tiques solides de consi­dé­rer les choses de cette manière. Je ne doute pas qu’il soit pos­sible de main­te­nir dans un tel corps la capa­ci­té natu­relle de cica­tri­ser, de gué­rir des bles­sures engen­drées par une opé­ra­tion et de pou­voir sup­por­ter diverses inter­ven­tions ».
On peut enfin évo­quer l’approche juri­dique de la « mort céré­brale », qui implique de consi­dé­rer le sujet décla­ré en état de « mort céré­brale » comme un cadavre. Dans les faits, une telle consi­dé­ra­tion ne peut avoir toutes ses consé­quences concrètes : l’expérience montre qu’aucun sujet dont le cœur bat n’est ense­ve­li, ce qui veut dire que la mort n’est pas consi­dé­rée comme réelle. De cette iden­ti­fi­ca­tion découle cepen­dant la pos­si­bi­li­té d’interrompre tout soin – y com­pris sim­ple­ment vital –, la pos­si­bi­li­té de pra­ti­quer le pré­lè­ve­ment d’organes à cœur bat­tant, autre­ment dit la dis­pa­ri­tion, pour le sujet, du droit à la vie et de la tutelle juri­dique. […]