[note : cet article a été publié dans catholica, n. 39, pp. 37–44]
La concentration urbaine, née du travail prométhéen sur la matière inerte, a eu pour conséquence de conférer à la rue et à l’architecture des fonctions, voire une mission, qui sont à la fois le reflet et le moteur d’une vision du monde dans laquelle la production a été substituée à la Création. Le mot intérieur, naguère encore utilisé pour désigner un domicile, impliquait une référence à une intimité à laquelle participait une famille réunie autour d’un foyer, centre de chaleur physique et spirituelle. Jusque dans sa misère, la chaumière possédait une beauté quasi métaphysique dans la mesure où elle était l’image même d’un refuge offert à l’homme errant sur cette terre. Le devoir d’hospitalité ou la nécessité de se défendre conféraient à l’habitation tout le sérieux du recueillement et de la communion. Dans les villages et les villes, les maisons étaient généralement construites autour de l’église dont elles constituaient autant de satellites. Possédant rarement plus d’un étage et comme rivées à l’horizontalité de la terre, les maisons étaient dominées par la verticalité du clocher, qui n’était pas une tour escaladant le ciel, mais une flèche en rappelant la présence.
Quant aux rues, elles étaient essentiellement des lieux de passage qui conduisaient d’un intérieur à un autre, ou qui menaient à la Grand Place où se tenaient les marchés et les foires, lieux de réunion où l’on échangeait marchandises, paroles et nouvelles. Sales, non éclairées et peu sûres, les rues étaient surtout le lieu de « mauvaises rencontres » et l’on ne s’y attardait guère. Pourtant, elles conservaient en elles quelque chose de cicatriciel car elles avaient été dessinées non par quelque urbaniste épris de fonctionnel, mais par des hommes qui peu à peu avaient laissé sur le sol les traces de leurs pas. Elles n’avaient été ni percées ni construites, elles avaient été lentement frayées par de multiples passages et c’était de part et d’autre de ces signatures que les habitations avaient été construites et continuaient de l’être. Aussi ces rues portaient-elles des noms qui aujourd’hui nous semblent pittoresques et qui se rapportaient à des corps de métier ou à des événements marquants qui s’effacèrent ensuite peu à peu de la mémoire des hommes.
Certes, entrer dans un intérieur impliquait que l’on en fût déjà sorti, mais la sortie était surtout ce qui séparait deux entrées ; l’intérieur s’ouvrait sur une intimité où l’on était chez soi. Je suis chez moi, tu es chez toi, il est chez lui, se conjuguaient d’une manière qui n’excluait pas tout égoïsme ni toute vanité, mais qui impliquait tout de même la référence à des personnes dotées d’une vie intérieure. C’est ce que tentent de nous faire sentir ces tableaux de peintres flamands où l’on voit une porte qui s’ouvre sur une pièce qui s’ouvre elle-même sur une autre pièce, et ainsi à l’infini comme jusqu’au plus profond de l’être.
Quant aux relations, elles s’établissaient « de porte à porte » ; on se réunissait pour les grands événements de la vie : naissance, mariage, maladie, mort, qui faisaient éprouver à chacun à la fois le retour d’une Visitation et le caractère inexorable de la fuite du temps. Il ne s’agit naturellement pas de décrire avec nostalgie quelque « bon vieux temps passé » qui n’aurait existé que dans les contes de fées, mais il importe de comprendre tout ce qu’implique et tout ce que représente ce dans quoi se débat l’homme d’aujourd’hui. Car il y a quelque chose d’éminemment ontologique dans la naissance et dans le développement des mégapoles tentaculaires qui ont pour contrepartie une désertification des campagnes et l’apparition de problèmes insolubles liés à la promiscuité vénéneuse dans les agglomérations et aux entassements pervers dans les concentrations urbaines. La personne y est, en effet, dévorée par les cadences que lui impose ce nouveau Léviathan qu’est devenue la Grande Ville où chacun éprouve de plus en plus tragiquement la détresse solitaire à laquelle condamne l’être-ensemble.
La Bible a toujours mis en garde contre les prestiges de la ville. La première fut fondée par Caïn qui lui donna le nom de son fils ; Hénoch fut donc créée par celui qui avait fait entrer la mort dans le monde, la ville, qui sera donnée pour le haut lieu de la fraternité, repose sur un fratricide, ce que confirme la fondation de Rome. Babel, Sodome, Gomorrhe, Babylone sont ces places où les hommes tournèrent le dos à Dieu pour y donner libre cours à leurs passions et à leurs lois. Les villes d’aujourd’hui en sont les héritières. La Grande Ville, née des exigences de la production industrielle, c’est-à-dire des travaux de Prométhée et de Faust, est devenue le temple des œuvres sans Grâce, des communications sans communion, des messages sans Message, des réseaux sans sujets. Tout y a été mis en œuvre par l’Homme devenu Dieu pour que soient éliminés le sujet, le prochain et le Tout-Autre au profit d’une pieuvre sans âme baptisée Humanité, Société, Race, Classe, Parti, Etat.
La célèbre proclamation de Sartre, selon laquelle nous devons nous délivrer de la vie intérieure parce que « tout est dehors, tout jusqu’à nous-mêmes » et pour qui « nous nous découvrirons […] sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes ((. J.-P. Sartre, Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : L’intentionnalité, in Situations I, Paris, Gallimard, 1947, p. 34–35.)) , ne marque nullement le point de départ d’une nouvelle conception du monde se donnant la bonne conscience des alibis pétitionnaires, elle est la profession de foi d’une « belle âme » qui, à la différence de celle dont Hegel fait le procès et qui vit « dans l’angoisse de souiller la splendeur de son intériorité par l’action » ((. Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit, traduction J. Hyppolite, Paris, Aubier, 1941, t. II, p. 189.)) , vit dans l’angoisse de souiller la splendeur de l’action par une reconnaissance de l’intériorité.
C’est pourquoi la rue n’est plus ce lieu où le passant pouvait aller d’un foyer à un autre, elle est devenue l’égout collecteur où des torrents de piétons se voient offerts, ou refusés, les objets des désirs et de la concupiscence. Tous les rez-de-chaussée des rues principales sont occupés aujourd’hui par des vitrines de magasins chargées de provoquer des envies et des besoins artificiels que la publicité renforce encore en les chargeant d’érotisme. A tel point que les rues dites « piétonnes » qui semblent libérer le piéton des dangers et des bruits des véhicules, sont en réalité des moyens pour polariser l’attention de celui-ci sur des marchandises en lui évitant d’être distrait par des problèmes de circulation.
La rue n’est plus un lieu où l’on passe, mais un lieu où l’on vit de plus en plus intensément ; c’est dans la rue que l’on s’exprime ((. Dans divers domaines, l’homme de la rue est pris comme norme de référence.)) soit par des graffiti soit en y descendant car la manifestation remplace le dialogue argumenté. Dans les petites villes, on pratique fréquemment le rite socioexistentiel qui consiste à « faire la Grand Rue » les jours de repos ou à la sortie du travail. Si bien que l’on peut dire que l’habitation n’est plus tellement ce lieu où l’on entre pour pouvoir y demeurer, mais celui d’où l’on sort afin de s’en évader ; d’où le prestige dont jouissent ceux qui « sortent beaucoup » parce qu’ils ont les moyens de le faire.
C’est pourquoi les noms de rues n’évoquent plus des noms de corporation, ni des événements qui frappèrent une communauté d’hommes ayant le sentiment d’appartenir non pas à une même ville, mais à un même corps. Les noms de ville commémorent aujourd’hui des dates de l’histoire nationale ou des grands hommes dont les connaissances et les idées philanthropiques permirent à la société de « franchir une nouvelle étape sur la voie du progrès ». Ces noms de rues n’ont pas jailli lentement d’une tradition forgée par un temps qui creusait son lit dans la vie quotidienne, ils furent choisis et imposés par un conseil municipal soucieux d’éduquer ((. A Dijon, une ancienne municipalité progressiste a fait suivre les noms des rues d’un bref commentaire édifiant ; c’est ainsi qu’Emile Zola est qualifié d’«écrivain aux convictions matérialistes”, alors que saint Bernard est laïcisé par l’appellation : « Orateur et homme politique ».)) une population à qui il « voulait du bien ».
Ces rues, où tout passe et où rien ne se passe sinon du délictueux en tout genre, ont atteint le comble de l’anonymat aux Etats-Unis où les villes-champignons sans aucun passé sont rectilignement quadrillées par des avenues et par des rues qui se croisent à angles droits et qui ne sont désignées que par des numéros. Descartes en aurait peut-être été satisfait lui qui déplorait que, dans les vieilles bourgades, les édifices soient « arrangés, ici un grand, là un petit, […] comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait plutôt que c’est la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison qui les a ainsi disposés » ; à ses yeux ces anciennes cités étaient ordinairement « mal compassées au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace dans une plaine » ((. Descartes, Discours de la méthode, Deuxième partie.)) .
Pourtant ici, il faut se défier plus que jamais du planificateur rationaliste et de ses vérités obligatoires. Tous les « Big Brothers », chargés par eux-mêmes et par leurs courtisans, d’organiser la vie de la cité et celle des citoyens selon le sens de l’histoire, veulent être des architectes et des urbanistes régentant la circulation des idées, comme celle des produits et des véhicules. Ils pensent volontiers avec Descartes « qu’il est malaisé en ne travaillant que sur les ouvrages d’autrui, de faire des choses fort accomplies » ; ils désirent réaliser l’entreprise, à laquelle toutefois Descartes disait que personne n’avait assisté, de jeter « par terre toutes les maisons d’une ville pour le seul dessein de les refaire d’autre façon et d’en rendre les rues plus belles » ((. Descartes, loc. cit.)) . Le désir de faire table rase du passé et de forger l’avenir grâce à un paradis scientifique urbain anima aussi bien Hitler ((. Que l’on songe au plan du futur Berlin prévu dès 1939 par Albert Speer l’architecte du IIIe Reich.)) que Staline ((. On connaît le pompiérisme architectural dont Staline enlaidit l’URSS et les pays communistes.)) que Ceausescu ((. Ceausescu fit raser tous les monuments historiques du centre de Bucarest pour y construire des bâtiments de « style révolutionnaire ».)) ou que Mao Tse Toung. Dans les pays libéraux pullulent les architectes et les urbanistes qui travaillent, et réussisent, à convaincre les ministres décideurs qu’ils ont trouvé le moyen de concilier le fonctionnel et la beauté en mettant l’un et l’autre au service de la « qualité de la vie » qui sera d’ailleurs ensuite prise en charge par le gouvernement ((. Que l’on songe, par exemple, aux Salines construites par C.-N. Ledoux en 1770, au Village de l’Unité et de la Mutuelle coopération de Robert Owen (1817), à la Garden City d’Ebenezer Howard (1898), au Familistère construit à Guise par Jean Baptiste Godin (le fabricant des célèbres poëles du même nom) à partir des idées de Charles Fourier, à la « Ville pour trois millions d’habitants » dessinée par Le Corbusier en 1922.)) .
Le plan organisateur est simple. Puisqu’il n’y a plus de vie intérieure, mais que seul existe l’être-ensemble, la ville devra assumer une double fonction : permettre au dynamisme de l’être-ensemble de réguler ses courants grâce à des rues et à des routes, permettre au statisme de l’être-ensemble de fixer ses repos grâce à des blocs d’immeubles juxtaposés de telle manière qu’ils occupent le moins de place possible sur le sol, d’où la prolifération des tours. L’urbanisme socio-positiviste réduit donc le vivre-ensemble à deux problèmes : celui du charriage et celui de l’entassement. Les artères et les moyens de transports sont chargés de résoudre le premier, les parallélépipèdes horizontaux ou verticaux sont chargés de résoudre le second. Des réseaux de télécommunications par l’écrit, le son et l’image assurent la cohésion du tout en transportant les informations nécessaires.
Mais il faut, en outre, faire place à une « quatrième » dimension. C’est d’elle dont se chargent les lieux de plaisir ou de spectacles, les centres de loisirs et surtout les différentes formes de Disneylands qui prolifèrent ; ils doivent fabriquer et distribuer un opium du peuple euphorisant ; les « attractions » multiplient les « distractions » qui font du divertissement, dont Pascal donna une admirable critique, le nouveau roi du monde. Drogues sonores, drogues cinématographiques, jeux vidéo, réalités virtuelles, viennent compléter la panoplie des drogues chimiques qui permettent de « s’éclater », de « se défoncer ». Les taggers marquent d’ailleurs leur territoire de ce programme revendicateur : Sex, Dope and Rock’n Roll.
Cette architecture du vide et anti-humaine est tout à fait caractéristique d’un monde invertébré mais harcelant, où les intellectuels en vogue ne cessent de célébrer la mort de l’homme et la disparition du sujet ; elle fait le plein du vide après que d’autres ont fait le vide du plein. C’est pourquoi elle engendre toutes les formes possibles de marginalité, toutes les détresses et les fuites qui cherchent une chaleur artificielle et « conviviale » dans les clubs, les bandes ou les sectes.
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Qu’en est-il des églises chrétiennes dans ces systèmes babéliques ? On s’est souvent indigné de la formule qui faisait de la philosophie l’ancilla theologiæ, sans voir qu’ancilla voulait dire ici non pas domestique ni esclave mais bien servante au sens où l’on parle de « la servante du Seigneur ». Or aujourd’hui la situation a été inversée et la théologie est devenue bien souvent la servante de la philosophie, allant chercher dans la phénoménologie, l’évolutionnisme, l’existentialisme, le structuralisme, le heideggerianisme, voire dans le marxisme, des idéologies de regonflage. La nouvelle architecture n’a pas échappé à cette tendance.
Jadis existait une architecture sacrée. Les noms des architectes ayant construit les cathédrales nous sont la plupart du temps inconnus ; en revanche, chaque ouvrier signait d’une marque la pierre qu’il taillait. Maçons, sculpteurs de tympans et de chapiteaux, charpentiers, fondeurs de cloches, peintres, couvreurs, facteurs d’orgue, tous participaient dans une profonde communion à l’élévation d’un temple qui sanctifiait l’espace et le temps et à l’intérieur duquel les fidèles écouteraient la Parole de Dieu, chanteraient sa Gloire et battraient leur coulpe en confessant leurs péchés. Les Mystères de la Création, de l’Incarnation, de l’Eucharistie, de la Résurrection et du Jugement Dernier étaient ainsi célébrés en un édifice situé dans la ville mais s’en abstrayant.
Aujourd’hui il n’existe plus guère d’art sacré, mais seulement un art religieux qui, sous prétexte de vivre avec son temps, se laisse dévorer par celui-ci. La crainte d’être taxé de « passéiste » et le souci de « s’ouvrir à la modernité » ont fait des églises non plus des temples mais de simples bâtiments à usage liturgique. Blocs vitrés ressemblant à de grandes gares d’autobus, bâtiments en aluminium faisant songer au Musée Georges Pompidou ((. L’architecture de ce Musée, que les chauffeurs de taxi appellent « la raffinerie », est des plus édifiantes et illustre fort bien le rejet de la vie intérieure puisque tout ce qui, jusque là, était caché dans une construction (tuyaux, cables, etc.) se trouve exhibé au dehors.)) , ornementations issues d’un cubisme résiduel, allégories primaires, symbolisme de pacotille, rituels tenant parfois du sketch, font trop souvent des églises « modernes » ((. Le prestige de ce qui est moderne confine au terrorisme intellectuel ; à la moindre réserve émise à l’égard d’une œuvre qualifiée de “moderne”, on brandit aussitôt le spectre (hélas ! bien réel) des pogroms hitlériens contre « l’art dégénéré » ; mais on se garde de rappeler les persécutions staliniennes contre « l’art décadent bourgeois ».)) des édifices parmi d’autres édifices et qui ne s’en distinguent que par une croix fildeférique, à peine visible, disposée sur le toit. Lorsqu’on franchit la porte de tels bâtiments, on se surprend à y parler à haute voix tant l’atmosphère de recueillement dont est empreinte une église romane est absente de ce lieu. On n’y pénètre pas, on y entre comme on entre dans un magasin.
Dans La cathédrale, Huysmans avait fort bien évoqué l’être et la présence de la cathédrale, ce qu’elle irradiait, ce dont elle parlait à travers son silence, ce qu’elle apportait et que l’on aurait cherché en vain au dehors. La cathédrale dominait la ville, non à la façon d’un tyran, mais comme la Lumière qui rend toutes choses visibles. Aujourd’hui, l’église qui se donne la bonne conscience d’être « moderne » fait trop souvent partie de la ville, est noyée en elle et n’est plus perçue que comme un bâtiment parmi d’autres, à la manière du christianisme donné par certains pour une religion que l’on peut classer à côté de beaucoup d’autres.
Pour bien montrer que l’on vit « avec son siècle », on a même poussé la coquetterie, et ce que l’on a pris pour une charitable largeur d’esprit, jusqu’à demander à des architectes radicalement athées de dresser les plans d’une nouvelle église. L’exemple le plus célèbre est celui de la Chapelle de Ronchamp conçue par Le Corbusier dont on a oublié les profondes attaches avec le communisme soviétique. Théoricien de la « Ville Radieuse » (1935), du Modulor (1950) et de l’« unité d’habitation », champion du dégagement des surfaces par la construction de tours ((. A la veille de la dernière guerre, certains firent remarquer à Le Corbusier que, en cas de bombardement aérien, ses tours constitueraient des cibles sans aucune protection ; il répondit qu’il avait tout prévu en plaçant sur le toit de ces édifices de très épaisses plaques d’acier qui les protégeraient des explosions. On reste confondu devant tant de naïveté puisqu’il aurait suffi que les bombes explosent au sol à proximité de la base des tours pour que celles-ci s’écroulassent aussitôt comme de fragiles châteaux de cartes. )) et la systématisation de la circulation souterraine, auteur d’un plan pour une reconstruction totale de Paris, jouant les génies incompris des prisonniers de la routine, il se vit demander la construction de la petite chapelle (1950–1955) visitée aujourd’hui par un grand nombre de curieux que l’on aurait tort de prendre pour des pèlerins.
Souvent citée comme un excellent exemple de la capacité d’adaptation du christianisme au monde moderne, cette chapelle est bien un édifice religieux puisqu’elle a été construite pour que l’on puisse y célébrer la messe et que sa décoration recourt à des thèmes bibliques. Mais elle n’est pas un monument sacré. La construction de ce bâtiment par Le Corbusier n’a rien de comparable avec l’acte de foi des bâtisseurs de cathédrales. Le Corbusier a jeté les plans de cet édifice afin de l’élever à sa propre gloire et de montrer à tous que son génie n’était pas unidimensionnel. Et il a fort bien réussi puisque l’on cite la Chapelle de Ronchamp par Le Corbusier, alors que l’on ne cite jamais la Cathédrale de Reims par X. En outre, rien ne parle dans cette chapelle, la visite (car on la visite au même titre qu’un musée) est accompagnée de la distribution d’un mode d’emploi qui, avec un luxe de détails, explique au touriste ce que M. Le Corbusier a voulu faire et que l’on vous aide à décrypter. Tout y parle du maître d’œuvre, mais on n’y entend guère le Verbe rédempteur.
On a trop tendance aujourd’hui à oublier que la mission du christianisme n’est pas tellement de s’ouvrir au monde (ce que confesseurs, aumôniers, missionnaires, Filles de la charité ont d’ailleurs toujours fait) que d’ouvrir ce monde à une Lumière qu’il est bien incapable d’allumer et à laquelle la ville reste obstinément fermée malgré ses nombreuses lumières artificielles. L’évangélisation n’a rien à voir avec une vaccination, mais elle doit se préserver de la contagion ; aller vers l’autre n’implique pas que l’on se laisse contaminer par ce dont on cherche à le délivrer. Ce n’est pas le christianisme qui doit être modernisé, mais c’est ce qui est moderne qu’il faut christianiser.