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Crise des voca­tions : essai de diag­nos­tic

[note : cet article a été publié dans catho­li­ca, n. 81, pp. 85–97]

Nous trai­te­rons ici des voca­tions sacer­do­tales. La crise des voca­tions ne se fait pas sen­tir de la même façon dans les diverses formes de vie consa­crée. Notre temps se carac­té­rise cer­tai­ne­ment par un grand désir de vie spi­ri­tuelle, désir caché la plu­part du temps, for­te­ment mino­ri­taire, mais réel. Et ain­si un cer­tain nombre de monas­tères ont accueilli des novices sans inter­rup­tion, tan­dis que de nou­velles congré­ga­tions de vie contem­pla­tive connaissent un essor éton­nant. Ce fait ne nous fait pas perdre de vue un phé­no­mène de vieillis­se­ment qui abou­tit à la fer­me­ture de monas­tères naguère impor­tants. Il est déli­cat d’émettre des hypo­thèses expli­ca­tives, sur­tout géné­rales. Disons en gros que les formes de vie contem­pla­tive qui pré­sen­taient un fort enra­ci­ne­ment dans une tra­di­tion spi­ri­tuelle riche et authen­tique et ont su évi­ter tout aspect de sclé­rose et d’inadaptation, c’est-à-dire où la vie d’oraison, le sens fra­ter­nel et la beau­té litur­gique d’une part, un effort de pau­vre­té évan­gé­lique visible d’autre part étaient vigou­reu­se­ment pré­ser­vés, béné­fi­cient d’une relève consi­dé­rable. À cet égard, les grands ordres tra­di­tion­nels semblent plu­tôt en perte de vitesse, toute vitesse acquise ne pou­vant, par défi­ni­tion, que décroître. Mais la cause pro­fonde est sans doute à cher­cher avant tout dans une perte de spi­ri­tua­li­té, non que les com­mu­nau­tés concer­nées n’aient eu des membres exem­plaires vivant dans le secret une immo­la­tion dont Dieu aura été sou­vent le seul témoin, ou exer­çant envers et contre tout dans sa fécon­di­té le cha­risme de leur ins­ti­tut, mais parce que le témoi­gnage com­mu­nau­taire d’une aven­ture spi­ri­tuelle atti­rante a été par trop insuf­fi­sant.
Dans les années d’après-Concile, on a beau­coup insis­té sur le témoi­gnage de pau­vre­té, avec une ten­dance à repro­cher à la vie reli­gieuse son appa­rence de richesse, spé­cia­le­ment immo­bi­lière. Mais chaque fois que l’effort de pau­vre­té a été plus esthé­tique que mys­tique, le mou­ve­ment s’est sol­dé par une cas­cade d’échecs reten­tis­sants, l’expérience pre­nant fin faute d’hommes, au fur et à mesure des retours à l’état laïc. Il ne suf­fit pas d’avoir une cha­pelle en aus­tère béton armé (dans les cas moins mal­heu­reux où l’on jugeait utile de conser­ver une cha­pelle), des vases sacrés en terre glaise et des vête­ments litur­giques en toile écrue (dans les cas éga­le­ment où cela ne sem­blait pas encore une conces­sion inutile au « ritua­lisme » et au « triom­pha­lisme »), si c’est au sein d’une forme de convi­via­li­té qui fait plu­tôt pen­ser au genre des classes moyennes et où ne font défaut aucune des sécu­ri­tés maté­rielles des socié­tés riches, aucun des moyens finan­ciers de voyages pour des réunions, des récol­lec­tions ou des vacances, même si on s’exalte des luttes pour la jus­tice dans les pays d’Amérique latine et si l’on insiste sur une « option pré­fé­ren­tielle pour les pauvres », option qui n’est guère convain­cante dans la mesure où l’on ne sort guère soi-même d’un milieu social comme d’un train de vie de favo­ri­sés. Tout cet aspect de « style pauvre », dont il faut saluer l’intention mais dont il faut aus­si rele­ver les côtés idéo­lo­giques, a détour­né l’attention par rap­port à ce qui sera tou­jours l’essentiel de la vie reli­gieuse, c’est-à-dire la recherche de Dieu et le sacri­fice per­son­nel et coû­teux de l’individualité égo­cen­trique, laquelle en géné­ral sort indemne des coop­ta­tions sym­pa­thiques en appar­te­ments à petits effec­tifs, des ses­sions de psy­cho­lo­gie ou de dyna­mique de groupe, quand ce n’est pas d’initiation aux tech­niques de médi­ta­tion orien­tales ou autres.
Au cours de ces décen­nies, les ins­ti­tuts ont vécu à l’évidence une crise d’identité dont ils ne sont pas sor­tis faci­le­ment, ou dont ils sont encore loin d’être sor­tis. Il n’est pas sûr que les révi­sions de consti­tu­tions soient une réus­site. Un dépous­sié­rage, une adap­ta­tion au goût contem­po­rain ne suf­fisent pas tou­jours. L’adaptation du style risque même d’être catas­tro­phique, si elle manque la por­tée mys­tique que les formes d’expression modernes sont peut-être bien impuis­santes à tra­duire.
En fait, les ins­ti­tuts qui ont su tenir clai­re­ment la fina­li­té que leur avait assi­gnée leur fon­da­teur n’ont cer­tai­ne­ment pas connu de crise de voca­tions. Mais où sont ces ins­ti­tuts ? Il ne suf­fit pas d’un tra­vail archéo­lo­gique de docu­men­ta­tion sur les sources, aus­si pré­cieux soit-il au demeu­rant, si avec cela on se coupe de la tra­di­tion vivante, repré­sen­tée par des per­sonnes, des œuvres concrètes. Si la Com­pa­gnie de Jésus oublie son lien avec le Saint-Siège et se désaf­fec­tionne en fait de l’œuvre apos­to­lique du Saint-Père au mépris du « qua­trième vœu », occu­pée qu’elle est à ses pré­fé­rences internes ; si elle ferme les col­lèges au lieu de les mul­ti­plier et de les renou­ve­ler, de les ouvrir à d’autres milieux sociaux, d’y impli­quer ses intel­lec­tuels, d’en retrou­ver la tra­di­tion huma­niste et les prin­cipes édu­ca­tifs ; si elle oublie sa mis­sion de faire connaître les secrets du Cœur de Jésus et de tra­vailler à de pro­fondes trans­for­ma­tions sociales et poli­tiques sur la base de cette connais­sance au lieu de se mettre à la traîne de l’utopie com­mu­niste : elle aura beau édi­ter toutes sortes de tra­duc­tions de la cor­res­pon­dance de saint Ignace, un tra­vail si méri­toire res­te­ra à mi-che­min si l’on n’y puise pas l’inspiration qui a don­né un essor mer­veilleux à ladite Com­pa­gnie dès sa fon­da­tion. Si les monas­tères béné­dic­tins acceptent des réformes litur­giques de la main de spé­cia­listes qui ne se nour­rissent pas au jour le jour de l’Office divin conven­tuel et n’ont pas héri­té exis­ten­tiel­le­ment d’une tra­di­tion litur­gique qui est vie, reçue des anciens en une trans­mis­sion inin­ter­rom­pue, s’ils attendent de laïcs ou de théo­lo­giens que ceux-ci leur dictent une lex oran­di amé­na­gée, si avec cela ils tolèrent en leur sein des contes­ta­tions qui s’attaquent aux racines mêmes de la foi, il ne faut pas s’attendre à ce que des voca­tions y éclosent. Quant aux ins­ti­tuts actifs, si les reli­gieux ensei­gnants n’enseignent plus, si les reli­gieuses soi­gnantes ne soignent plus, et cela entre autres rai­sons parce que l’on s’est sou­mis sans coup férir aux dik­tats d’une légis­la­tion qui prend pré­texte de tout pour sou­mettre l’éducation et la san­té au mono­pole de l’Etat, et d’une socié­té mer­can­tile qui orga­nise tout en fonc­tion de la ren­ta­bi­li­té immé­diate, si tous ces postes sont aban­don­nés, on ne voit pas pour­quoi des jeunes gens géné­reux dési­reux de suivre le Christ seraient inté­res­sés à rejoindre ces colonnes en déroute.
Pour en venir aux voca­tions sacer­do­tales en tant que telles, une des réponses pos­sibles au pour­quoi de la crise est de nature cultu­relle et socio­lo­gique : le recul de la socié­té rurale et la perte du sacré qui en est le corol­laire ; la socié­té urbaine et de consom­ma­tion et la désaf­fec­tion pour les formes reli­gieuses tra­di­tion­nelles au pro­fit d’une recherche reli­gieuse plus indi­vi­duelle et plu­ra­liste. Ce type d’explication situe les causes de la crise en dehors de l’Eglise. Ce serait le monde qui se détourne de l’Eglise et donc ne lui four­nit plus de relève sacer­do­tale, dans la fou­lée de la perte de fré­quen­ta­tion de l’Eglise. La crise est donc ver­sée au compte de la déchris­tia­ni­sa­tion géné­rale. Un tel type d’explication paraît trop évident pour ne pas être en trompe‑l’œil. Car il ne fait que recu­ler l’examen des causes pro­fondes, ou plus exac­te­ment l’élude. D’où vient, jus­te­ment, la déchris­tia­ni­sa­tion, et sur­tout la déchris­tia­ni­sa­tion des chré­tiens dits socio­lo­giques ? Notre hypo­thèse est que cette cause pro­fonde est à cher­cher dans la crise même du sacer­doce en tant que tel, crise dont celle des voca­tions n’est qu’une consé­quence. Le coup étant por­té, l’inimitié du monde ou son indif­fé­rence ne font que l’envenimer, il n’est pas leur fait.
Toute vie qui s’accomplit selon sa nature et tend for­te­ment à sa fin, en pour­sui­vant des fina­li­tés orga­ni­que­ment subor­don­nées à cette fin, est belle. La beau­té de ce qui est plei­ne­ment soi, c’est-à-dire qui mani­feste et épa­nouit l’image que le Créa­teur y a impri­mée et, en régime de Rédemp­tion, dif­fuse l’éclat rayon­nant de la grâce, cette beau­té attire, sus­cite amour, don sans retour. Quand il n’y a plus de beau­té intrin­sèque et essen­tielle, c’est que les fina­li­tés sont per­dues. Nous avons besoin de voir le sens de nos efforts. Des théo­ries, des slo­gans, des sys­tèmes, ne don­ne­ront jamais que des cailloux à man­ger à l’âme qui demande son pain. Ce qui est beau attire. L’amour a besoin d’admirer, de contem­pler. C’est la beau­té du sacer­doce, de cette forme de vie, de consé­cra­tion, qui a lar­ge­ment ces­sé d’être per­cep­tible, parce que les fina­li­tés du sacer­doce ont été trop sou­vent en par­tie per­dues. Dans la mesure où l’on a vou­lu jus­ti­fier le sacer­doce aux yeux de la men­ta­li­té contem­po­raine, en renou­ve­ler l’image, en adap­ter les fonc­tions, on en a peu à peu per­du le sens. Mais ces ten­ta­tives de jus­ti­fi­ca­tion et d’adaptation n’étaient elles-mêmes que la réponse mal­adroite à une dérive qui remonte sans doute jusqu’à des siècles, à preuve la néces­si­té récur­rente d’initiatives qui, au reste, ont renou­ve­lé magni­fi­que­ment le sacer­doce catho­lique, comme celle par exemple de l’Ecole fran­çaise au XVIIe siècle. Ce qui a régu­liè­re­ment man­qué au sacer­doce, c’est une mys­tique digne de lui. Chaque fois que les prêtres, et d’ailleurs les évêques, n’ont plus qu’une image sociale dépen­dante des condi­tions poli­tiques et des pré­ju­gés cultu­rels, que ce soit sous l’Ancien Régime, sous le Pre­mier Empire ou de nos jours, c’est la signi­fi­ca­tion du minis­tère ordon­né qui n’est plus recon­nue.
Quand on voit l’obstination de cer­tains à se récla­mer d’un cler­gé spé­ci­fi­que­ment dio­cé­sain en face d’un cler­gé reli­gieux pour jus­ti­fier de bien frêles édi­fices dits pas­to­raux aux­quels les prêtres des nou­veaux ins­ti­tuts ne s’adapteraient pas faute, selon eux, d’ouverture au monde de ce temps, on a de quoi pen­ser que l’absence d’une spi­ri­tua­li­té sacer­do­tale pro­fonde cherche ses excuses où elle le peut. Car si ces jeunes prêtres peu enclins à suivre leurs aînés dans l’effacement de l’identité sacer­do­tale et reli­gieuse affichent leur désir de soli­di­té doc­tri­nale, de beau­té litur­gique et de vie d’oraison, ce n’est pas par inadap­ta­tion à leur temps mais bien parce qu’ils sont d’une géné­ra­tion que l’on a par trop trom­pée, délais­sée, détour­née, assoif­fée, et qui veut retrou­ver les sources vives dont on lui avait tu l’existence. Il y a des signes qui ne trompent pas : une voca­tion dura­ble­ment épa­nouie, équi­li­brée, solide ne sera jamais au terme d’encasernements qui brisent la per­son­na­li­té et la com­pressent dans un moule (excès du côté du Père, mais excès parce qu’on limite la pater­ni­té au risque de lui reti­rer ce qui lui est essen­tiel : la confiance qui fait gran­dir une liber­té), ni d’exaltations qui se révè­le­ront des feux de paille (excès du côté de l’Esprit, mais excès parce qu’on oublie qu’Il est l’Esprit pro­cé­dant du Père). Cer­tains effets de nombre peuvent faire illu­sion : les décep­tions et les effon­dre­ments n’en seront que plus rudes. Ni l’image du prêtre du pas­sé (quel pas­sé ?), ni celle de celui des temps modernes, ni du reste celle du prêtre « clas­sique » ne suf­fisent à expri­mer le sacer­doce de Jésus-Christ.
Aujourd’hui, le sacer­doce est pla­cé devant la néces­si­té de s’affirmer ou de périr. La men­ta­li­té actuelle est anti-sacrale. Elle n’est pas païenne, elle n’est pas bar­bare, elle est post-chré­tienne. Elle a rom­pu avec l’enracinement sacré de la culture humaine. En ce sens, notre culture n’en est pas une. C’est une post-culture, quelque chose d’essentiellement a‑humain, in-humain, puisque l’identité humaine en elle-même y est mena­cée. Jamais l’homme, sous aucun cli­mat ni aucune lati­tude, ne s’est pas­sé du sacré. Toute socié­té est fon­dée sur le sacré, n’est viable que par le sacré. C’est ain­si que toute théo­rie struc­tu­ra­liste de l’interdit de l’inceste est vouée à l’échec parce qu’elle exclut a prio­ri le sacré comme tel. L’interdit de l’inceste n’est pas à l’origine de la socié­té, parce que pour qu’un inter­dit soit pos­sible, il faut que la socié­té et le lan­gage existent déjà. Le sacré est la seule expli­ca­tion, non comme sys­tème qui serait le sys­tème sacral, mais comme loi ins­crite au fond de l’esprit humain et exi­geant pour la per­sonne une pater­ni­té, une mater­ni­té incon­fu­sibles, loi éta­blie par un ordre trans­cen­dant uni­ver­sel auquel l’homme doit son exis­tence et auquel il doit se sou­mettre incon­di­tion­nel­le­ment sous peine de mort.
Voi­là jus­te­ment ce qui fâche la men­ta­li­té moderne : devoir accep­ter un ordre que l’on n’aurait pas fabri­qué soi-même et que l’on ne res­te­rait pas maître de modi­fier à son gré. Plus pro­fon­dé­ment : se rece­voir d’un Autre du monde, et donc accep­ter une auto­ri­té, une loi morale, un salut, fina­le­ment un amour, comme la cause de notre exis­tence et sa fin et, dans cette logique, accep­ter la per­sonne dans sa « struc­ture » inter­sub­jec­tive, dans son ouver­ture onto­lo­gique, comme être fon­da­men­ta­le­ment com­mu­nau­taire, fami­lial, bref recon­naître l’existence d’une nature humaine et l’ouverture de cette nature vers un ordre trans­cen­dant, celui de la grâce. Ce moderne refus de la nature « sociale » de l’homme, enra­ci­née dans une trans­cen­dance — socié­té (dans le sens pre­mier et plein du mot) et trans­cen­dance étant insé­pa­rables et consti­tuant le reli­gieux, éty­mo­lo­gi­que­ment « ce qui relie » —, s’accompagne curieu­se­ment d’une sur­en­chère de socio­lo­gie, en fait d’une alié­na­tion de la per­sonne à la « socié­té » (ce qui s’appelle « socia­li­ser ») qui n’est en fait que la col­lec­ti­vi­té et n’a plus rien à voir avec une socié­té natu­relle hié­rar­chi­sée et orga­ni­sée selon le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té (famille, peuple, nation, cité, petite patrie…), mais une masse gérée et diri­gée par l’arbitraire ou par l’idéologie, bras­sant et broyant des indi­vi­dus qui ne sont rien les uns pour les autres, si ce n’est tout au plus des action­naires har­gneux pro­té­geant pro­vi­soi­re­ment des inté­rêts soi-disant com­muns dont la confi­gu­ra­tion est sus­cep­tible de modi­fi­ca­tions per­ma­nentes.
Le sacer­doce se situe au point de contact entre la nature et la grâce. Il est donc dou­ble­ment exclu en ce monde : exclu de par son rap­port à la nature, exclu de par son rap­port à la grâce. Dans la mesure où la nature est per­due de vue comme « fas­ciste » ou « inté­griste », dans la mesure où la grâce ne signi­fie plus rien dans une concep­tion moder­niste, pour laquelle l’homme trouve en lui-même la capa­ci­té et la réa­li­sa­tion de son propre accom­plis­se­ment.
Le sacer­doce est la vie de l’Eglise comme il est le salut des socié­tés. Du côté de la socié­té, une confu­sion mor­telle entre laï­ci­té et laï­cisme a pri­vé le monde occi­den­tal du sacer­doce chré­tien qui était sa chance et son apa­nage. Du côté de l’Eglise, la perte de sens du sacer­doce, ou peut-être plu­tôt sa dilu­tion, a détour­né les éner­gies et l’attention vers un mora­lisme et un acti­visme, théo­lo­gi­que­ment un volon­ta­risme ou encore, pour appe­ler les choses par leur nom, un péla­gia­nisme. On a cher­ché le salut dans des pro­cé­dures, des tech­niques, des réclames, des pro­pa­gandes, des réus­sites ins­ti­tu­tion­nelles, toutes choses excel­lentes en elles-mêmes, mais qui s’essoufflent faute de l’inspiration qui seule les jus­ti­fie­rait et qui au reste les sus­cite en d’autres temps, des temps où les enfants de lumière se montrent aus­si habiles que les autres qu’ils battent même sur leur propre ter­rain (tan­dis qu’à pré­sent on les suit labo­rieu­se­ment de loin).
Cette erreur de visée tient à l’oubli de la nature de l’Eglise comme socié­té sacer­do­tale — peuple de prêtres — et de sa mis­sion co-rédemp­trice. Le peuple fidèle est celui qui offre le sacri­fice de pro­pi­tia­tion et d’action de grâces et qui s’offre lui-même par les mains du Christ et avec lui. L’Eglise fait un avec le Christ-Prêtre qui offre à son Père « l’offrande pure, l’hostie sainte, l’offrande imma­cu­lée », c’est-à-dire qui s’offre lui-même et nous offre avec lui et que nous offrons au Père par les mains du prêtre et sur l’autel du cœur de la Vierge Marie. Cette offrande n’est pas seule­ment un aspect de l’existence, elle en est le centre, l’énergie, l’accomplissement. Le sacer­doce réa­lise la par­faite com­mu­nion entre Dieu et l’humanité et des croyants entre eux, c’est l’amour à l’œuvre, et qui pénètre toute l’existence, tout l’agir des hommes.
Encore que l’idée du sacer­doce com­mun de l’Eglise ait été pas mal dif­fu­sée, on en a davan­tage rete­nu le fait d’être com­mun que le fait d’être sacer­doce. Du coup, le peuple saint s’est mis à se célé­brer un peu trop lui-même et à oublier que son uni­té était le don venant d’en haut de Celui qui le ras­semble et fait de lui les pré­misses de la Mois­son du Monde. La célé­bra­tion de l’Eglise avec son Sei­gneur est chose grande et belle : elle ne sau­rait donc se réduire à des ani­ma­tions de groupe, mee­tings et autres « célé­bra­tions » où fait cruel­le­ment défaut la pré­sence même du mys­tère eucha­ris­tique par une manière appro­priée de l’approcher et de le vivre.
Avant tout, le prêtre est l’homme du sacri­fice (notre mot « prêtre » vient du grec qui signi­fie « ancien », tan­dis que l’adjectif « sacer­do­tal » vient du latin et conserve la racine qui dit le sacré ; « prêtre » se dit « sacri­fi­ca­teur » dans les tra­duc­tions de la Réforme). Mais qui ne voit que le sacri­fice est une notion dont on a lar­ge­ment ces­sé de per­ce­voir le sens ? Il n’y a qu’à voir la concep­tion de l’autel dans la dis­po­si­tion actuelle des églises. Ni la pierre du seuil qui donne accès au numi­neux, ni celle de l’immolation où l’homme se livre à l’amour tou­jours plus grand qui doit le sanc­ti­fier et le trans­fi­gu­rer, bref, tout ce qui compte dans l’office sacer­do­tal, cela n’est plus mis en valeur, puisque l’accent porte sur la table du repas, ce qui inci­te­ra logi­que­ment à imi­ter en cer­taines occa­sions par une pure fic­tion les cir­cons­tances his­to­riques d’un repas de fête, du temps de Jésus ou du nôtre. Ce n’est que par un détour très com­pli­qué et théo­rique que l’on arrive à rendre compte du carac­tère sacri­fi­ciel de la reli­gion, et cela, entre autres causes, parce que le sacri­fice est confon­du avec une muti­la­tion. Mais c’est l’intelligence même du reli­gieux qui est en cause.
Disons-le sans ambages : dans la mesure où la vie chré­tienne tend à se réduire à une morale (même si le terme même de morale est récu­sé pour ses conno­ta­tions « indi­vi­dua­listes » et « bour­geoises ») ou à une idéo­lo­gie, ce n’est plus Jésus-Christ qui est connu, aimé et accueilli comme Sau­veur et Média­teur et, par une consé­quence directe, c’est la notion même du prêtre comme « autre Christ » qui n’est plus reçue. Il en résulte indé­nia­ble­ment une pro­tes­tan­ti­sa­tion du minis­tère ordon­né, conçu non comme « carac­tère » s’imprimant dans l’âme de l’ordonné défi­ni­ti­ve­ment, mais comme man­dat tem­po­raire de la com­mu­nau­té. Le fait que le sacer­doce soit un don per­son­nel du Christ à celui qu’il y appelle est éga­le­ment sin­gu­liè­re­ment gom­mé dans l’habitude qui s’est prise, y com­pris chez maints évêques, de sou­li­gner que « nul ne se confère un tel appel (évi­dem­ment ! drôle de façon d’appliquer le pré­ju­gé favo­rable et d’encourager les bons dési­rs…), mais c’est l’Eglise qui appelle au sacer­doce ordon­né ». Ce slo­gan est pro­fon­dé­ment faux et per­ni­cieux : Dieu seul appelle au sacer­doce. C’est une mis­sion qui vient du Christ. Le rôle de l’Eglise est ici de recon­naître l’appel, de le confir­mer et de confé­rer la grâce sacra­men­telle que le Christ-époux a confié sans retour à son épouse sainte. Il n’est pas de faire bar­rage pour de misé­rables motifs psy­cho­lo­giques ou idéo­lo­giques. Appe­ler Eglise ce qui n’est plus qu’une coop­ta­tion d’intendants infi­dèles est une for­fai­ture pure et simple. Quand on sait com­ment ont été per­sé­cu­tés par leurs res­pon­sables tant de sémi­na­ristes qui pré­sen­taient des pré­dis­po­si­tions à la pié­té jugées déplo­rables et un goût jugé immo­dé­ré pour tout ce qui touche par­ti­cu­liè­re­ment à l’état sacer­do­tal : orai­son, bré­viaire, chant d’Eglise et orne­ments, tenue ecclé­sias­tique, sciences sacrées en géné­ral, dévoue­ment aux enfants (et pas uni­que­ment aux « jeunes », dévoue­ment qui dans le minis­tère s’accompagnera d’une sorte de pré­dis­po­si­tion pour l’assistance aux mou­rants), en voyant tous ces arti­sans se prendre de détes­ta­tion pour leurs outils de tra­vail, on peut sup­pu­ter com­bien de voca­tions ont pu être dégoû­tées, qui, pour­vues de bons exemples, pater­nel­le­ment gui­dées et encou­ra­gées, eussent don­né de bons prêtres.
Quant on voit par ailleurs com­ment, dans le minis­tère effec­tif, le prêtre est pla­cé devant l’alternative soit de s’imposer auto­ri­tai­re­ment (si, par chance, il n’est pas désa­voué d’emblée par ses confrères et par son évêque) soit de céder dans les moindres détails à des pas­to­rales débi­li­tantes qui ne s’attribuent ce titre de pas­to­rales que pour cou­vrir la défec­tion des pas­teurs ou leur dis­qua­li­fi­ca­tion ter­ro­riste, il est même sur­pre­nant que les can­di­da­tures à la prê­trise n’aient pas tota­le­ment dis­pa­ru. Com­ment, en effet, ne pas être cho­qué devant le fos­sé qui existe entre ce qu’est cen­sé être le sacer­doce et les images agréa­ble­ment pro­fa­na­trices qui font du prêtre un ani­ma­teur, un amu­seur public, un psy­cho­logue, un assis­tant social, un pré­sen­ta­teur de jeux (télé­vi­sés, comme il se doit), et plus géné­ra­le­ment un homme-orchestre char­gé de gérer les fonds de la paroisse, de dis­tri­buer des car­nets de chants, de recueillir les desi­de­ra­ta lit­té­raires et musi­caux d’une clien­tèle d’occasion, d’installer la sono­ri­sa­tion dans cha­cune des quinze ou trente églises qu’il doit des­ser­vir à tour de rôle pour des assem­blées de quelques fidèles majo­ri­tai­re­ment âgés de plus de soixante-cinq ans, un bénis­seur de mariages pour des couples qui n’ont aucune vie sacra­men­telle et dont un tiers au moins aura divor­cé avant quinze ans, d’enterrements de morts qu’il n’a jamais vus et dont il ne ver­ra plus la famille, de bap­ti­seur d’enfants dont les parents s’occupent d’éducation chré­tienne comme d’une guigne, de caté­chiste de com­mu­niants qu’on ne ver­ra plus à l’église dès le dimanche dans l’octave de la com­mu­nion solen­nelle alias pro­fes­sion de foi ? Et l’on vou­drait qu’un tel spec­tacle ne décou­rage pas a prio­ri ceux qui ont com­men­cé à soup­çon­ner que le sacer­doce n’a rien à voir avec cette comé­die socio-reli­gieuse, qu’il est « l’amour du cœur de Jésus » comme l’ont com­pris les grands mys­tiques.
Res­pec­ter le prêtre, ce serait recon­naître en lui l’appel et l’exigence de cet amour, ce serait, plus que le res­pec­ter, l’aimer, et non pour ses qua­li­tés humaines, mais pour cette pré­sence du Christ qui attire tout pour tout conduire au Père. Mal­heu­reu­se­ment, on peut dire du prêtre qu’il n’a guère d’autre choix que celui de mani­fes­ter la sain­te­té du don qu’il a reçu ou d’être une nul­li­té sous toutes formes pos­sibles : l’inverti qui s’en prend aux enfants à lui confiés et pro­fane leur inno­cence, l’intellectuel vani­teux remueur d’abstractions, le fonc­tion­naire de la reli­gion, l’ignorant qui se dis­pense de tout effort et qui, comme dit Péguy, n’étant pas de la nature s’imagine qu’il est de la grâce (ou ce qu’il en reste dans tant de théo­lo­gies de for­tune), le psy­cho­ri­gide auto­ri­taire, le mon­dain com­pro­mis, le com­plice des puis­sants et des athées, etc. Le Ciel a pris la peine de nous aver­tir de la médio­cri­té, voire la tra­hi­son, d’un cler­gé indigne, par des appa­ri­tions sur­na­tu­relles dont le cler­gé en ques­tion n’a jamais eu inté­rêt à dif­fu­ser le mes­sage. L’effet du scan­dale ne sau­rait être mini­mi­sé dans une désaf­fec­tion dont a souf­fert, et souffre encore, l’état sacer­do­tal. En revanche, il n’existe pas d’état de vie qui, comme le sacer­doce ou la vie consa­crée, ait sus­ci­té autant de figures admi­rables et qui ont fait école. Depuis que l’on n’ose plus dire qu’un prêtre est là pour nous mon­trer le che­min du Ciel, pour nous pré­pa­rer dès cette vie au bon­heur qui nous y attend, pour être notre média­teur en Jésus et avec Jésus, depuis qu’on ne veut plus voir en lui le père dont la douce et forte auto­ri­té nous arrête sur le che­min de la médio­cri­té et nous sou­tient sur celui du dépas­se­ment de nous-mêmes, c’est ce tor­rent d’amour puri­fi­ca­teur et trans­for­ma­teur du cœur de Jésus qui est empê­ché de se déver­ser dans les cœurs humains, c’est l’unique rai­son d’être du sacer­doce qui se perd. Et les prêtres ne se sentent plus pères, ni méde­cins des âmes. Ils croient être incom­pé­tents par rap­port aux pra­ti­ciens, pro­fes­seurs, experts. Ils ne voient plus à quoi ils servent. Ou bien ils risquent de s’engager dans une rési­gna­tion d’allure faus­se­ment mys­tique, n’affirmant pas leur droit d’être écou­tés et sui­vis, man­quant à secouer la pous­sière de leurs san­dales là où l’on ne les reçoit pas, ou encore tolé­rant tant de situa­tions fausses où, sous pré­texte que Jésus est venu pour les pécheurs, on oublie d’ajouter que c’est pour les libé­rer du péché, et que la femme péche­resse a ces­sé de l’être du jour où elle a ren­con­tré son Sau­veur. Si un prêtre ne confesse pas, s’il ne dis­tri­bue pas le Corps du Christ de sa propre main, s’il ne contacte pas direc­te­ment les enfants, les pauvres, les malades, les pri­son­niers, ce sont d’immenses réserves de ten­dresse, de conso­la­tion, de récon­fort, de gué­ri­son et, pour tout dire, de misé­ri­corde qui devraient pas­ser par ses mains qui sont per­dues. Et puisque le prêtre n’est plus suf­fi­sam­ment ce père riche des biens du Père, son image n’est plus atti­rante : elle ne veut plus rien dire, et ne sus­cite donc plus l’éveil de la voca­tion dans le cœur des enfants et des jeunes.
Ces enfants et ces jeunes sont eux-mêmes de plus en plus pri­vés des tré­sors spi­ri­tuels qui ne se trouvent que dans la famille, et d’abord la famille nom­breuse, par la grâce du sacre­ment de mariage vrai­ment vécu. La famille est le milieu d’éclosion natu­rel d’une âme sacer­do­tale, la famille chré­tienne, celle qui vit la grâce de la Sainte Famille. Pour que les voca­tions sacer­do­tales éclosent nom­breuses, il faut beau­coup de ces saintes familles qui ini­tient de manière pro­fonde et indi­cible aux secrets du Cœur sacer­do­tal du Christ par le Cœur Imma­cu­lé de Marie, sous la garde de saint Joseph. Ces consi­dé­ra­tions nous éloignent, certes, d’une savante socio­lo­gie, et pour­ront sem­bler ridi­cu­le­ment pié­tistes et quelque peu naïves. Elles relèvent sim­ple­ment de la vie théo­lo­gale, de la Com­mu­nion des saints, de tous les dogmes essen­tiels d’une foi qui est vie et ne connaît d’autre réa­li­té que l’amour.
Le fond de la crise du sacer­doce n’est donc pas à cher­cher du côté de la crise de civi­li­sa­tion — ce serait prendre l’effet pour la cause, car la chré­tien­té s’est effon­drée sous les coups de bou­toir d’une apos­ta­sie qui s’est atta­quée aux croyants et au cler­gé de l’intérieur et non sous la per­sé­cu­tion d’un gou­ver­ne­ment et d’une Chambre anti­clé­ri­caux, per­sé­cu­tion qui nor­ma­le­ment ne pou­vait que pro­vo­quer l’impulsion pour la recons­ti­tuer valeu­reu­se­ment — mais bien dans la conscience croyante elle-même, et plus spé­ci­fi­que­ment dans celle du cler­gé : conscience qu’il est à pro­pos de carac­té­ri­ser comme conscience mal­heu­reuse et comme mau­vaise conscience. Les odieuses accu­sa­tions des impos­teurs révo­lu­tion­naires de la Répu­blique maçon­nique et ban­quière, la tac­tique d’usure et d’intoxication de la cri­tique mar­xiste relayée par le bour­rage de crâne léni­niste, trots­kiste et maoïste, le tra­vail de sape des phi­lo­sophes exis­ten­tia­listes athées, des struc­tu­ra­listes anti-méta­phy­si­ciens, tout cela a fait son che­min et le prêtre a dû déployer des forces sur­hu­maines pour ne pas s’éprouver lui-même comme une sur­vi­vance risible et pitoyable de temps d’obscurantisme et d’oppression. Il s’est inter­ro­gé sur son iden­ti­té. Une réponse s’est pré­sen­tée, lumi­neuse et enthou­sias­mante, celle du frère uni­ver­sel et du levain dans la pâte. Mais cette réponse a trop sou­vent man­qué d’enracinement dog­ma­tique et spi­ri­tuel et, sans doute, de réa­lisme à la fois spi­ri­tuel et intel­lec­tuel, et sur­tout elle s’est pro­po­sée bien vai­ne­ment en rejet d’un pas­sé jugé péri­mé. On en est venu à trai­ter avec désin­vol­ture le « cultuel », qui n’était plus qu’un concept anthro­po­lo­gique étri­qué, oubliant que le « culte en esprit et en véri­té » est la seule chose qui importe, et que les rites, comme expres­sion de ce culte unique, ne sont si impor­tants que parce qu’ils nous pro­tègent contre l’inhumanité de la vio­lence, la tyran­nie des théo­ries et la bar­ba­rie des sys­tèmes poli­tiques. Les prêtres n’ont même pas tou­jours évi­té de pas­sa­ble­ment ver­ser dans la tyran­nie et la bar­ba­rie, lais­sant imper­cep­ti­ble­ment la voie libre à toutes sortes de vul­ga­ri­té, de cette vul­ga­ri­té d’âme qui vio­lente les consciences, embri­gade à coups de mots d’ordre et d’un jar­gon arro­gant, s’acoquine avec les voyous qui réus­sissent, pié­tine les fleurs du jar­din clos du Sei­gneur (hor­tus conclu­sus) et ne com­prend rien à ce qui est beau.
C’était bien joli de vou­loir dépous­sié­rer le « cultuel », mais après ? A quoi bon une « action catho­lique » qui dis­cute et n’agit pas si ce n’est en des « actions » de grève, qui n’est catho­lique ni en doc­trine ni en uni­ver­sa­li­té, qui ne refait plus chré­tien nos frères et désaf­fecte de manière consciente et orga­ni­sée les paroisses qui, après tout, jusqu’à preuve du contraire, sont l’Eglise locale, l’Assemblée sainte réunie de tous les lieux et milieux, la Jéru­sa­lem en fête, épouse parée pour son Epoux, offrant le Sacri­fice « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Mais après être par­tis pour la gloire à plu­sieurs reprises, après s’être obs­ti­nés dans l’exclusion sec­taire de tout ce qui ne pen­sait pas droit (ou plu­tôt de tra­vers), il a fal­lu finir par déchan­ter. Sans revoir sa copie, sans recon­si­dé­rer les choses, sans même trier ce qu’il pou­vait y avoir dans de beaux rêves de pro­met­teur et d’évangélique et ce qui était uto­pie et men­songe, on s’est replié sans l’avouer, mais pra­ti­que­ment, sur le cultuel tant hon­ni, mais réduit à sa plus élé­men­taire expres­sion, en épui­sant les maigres forces sacer­do­tales res­tantes dans des restruc­tu­ra­tions toutes aus­si impuis­santes les unes que les autres à réfor­mer en pro­fon­deur le minis­tère sacer­do­tal et l’organisme dio­cé­sain et parois­sial, impuis­santes, tel l’emplâtre sur la béquille, à assai­nir une situa­tion aus­si inadap­tée qu’inadaptable. La cause du mal n’étant pas vrai­ment iden­ti­fiée, on soigne des symp­tômes à perte de vue, on se console avec des cache-misère qui ont nom : béné­vo­lat, mili­tance, for­ma­tions caté­ché­tiques, équipes litur­giques, que sais-je encore… Non que tous ces dévoue­ments, quand ils sont plus des dévoue­ments réels que des acca­pa­re­ments de lam­beaux de pou­voir, n’aient leur néces­si­té vitale dans les temps sinis­trés qui sont les nôtres, mais parce qu’on ne voit déci­dé­ment pas un recen­trage de la vie ecclé­siale sur le sacer­doce comme tel, dans sa dimen­sion mys­tique et ses impli­ca­tions concrètes en matière de doc­trine, de cha­ri­té et de vie sacra­men­telle, parce que l’on ne pré­pare pas l’avenir sur la pro­messe du Sei­gneur mais que l’on se résigne à des rafis­to­lages qui n’encouragent pas les pares­seux et dégoûtent les cou­ra­geux.
Il faut aus­si oser dénon­cer l’abandon de l’enfance et de la jeu­nesse aux griffes d’un Etat inca­pable de les pro­té­ger contre la mas­si­fi­ca­tion, la délin­quance, l’inculture, contre la débauche encou­ra­gée aux frais du contri­buable (je pense par exemple à ces cam­pagnes pour le « pré­ser­va­tif » et autres déver­gon­dages qui sont la honte de gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs avec la com­plai­sance envers l’avortement et la fai­blesse indigne face à la mon­tée de la por­no­gra­phie et de la toxi­co­ma­nie). Il était, il est du devoir des prêtres et des évêques de s’insurger et de faire s’insurger les laïcs contre des plaies aus­si hon­teuses et aus­si mor­telles ; mais en même temps d’encourager les familles à prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés et à s’unir pour fon­der des ins­ti­tuts d’éducation vrai­ment libres et de haut niveau, des œuvres sani­taires et sociales, des uni­ver­si­tés, des entre­prises modèles, toutes ini­tia­tives qui ne contri­bue­raient pas peu à rele­ver la France mal­heu­reuse et les autres nations chré­tiennes qui gémissent en escla­vage spi­ri­tuel, moral, cultu­rel et même éco­no­mique (pour ne pas dire poli­tique). Si cette insur­rec­tion, paci­fique mais vigou­reuse et réflé­chie, ne vient pas des chré­tiens éclai­rés et sou­te­nus par leurs pas­teurs, il ne fau­dra pas s’étonner de voir une par­tie de la jeu­nesse, dégoû­tée de tant de veu­le­rie et d’hypocrite tolé­rance, céder au chant des sirènes tota­li­taires et confondre le culte de la force avec le sens de l’honneur. La mon­tée de vio­lences encore inédites sera le prix dont il fau­dra bien­tôt payer notre mol­lesse ins­ti­tuée si l’Amour ne sai­sit pas les cœurs, cet Amour dont les prêtres sont les tré­so­riers et les dis­pen­sa­teurs.
A la crise des voca­tions il n’est donc qu’une solu­tion envi­sa­geable : le res­sour­ce­ment dans l’essentiel, dans le Cœur sacer­do­tal du Christ pas­sion­né­ment aimé et choi­si, par l’inspiration mariale d’une Eglise qui sau­ra mater­nel­le­ment enfan­ter et for­mer les magni­fiques voca­tions dont, à n’en pas dou­ter, la Tri­ni­té nous fera bien vite cadeau si nous osons tout fon­der sur le Christ : « Omnia ins­tau­rare in Chris­to ».