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L’E­glise face au nazisme en You­go­sla­vie

[note : cet article a été publié dans catho­li­ca, n. 67, pp. 67–77]

La région de l’ex-Yougoslavie est l’une des plus instables en regard du nombre de peuples, de cultures et d’idéologies. Slo­vènes, Croates, Musul­mans et Serbes, ortho­doxie, islam et catho­li­cisme, oppo­si­tion « est-ouest », tout cela concourt à en faire un mélange typique où il est dif­fi­cile de se retrou­ver. La véri­té s’y retrouve encore plus dif­fi­ci­le­ment, pri­son­nière éter­nelle des pré­ju­gés, des mau­vaises inten­tions et autres calom­nies.
En fait, le demi-siècle de régime sous la coupe de Tito, un com­mu­nisme clas­sique, qui a revê­tu pour les médias occi­den­taux l’apparence d’un vil­lage à la Potem­kine abri­tant une socié­té de type ouvert, a éga­le­ment légué ses lourdes consé­quences à la concep­tion de la « véri­té you­go­slave ». Tito et le Par­ti com­mu­niste you­go­slave se sont essen­tiel­le­ment légi­ti­més par le com­bat pour la libé­ra­tion de la nation, et ont ain­si per­ni­cieu­se­ment mas­qué la véri­té sur leur nature, sur la You­go­sla­vie, et ont tout dis­si­mu­lé sur les autres pro­ta­go­nistes de la Seconde Guerre mon­diale, dans les années 1941–1945.
Le com­mu­nisme titiste a été moins viru­lent envers le nazisme qu’envers l’Eglise catho­lique et la démo­cra­tie bour­geoise. Cela semble d’autant plus para­doxal que ces rap­ports ont déci­dé du des­tin de tout ce qui s’est irré­mé­dia­ble­ment dérou­lé pen­dant la Seconde Guerre mon­diale et après.
Parce qu’un rideau de fer s’est abat­tu pen­dant cin­quante ans sur la véri­té, celle-ci ne com­mence à se décou­vrir que ces der­niers temps. Bien qu’elle se révèle avec une viva­ci­té inat­ten­due, il est bon qu’elle se fasse connaître d’un cercle plus large.
La thèse fon­da­men­tale sur laquelle repo­sait la dic­ta­ture titiste était que l’Eglise catho­lique avait choi­si le camp de l’occupant nazi pen­dant la guerre, posi­tion qu’elle aurait déjà pré­pa­rée et fon­dée avant le 6 avril 1941, début de la Seconde Guerre mon­diale en You­go­sla­vie. Le Par­ti avait besoin de ce fait pour éli­mi­ner ses concur­rents les plus sérieux, du moins ain­si pré­sen­tait-il l’Eglise, sur­tout aux yeux de la popu­la­tion you­go­slave. Le par­ti de Tito ne se conten­ta pas d’aborder ces ques­tions ver­ba­le­ment, mais il le fit aus­si dans les faits. Deux per­son­nages clefs de l’activité de l’Eglise, l’archevêque de Lju­bl­ja­na Gre­gor Roman et le car­di­nal de Zagreb Alo­jz Ste­pi­nac, ont été jugés et condam­nés. Roman, mena­cé d’être lyn­ché par la foule, dut aban­don­ner sa patrie à jamais, Ste­pi­nac y est res­té. Il est mort pré­ma­tu­ré­ment, empoi­son­né, après des années à crou­pir dans une cel­lule com­mu­niste.
Quand le KPJ (Par­ti com­mu­niste you­go­slave) eut phy­si­que­ment éli­mi­né la direc­tion de l’Eglise catho­lique en You­go­sla­vie, il ne lui fut pas dif­fi­cile de liqui­der aus­si sa répu­ta­tion au sein de la socié­té et, en outre, de pro­cé­der à la liqui­da­tion phy­sique des oppo­sants idéo­lo­giques, sur le sol slo­vène, pen­dant l’été 1945. Alors, le KPJ et son avant-garde armée, la Jugo­slo­vans­ka ljud­ska arma­da (Armée popu­laire you­go­slave), ont exé­cu­té à peu près cent cin­quante mille pri­son­niers, bles­sés et civils : hommes, femmes et enfants. Ce qui fut le plus grand car­nage d’après-guerre en Europe a été pas­sé sous silence. Il a été évo­qué en par­tie par Le Livre noir du com­mu­nisme ((  Sté­phane Cour­tois (dir.), Le Livre noir du com­mu­nisme, Robert Lafont, 1997. )) , en par­tie par des indi­vi­dus appar­te­nant à des mou­ve­ments civils ((  Predv­sem Zdrue­ni ob lipi Sprave [Réunis autour du tilleul de la récon­ci­lia­tion] Nova Slo­vens­ka zave­za [La Nou­velle Alliance slo­vène] : cf. de même la revue men­suelle Zave­za, Drui­na, Lju­bl­ja­na.)) . Le KPJ liqui­da ain­si avec « effi­ca­ci­té » ses concur­rents, le catho­li­cisme se retrou­va en You­go­sla­vie sans direc­tion et sans sa sub­stance vitale. C’est sur cette base que l’agitprop d’après-guerre a pu jeter l’opprobre sur l’Eglise catho­lique en l’accusant d’avoir col­la­bo­ré avec les nazis. Le pré­ju­gé a été si fort qu’aujourd’hui c’est à peine si l’on peut contes­ter quelques-uns des témoi­gnages des pires adver­saires idéo­lo­giques de l’Eglise et des nazis.
Dans cet ordre d’idées se situe un docu­ment qui vient d’être retrou­vé ((  Le docu­ment m’a été confié par M. Anton Drob­nic, ancien pro­cu­reur géné­ral de la Slo­vé­nie. Je pro­fite de cette occa­sion pour le remer­cier sin­cè­re­ment. Le docu­ment date de 1941 (fin mars — début avril) et il est encore à trou­ver dans les archives d’Etat alle­mandes, à Coblence ou à Ber­lin. L’exemplaire en ques­tion appar­te­nait pro­ba­ble­ment à un des offi­ciers supé­rieurs qui l’a lais­sé en Slo­vé­nie lors de la retraite de l’armée alle­mande en mai 1945.)) , docu­ment éma­nant de l’échelon le plus éle­vé de la police secrète du Reich, le Reichs­si­che­rheit­shaup­tamt, diri­gé par Rein­hard Hey­drich, père de la « solu­tion finale » de la ques­tion juive. L’un des aspects les plus impor­tants du docu­ment est qu’il est le pre­mier témoi­gnage his­to­rique sur la façon dont le som­met du com­man­de­ment nazi a per­çu la situa­tion et les pro­ta­go­nistes en You­go­sla­vie, juste avant que la guerre n’éclate. Le Reichs­si­che­rheit­shaup­tamt, au-des­sus de la Ges­ta­po et des organes SS, ne s’occupait pas seule­ment de la sécu­ri­té inté­rieure, mais aus­si des ques­tions de stra­té­gie et de poli­tique exté­rieures. Avant l’invasion de chaque pays, on y déve­lop­pait la stra­té­gie adé­quate, en tenant compte des adver­saires ou oppo­sants les plus impor­tants. Ce docu­ment était des­ti­né aux offi­ciers qui diri­geaient l’invasion pour les ins­truire des carac­té­ris­tiques du pays agres­sé. Bien enten­du, un tel docu­ment stra­té­gique qui cite les adver­saires essen­tiels, ne pou­vait man­quer de citer l’Eglise catho­lique, c’est-à-dire les arche­vêques Ste­pi­nac et Roman.
Cela se place évi­dem­ment dans un contexte his­to­rique plus vaste. En arrière-plan se trouve l’encyclique Mit bren­nen­der Sorge (1937) ((  « Son enga­ge­ment dans l’encyclique anti­na­zie Mit bren­nen­der Sorge, les dou­zaines d’autres notes et memo­ran­da au gou­ver­ne­ment alle­mand lorsqu’il était secré­taire d’Etat, sa récep­tion fraîche et car­rée à Rome du ministre nazi des Affaires étran­gères Joa­chim von Rib­ben­trop, son reproche amer de la fai­blesse du car­di­nal autri­chien Theo­dor Innit­zer face à l’Anschluss ger­ma­no-autri­chien — l’union de l’Autriche et de l’Allemagne — en 1938, et enfin la réac­tion défa­vo­rable de l’Allemagne à son élec­tion à la papau­té, tout cela mon­trait vrai­ment ce qu’il pen­sait de la tyran­nie alle­mande », in Ency­clo­pae­dia Bri­tan­ni­ca, Mul­ti­me­dia edi­tion, 1994–1997, BCD/Cache/-12-ArticleRil.htm.))  par laquelle l’Eglise catho­lique met en garde contre le dan­ger du nazisme. Cette ency­clique reflète l’orientation contraire des nazis à la poli­tique offi­cielle du Vati­can, poli­tique qui s’est inten­si­fiée sous le pon­ti­fi­cat d’Eugenio Pacel­li, c’est-à-dire de Pie XII. C’est en tant que « secré­taire d’Etat » qu’il a été l’instigateur de cette ency­clique, et qu’il s’est éga­le­ment oppo­sé à l’Anschluss de l’Autriche et de l’Allemagne, approu­vant notam­ment la réac­tion du cler­gé autri­chien. Il s’est aus­si oppo­sé aux accords de Munich qui ont sacri­fié la Tché­co­slo­va­quie et ouvert la voie à l’agression d’autres Etats ((  « Durant les quelques mois qui sépa­rèrent son élec­tion du déclen­che­ment de la guerre, Pie XII employa ses dons diplo­ma­tiques à pré­ve­nir la catas­trophe, mais pas dans un esprit d’apaisement — le Vati­can n’avait pas appré­cié les accords de Munich (1938), par les­quels la Tché­co­slo­va­quie avait été sacri­fiée par la Grande-Bre­tagne et la France à la puis­sance expan­sion­niste alle­mande. » (ibid.))) . Il s’efforça de conser­ver à l’Italie sa neu­tra­li­té et fut attris­té de son alliance avec les forces de l’Axe. A la lumière de ce contexte, ce docu­ment est le signe que les nazis avaient connais­sance des actions que l’Eglise entre­pre­nait pour pré­ve­nir l’Holocauste, au sens le plus large du terme. Il faut bien sûr aus­si com­prendre ce docu­ment d’un autre point de vue. Les nazis, tout comme les com­mu­nistes, dési­raient détruire l’Eglise, la sépa­rer du Vati­can et des citoyens, en der­nière ins­tance l’éradiquer. Cela était le plus per­cep­tible en Alle­magne même (et en Autriche), où le nazisme avait pris racine. Ain­si, « la situa­tion de l’Eglise dans le Grand Reich se trou­vait condi­tion­née par deux pro­blèmes : l’état de per­sé­cu­tion et la guerre. La per­sé­cu­tion durait depuis 1933 et se carac­té­ri­sait par une action sys­té­ma­tique du régime nazi pour éli­mi­ner tota­le­ment l’influence de la foi catho­lique sur la vie publique et sur la vie pri­vée des citoyens. Loin de s’atténuer avec la guerre, elle ne fit que croître en inten­si­té » ((  Lettres de Pie XII aux évêques alle­mands dans Actes et Docu­ments du Saint-Siège rela­tifs à la Seconde Guerre mon­diale, tome II, édi­tés par Pierre Blet, Ange­lo Mar­ti­ni, Bur­khart Schnei­der, Libre­ria Edi­trice Vati­ca­na, Cité du Vati­can, 1967, p. VI.)) .
Ici sourd le des­tin des arche­vêques de Lju­bl­ja­na et Zagreb. Roman avait une longue expé­rience des nazis. C’est en face d’eux qu’il a dû quit­ter la Carin­thie, quand la situa­tion devint inte­nable suite au plé­bis­cite. La pres­sion exer­cée sur les Slo­vènes s’intensifia, et en par­ti­cu­lier sur l’Eglise, un des piliers de la défense de la culture slo­vène. Les nazis en Carin­thie n’ont guère tar­dé à com­mettre leurs méfaits. Leur pre­mière vic­time fut un prêtre slo­vène : Miha Pol­ja­nec, grand patriote, empoi­son­né en 1939 à cause de sa per­sé­vé­rance à étendre la culture slo­vène. C’est à son enter­re­ment que fut pour la pre­mière fois chan­té « Ro, Pod­ju­na, Zila » [trois val­lées de la Carin­thie], chant deve­nu l’un des sym­boles de la résis­tance pas­sive des Slo­vènes en Carin­thie. La situa­tion dans cette pro­vince deve­nait vrai­ment inte­nable, sur­tout pour l’Eglise. Pour que notre opi­nion soit la plus objec­tive pos­sible, repor­tons-nous à l’analyse, aujourd’hui oubliée, éla­bo­rée par les francs-maçons serbes lors de la confé­rence de Paris en 1919, qui dans son prin­cipe s’appuie sur la réso­lu­tion votée par le Congrès des Maçon­ne­ries alliées et neutres tenu à Paris en juin 1917. Cette ana­lyse était pré­sen­tée par le géné­ral Pei­gné. Elle témoigne d’une connais­sance appro­fon­die de la situa­tion géo­gra­phique, démo­gra­phique et poli­tique, de la den­si­té de popu­la­tion et autres détails, cha­cun véri­fiable et digne de foi. Concer­nant la Carin­thie, on lit : « A Tsé­lo­vets (Celo­vec / Kla­gen­furt) on ensei­gnait le slo­vène dans toutes les écoles ; aujourd’hui, dans ces écoles, on a exclu même l’orthographe latine. Les enfants slo­vènes n’y apprennent que les carac­tères gothiques alle­mands. On veut ain­si les empê­cher de savoir lire les livres slo­vènes. La langue slo­vène est presque com­plè­te­ment ban­nie des bureaux. […] Les avo­cats slo­vènes, qui avaient récla­mé qu’on employât leur langue dans les débats judi­ciaires lorsque des Slo­vènes y étaient par­ties inté­res­sées, ont été frap­pés de peines dis­ci­pli­naires.
» C’est la guerre qui devait don­ner le der­nier coup à la natio­na­li­té slo­vène en Carin­thie. Le petit nombre des intel­lec­tuels slo­vènes, sur­tout dans le cler­gé, furent accu­sés ou de ser­bo­phi­lie ou de pan­sla­visme et de ce fait condam­nés à la déten­tion ou à la relé­ga­tion » ((  Les reven­di­ca­tions natio­nales des Serbes, Croates et Slo­vènes, pré­sen­tées aux FF\des Pays Alliés par les FF\Serbes, membres de la R\L\No 288 Cos­mos, L’Emancipatrice, Impri­me­rie Typo­gra­phique, Paris, 1919, p. 51.)) .
Si l’analyse, éla­bo­rée à l’un des moments clefs de l’histoire contem­po­raine par l’un des plus viru­lents adver­saires de l’Eglise, la franc-maçon­ne­rie, pré­sente expli­ci­te­ment le cler­gé slo­vène comme por­teur de la résis­tance natio­nale, qu’en était-il alors en réa­li­té ! C’est dans ce milieu que l’archevêque Roman s’est for­mé, dès ses plus jeunes années. Il naquit en 1883 à Šmi­hel dans la paroisse de Gurk. C’est là qu’il alla à l’école, puis à la facul­té de théo­lo­gie de Kla­gen­furt, où il fut ordon­né prêtre dans la cathé­drale. « Après le plé­bis­cite de 1920, il dut fuir à Lju­bl­ja­na », dit la bio­gra­phie adres­sée à John Krol ((  Roma­nov arhiv (Les Archives de Roman), dos­sier 6 : Per­so­nal Data of Gre­go­ry Roman S.T.D. Bishof of Lju­bl­ja­na. Par­mi ces ren­sei­gne­ments authen­tiques on trouve aus­si le témoi­gnage des plus hautes auto­ri­tés du Vati­can, comme celui du car­di­nal, secré­taire d’Etat, en par­ti­cu­lier l’extrait sui­vant : « Sur la base des rap­ports ori­gi­naux, que le dr Roman reçut en 1942 du patriarche ortho­doxe de Bel­grade, il rédi­gea un compte ren­du éten­du en latin sur les hor­reurs com­mises sur le peuple serbe, et l’envoya au secré­taire d’Etat du Vati­can, et les rap­ports ori­gi­naux à Londres ».)) , futur car­di­nal de Cle­ve­land où « il fut un adver­saire du nazisme alle­mand et du fas­cisme ita­lien. En public, il com­bat­tit ces déviances dans ses ser­mons » ((  Ibid.)) .
Dans ce même com­bat, le docu­ment du Reichs­si­che­rheit­shaup­tamt cite aus­si Alo­jz Ste­pi­nac, arche­vêque de Zagreb. Ses dis­po­si­tions hos­tiles à l’Allemagne se découvrent en de nom­breux points. Entre autres, le témoi­gnage de Mihail Kons­tan­ti­no­viè, ministre de la Jus­tice dans le gou­ver­ne­ment de Cvet­ko­viè, auteur de la conven­tion Cvet­ko­viè-Maèek ((  La conven­tion Cvet­ko­viè-Maèek a été conclue dans le but de sur­mon­ter une grande crise natio­nale après l’assassinat du chef poli­tique croate Stje­pan Radic. Maèek devint chef du gou­ver­ne­ment et Cvet­ko­viè sous-pré­sident. Ce gou­ver­ne­ment signa une conven­tion pour l’entrée dans le pacte des Trois (Ita­liens, Japo­nais, Alle­mands), in Mala Sploš­na Encik­lo­pe­di­ja II (L’Encyclopédie « pra­tique » II), Drav­na zalo­ba Slo­ve­nije, Lju­bl­ja­na, 1975. )) . Kons­tan­ti­no­viè était idéo­lo­gi­que­ment à l’opposé de Ste­pi­nac ; franc-maçon, il n’était pas bien dis­po­sé envers l’Eglise catho­lique. Dans son jour­nal, le jeu­di 20 février 1941, c’est-à-dire à l’époque où l’élaboration du docu­ment du Reichs­si­che­rheit­shaup­tamt était en cours, il écrit : « Ce matin j’ai reçu la visite de M. Maèek. Il m’a dit avoir ren­con­tré Ste­pi­nac. Celui-ci reve­nait de sa visite auprès du Pape et il était remon­té contre les Alle­mands. Il a rap­por­té la nou­velle que l’Italie était en ruines » ((  Miha­j­lo Kons­tan­ti­no­viè, Poli­ti­ka Spo­ra­zu­ma, « Dnev­nièke beleke 1939–1941, Lon­donske beleke 1944–1945 » [Miha­j­lo Kons­tan­ti­no­viè, La poli­tique de l’entente, « Car­nets de jour­nal 1939–1941, Les Car­nets de Londres 1944–1945 »], Agen­ci­ja Mir, Novi Sad, 1998, p. 302.)) . Et le len­de­main, Kons­tan­ti­no­viè ajoute : « Ste­pi­nac est hos­tile envers les Alle­mands : il demande de l’aide » ((  Ibid. )) . Le deuxième témoi­gnage, lui aus­si, confirme l’orientation anti­na­zie de Ste­pi­nac. Celui-ci était d’avis que les plus grands dan­gers pour l’Eglise catho­lique croate étaient la franc-maçon­ne­rie, le com­mu­nisme et le nazisme. Le Père La Farge rap­porte qu’en 1938 Ste­pi­nac lui a par­lé « du nazisme avec répu­gnance » ((  Vin­ko Niko­liè, Ste­pi­nac mu je ime [Son nom est Ste­pi­nac], I, Knji­ni­ca Hrvatske revije, Munich-Bar­ce­lone, 1978, p. 418.)) . Quand la culture nazie a com­men­cé à s’étendre à tra­vers l’Europe, Ste­pi­nac dit : « Il n’est pas cultu­rel en soi de conce­voir une essence supé­rieure, sur­hu­maine et dédai­gneuse des autres, car on sait que les gens ne sont que cendre et pous­sière, mais la misé­ri­corde de Dieu vaut pour tous les enfants d’un seul et unique Père » ((  Nova doba [L’Epoque nou­velle], Split, XXI/1938, 219, 2.)) . Boni­face Per­oviè se sou­vient être venu à Zagreb au début de l’année 1938 — deux à trois ans après que ne com­mencent à venir d’Allemagne des réfu­giés chré­tiens et juifs — et Ste­pi­nac lui dit com­ment il était « très inquiet en rai­son du pro­grès des aber­ra­tions nazies, qui agressent toute la jeu­nesse croate ». Dans sa décla­ra­tion dans Hrva­ti­ca il dira clai­re­ment, en 1940 : « Nous retour­nons à l’ancien paga­nisme. Et ain­si nous retour­nons à l’esclavage. Les camps de concen­tra­tion comme ins­ti­tu­tions per­ma­nentes : les tra­vaux for­cés, que des mil­lions ont subis, tout cela a un nou­veau nom pour une chose très ancienne » ((  Boni­fa­cije Per­oviè, Hrvats­ki kato­liè­ki pokret [Le Mou­ve­ment catho­lique croate], Ziral, Rim, 1976, p. 223.)) .
Telle était donc en gros la situa­tion, comme l’atteste très bien le pré­sent docu­ment. La pre­mière ques­tion concerne évi­dem­ment sa data­tion : il a été conçu entre le 27 mars et le 6 avril 1941. On y cite, en effet, le gou­ver­ne­ment de Simo­niè, for­mé le 27 mars 1941, y sont cités aus­si tous les ministres. Cette indi­ca­tion, outre les déduc­tions géné­rales, per­met éga­le­ment de fixer une autre borne dans le temps. On y cite en effet comme ministre du Génie civil Frank Kulo­vec ((  p 80.)) , pré­sident du Par­ti popu­laire slo­vène, tué dès le pre­mier jour de l’attaque alle­mande, lors du bom­bar­de­ment de Bel­grade le 6 avril 1941 et qui est enter­ré à Lju­bl­ja­na, à Navje, le Pan­théon slo­vène. Le docu­ment ne men­tionne évi­dem­ment pas la date de la mort. On lit aus­si les ini­tiales RSHA et les réfé­rences d’un sys­tème com­bi­né de clas­si­fi­ca­tion. On en déduit dans quelle sec­tion des archives de la police secrète alle­mande sont conser­vées les don­nées. Ces signes se trouvent dans la der­nière par­tie du docu­ment, qui pré­sente une « liste noire ». Alo­jz Ste­pi­nac est ain­si dési­gné : « Dr Ste­pi­nez, (Ste­pi­nec), Bischoff, Zagreb — IV E 4 ».
Le som­maire com­mence par des géné­ra­li­tés sur le pays, puis viennent des notices sur les villes de plus de 20.000 habi­tants, la consti­tu­tion, la struc­ture de la police, le poten­tiel mili­taire, l’éducation, la foi, l’économie, les groupes alle­mands, les dif­fé­rents peuples, le par­ti com­mu­niste, les Juifs, les émi­grés, les francs-maçons, les ser­vices d’information. C’est une thé­sau­ri­sa­tion de don­nées ency­clo­pé­diques acces­sibles au public. Les enjeux stra­té­giques sont les plus lisibles dans trois points : l’organisation du par­ti com­mu­niste, des ser­vices d’information de l’Ouest et de l’Eglise catho­lique. C’est le point concer­nant le par­ti com­mu­niste qui est le plus sur­pre­nant. La RSHA montre qu’elle connaît très bien son orga­ni­sa­tion inté­rieure, son fonc­tion­ne­ment et l’adhésion au KPJ. Mais ce qui sur­prend, c’est que contrai­re­ment à l’Eglise catho­lique, on ne cite pas une seule dis­po­si­tion hos­tile au nazisme ou un quel­conque fait par les­quels le KPJ s’attirerait l’inimitié du nazisme. Le docu­ment dévoile que le KPJ est para­ly­sé par le pacte d’Hitler et de Sta­line : « Le pacte ger­ma­no-sovié­tique de non-agres­sion eut tout d’abord un effet extrê­me­ment para­ly­sant sur l’activité de pro­pa­gande. Le fait que les repré­sen­tants de deux idéo­lo­gies aus­si oppo­sées et enne­mies puissent se mettre d’accord condui­sit d’abord à une cer­taine per­plexi­té [Rat­lo­sig­keit] que l’on pou­vait remar­quer au calme spec­ta­cu­laire de la pro­pa­gande com­mu­niste [Ruhe der kom­mu­nis­ti­schen Agi­ta­tion] » ((  Ibid., p. 41.)) .
Ce qui est plus sur­pre­nant encore, c’est que dans la der­nière par­tie Josip Broz Tito ne figure pas sur la liste noire, alors qu’il diri­geait déjà le KPJ et était en géné­ral décrié. Cela n’est com­pré­hen­sible que pour la rai­son pré­cé­dem­ment évo­quée, et aus­si parce que les Alle­mands ne le tenaient pas pour dan­ge­reux.
Le deuxième groupe impor­tant est consti­tué par les ser­vices de ren­sei­gne­ment au ser­vice de l’Ouest. Il n’y a pas la moindre sup­po­si­tion qu’ils auraient pu col­la­bo­rer avec le KPJ. Mais ils sont accu­sés de col­la­bo­rer avec l’Eglise : « D’autres antennes du ser­vice de ren­sei­gne­ment fran­çais en You­go­sla­vie se trou­vaient à Zagreb, Ormos, Lai­bach et Subo­ti­ca. […] Le ser­vice de ren­sei­gne­ment [Nachricht­dienst] fran­çais y fut par­ti­cu­liè­re­ment sou­te­nu par le cler­gé catho­lique dont les membres ser­vaient de cour­riers » ((  Ibid., p. 73.)) . Les ser­vices de ren­sei­gne­ment, avec l’aide des habi­tants de la région, ont aus­si orga­ni­sé le sabo­tage des convois alle­mands. Des ter­ri­toires occu­pés, ou des pays en rap­ports ami­caux avec le Troi­sième Reich, les Alle­mands rece­vaient des matières pre­mières, dont le pétrole rou­main notam­ment était d’importance essen­tielle. Ce qui ne man­quait pas d’abattre le moral des Alle­mands, le docu­ment le montre bien.
Mais leur plus grand mécon­ten­te­ment allait à l’Eglise catho­lique. Non seule­ment les ser­vices de ren­sei­gne­ment étaient en contact direct avec les ser­vices archi­épis­co­paux, mais l’Eglise était le mou­ve­ment d’opposition au nazisme le plus grand et le mieux orga­ni­sé. Cette phrase, dans laquelle les nazis jugent tout le peuple slo­vène, le confirme clai­re­ment : « Les Slo­vènes, qui sont déjà condi­tion­nés par leur situa­tion fron­ta­lière, ont dans leur grande majo­ri­té des idées ger­ma­no­phobes et chau­vines. Les por­teurs de ces idées ger­ma­no­phobes sont les membres du cler­gé, qui a une grande influence sur la popu­la­tion, et l’intelligentsia slo­vène, en par­ti­cu­lier le corps ensei­gnant et les avo­cats. Le peuple slo­vène est for­te­ment catho­lique. Lai­bach est un centre poli­tique et spi­ri­tuel » ((  Ibid., p. 35.)) .
C’est ain­si que les oppo­sants les plus impor­tants expli­ci­te­ment cités sont les diri­geants de l’Eglise catho­lique en You­go­sla­vie, les arche­vêques Alo­jz Ste­pi­nac et Gre­go­rij Roman (« prince-évêque de Lai­bach, Roc­man »). Aux yeux des atta­quants alle­mands, ils étaient en effet res­pon­sables de la résis­tance ouverte au nazisme, de la bien­veillance osten­sible envers les Juifs, Ste­pi­nac plus par­ti­cu­liè­re­ment. Ste­pi­nac aurait mis en place un front de résis­tance com­mun avec des groupes juifs ; ce qui aurait été mani­fes­té dans le jour­nal Dona­va (Die Donau), impri­mé sous l’impulsion de l’engagement hos­tile (aux Alle­mands) d’un cercle de l’Eglise (« feind­liche Eins­tel­lung der kir­chli­chen Kreise »). On ne s’étonne donc plus que le docu­ment appuie le fait que tous les sièges des orga­ni­sa­tions juives étaient alors à Zagreb (Agram). Il accuse aus­si les rela­tions directes entre Ste­pi­nac et les ser­vices de ren­sei­gne­ment anglais et fran­çais, et affirme même que leur acti­vi­té se déroule dans le palais épis­co­pal de Zagreb ! (« D’importants contacts des ser­vices de ren­sei­gne­ments fran­çais et anglais convergent dans le palais archi­épis­co­pal d’Agram ») ((  Le para­graphe entier sur Ste­pi­nac est : « Les diri­geants de la hié­rar­chie catho­lique — entre autres le pré­sident de la confé­rence épis­co­pale you­go­slave, Mgr Ste­pi­nac (d’Agram) — se sont par­ti­cu­liè­re­ment signa­lés à cette occa­sion. Ste­pi­nac avait déjà déser­té en 1914 de l’armée aus­tro-hon­groise vers l’armée serbe où il avait par­ti­ci­pé à l’entreprise de Salo­nique. Outre ses mul­tiples pro­pos ger­ma­no­phobes, Ste­pi­nac a entre autres fon­dé dif­fé­rents comi­tés de réfu­giés pour aider les juifs et autres émi­grants du Reich. Il existe le soup­çon fon­dé que Ste­pi­nac conti­nue de tra­vailler avec les ser­vices poli­tique et mili­taire de l’émigration polo­naise et tchèque et que d’importants contacts des ser­vices de ren­sei­gne­ment fran­çais et bri­tan­nique convergent dans l’ordinariat archi­épis­co­pal d’Agram », pp. 12d-12e.)) .
L’archevêque de Lju­bl­ja­na, Roman, ne sem­blait aux SS pas moins dan­ge­reux. Il se situe par­mi les auto­ri­tés qui non seule­ment s’opposent fer­me­ment aux Alle­mands, mais le mani­festent (« pro­pos incen­diaires de nature ger­ma­no­phobe ») en dénon­çant les crimes de l’armée alle­mande par­tout en Europe. Sur Roman pèse le fait qu’il a accor­dé l’asile au car­di­nal polo­nais Hlond et a fait impri­mer son texte « Les crimes alle­mands en Pologne ». Les SS souf­fraient encore moins que Roman s’efforce de por­ter à la connais­sance du cler­gé slo­vène (il l’« a fait tra­duire et dis­tri­buer au cler­gé slo­vé­no-catho­lique tout entier ») le conte­nu de ce livre, qui décrit les mas­sacres lors de l’invasion de la Pologne. De là le mot célèbre, his­to­ri­que­ment véri­fié, de l’archevêque qui plai­san­ta amè­re­ment pen­dant la guerre en disant qu’il ne savait pas qui du dra­peau brun (alle­mand), ou du dra­peau rouge (com­mu­niste) le ter­ras­se­rait. Le nom de Roman se trouve ain­si sur les lèvres des émi­grants polo­nais, tchèques, slo­vaques, des agents bri­tan­niques et des notables juifs de la You­go­sla­vie d’alors, bref il était connu de tous ceux qui gênaient la pro­gres­sion de la culture alle­mande sur le sol you­go­slave ((  Le para­graphe rela­tif à Roman se réfère immé­dia­te­ment au para­graphe concer­nant Ste­pi­nac, la phrase capi­tale étant « Les diri­geants de la hié­rar­chie catho­lique — entre autres le pré­sident de la Confé­rence épis­co­pale you­go­slave, Mgr Ste­pi­nac (Zagreb) — se sont par­ti­cu­liè­re­ment signa­lés à cette occa­sion. […] Mis à part Ste­pi­nac, Mgr Roman, prince-évêque de Lju­bl­ja­na, lour­de­ment enga­gé par son ami­tié envers le pri­mat polo­nais, le car­di­nal Hlond, et en tant qu’hôte de celui-ci, s’est éga­le­ment signa­lé par­ti­cu­liè­re­ment ces der­niers temps dans le com­bat anti-alle­mand en tra­dui­sant et dis­tri­buant la bro­chure polo­naise incen­diaire concer­nant “Les atro­ci­tés alle­mandes en Pologne” à tout le cler­gé slo­vé­no-catho­lique », p. 12e.)) .
Aux yeux des nazis, Roman endosse encore de plus grandes res­pon­sa­bi­li­tés. En har­mo­nie avec sa doc­trine pas­to­rale, il a élar­gi le culte d’adoration du saint-sacre­ment et la dévo­tion à Marie, à la lumière des évé­ne­ments de Fati­ma. En ce sens il a orga­ni­sé deux congrès reten­tis­sants : « Deux grandes mani­fes­ta­tions publiques ont été sur­tout le congrès eucha­ris­tique de 1935 et le congrès du Christ-Roi en 1939 » ((  Tama­ra Gries­ser Pecar & France Mar­tin Doli­nar, Roma­nov proces [Le pro­cès de Roman], Drui­na, Lju­bl­ja­na, 1996, p. 201.)) . Comme l’activité pas­to­rale de Roman était liée à la slo­vé­ni­té, et diri­gée vers les jeunes, on com­prend que les nazis aient inter­pré­té ces congrès comme la plus grande mani­fes­ta­tion d’un esprit de résis­tance natio­nale, en ce sens qu’ils ne sous-esti­maient pas leur rôle mobi­li­sa­teur. Le docu­ment com­mente ain­si : « Dans le grand conflit inter­na­tio­nal, le catho­li­cisme en You­go­sla­vie fut un fac­teur déci­sif de la ger­ma­no­pho­bie you­go­slave [deut­sch­feind­liche Hal­tung]. Aus­si bien par les congrès catho­liques inter­na­tio­naux qui ont été orga­ni­sés en You­go­sla­vie avec leur carac­tère tout à fait anti-natio­nal-socia­liste, et ce de manière osten­ta­toire, que dans la pro­pa­gande constante de la presse catho­lique et dans les conti­nuels pro­pos incen­diaires pro­non­cés en chaire par le cler­gé catho­lique, l’Eglise catho­lique a à chaque fois don­né les mots d’ordre et les slo­gans pour la lutte contre le Reich » ((  Ibid., p. 12d.)) .
Les anglo­philes, les sym­pa­thi­sants des Juifs et les résis­tants décla­rés à l’agression alle­mande sont unis pour d’autres rai­sons encore, qui font de Ste­pi­nac et Roman des oppo­sants plus sérieux. L’Eglise repré­sente en You­go­sla­vie la plus haute auto­ri­té morale, réunis­sant six mil­lions de catho­liques très bien orga­ni­sés. Le docu­ment décrit donc méti­cu­leu­se­ment toutes les cel­lules de l’organisation dans laquelle évo­luent les catho­liques. Eton­nam­ment, tout cela retient beau­coup l’attention des Alle­mands, presque autant que l’armée you­go­slave en décom­po­si­tion.
En der­nière ana­lyse, ce docu­ment rejoint le pro­blème essen­tiel de tous les régimes tota­li­taires, en rela­tion avec le rôle expres­sé­ment natio­nal et uni­fi­ca­teur joué par l’Eglise catho­lique dans les pays slaves. Ste­pi­nac et Roman sont les deux plus grands enne­mis des nazis car ils sont les plus grands mobi­li­sa­teurs du sen­ti­ment natio­nal des Slo­vènes et des Croates, parce qu’ils sont les rem­parts les plus sûrs de la péren­ni­té de leur nation. Cette phrase clef accom­pagne le nom de Ste­pi­nac (ain­si que celui de l’évêque de Sara­je­vo aric) : « En tant qu’unique prince-évêque connu, S. est l’un de ceux qui se battent avec le plus de zèle pour l’identité croate » ((  « S. gehört als ein­zi­ger bekann­ter Kir­chenfürst zu den eifrig­sten Verkämp­fern des Kroa­ten­tums », ibid., p. 12e.)) . Il n’en va pas autre­ment pour Roman.
Ce docu­ment du Reichs­si­che­rheit­shaup­tamt est ain­si un pré­cieux témoi­gnage du rap­port du catho­li­cisme et du nazisme sur le sol de l’ancienne You­go­sla­vie. Après 1941, les choses ont bien sûr sui­vi leur cours. Le KPJ a pro­cla­mé illé­gi­time chaque révolte en dehors du Front, a com­men­cé à tout super­vi­ser dans le but de prendre le pou­voir abso­lu, pour réa­li­ser la révo­lu­tion bol­che­vique, a com­men­cé aus­si à liqui­der qui­conque était à la fois mal dis­po­sé envers le com­mu­nisme et com­bat­tait le nazisme. La Slo­vé­nie a été sai­gnée, sur­tout les catho­liques. Plus tard, quand dans les envi­rons de Lju­bl­ja­na quelques mil­liers de per­sonnes furent tuées, à la fois sym­pa­thi­santes du Front et com­bat­tant contre les Alle­mands, n’ayant encore aucune idée du com­mu­nisme qui allait arri­ver, les catho­liques com­men­cèrent à orga­ni­ser leur propre sys­tème de défense. En Slo­vé­nie, les com­mu­nistes réus­sirent à créer ain­si des « cir­cons­tances excep­tion­nelles », ce que Lénine consi­dé­rait comme une condi­tion pré­li­mi­naire néces­saire à la réa­li­sa­tion de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne. Ain­si, « imbus de leur idéo­lo­gie révo­lu­tion­naire, les com­mu­nistes s’efforcèrent de convaincre leurs alliés du Front de l’opportunité non seule­ment de com­battre les troupes étran­gères mais aus­si de “liqui­der” les col­la­bo­ra­teurs slo­vènes. Cela ne se fit pas sans résis­tance. La socié­té slo­vène appuyée par une majo­ri­té du cler­gé der­rière l’évêque Roman s’effraya à l’assassinat des pre­mières vic­times, de voir une véri­table guerre civile se déve­lop­per. Des for­ma­tions armées virent le jour qui se défi­nirent comme domo­bran­ci (défen­seurs de la patrie) et furent sur­tout occu­pées à lut­ter contre les par­ti­sans. Elles se récla­maient du gou­ver­ne­ment royal réfu­gié à Londres et pré­co­ni­saient l’union des peuples you­go­slaves » ((  Georges Cas­tel­lan et Anto­nia Ber­nard, La Slo­vé­nie, PUF, Paris, 1996, p. 51.)) .
Entre le Satan du com­mu­nisme et le Bel­zé­buth du nazisme, l’Eglise catho­lique ne pou­vait choi­sir. Les réper­cus­sions de cette atti­tude furent les 150.000 catho­liques slo­vènes et croates que l’armée de Tito a mas­sa­crés immé­dia­te­ment après la guerre, en juin et juillet 1945. Ils ont été l’issue ultime d’un com­bat his­to­rique qui se trace à tra­vers les lettres de notre docu­ment. Que sa publi­ca­tion, cin­quante-cinq ans après leur mort vio­lente, leur rende un hon­neur post­hume.