Revue de réflexion politique et religieuse.

Mili­tances déca­lées

Article publié le 10 Avr 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Deux ouvrages parus en 2009 éclairent d’un jour par­ti­cu­lier la ques­tion du mili­tan­tisme dans le sys­tème poli­tique domi­nant. Leur rap­pro­che­ment peut paraître à pre­mière vue dif­fi­cile dans la mesure où le pre­mier a trait à la défense du sys­tème démo­cra­tique lui-même — contre ce qui lui serait exté­rieur — et que le second est un pané­gy­rique des nou­velles formes de mili­tan­tisme au sein de la démo­cra­tie avan­cée. Cepen­dant, une autre approche consis­tant à voir dans le second les consé­quences pra­tiques pos­sibles de pré­sup­po­sés du pre­mier per­met de com­prendre com­ment une réflexion théo­rique sur les fon­de­ments de l’action poli­tique abou­tit à la construc­tion d’un appa­reil de défense et de ren­for­ce­ment du sys­tème.
Avec L’anti-coup d’Etat, Gene Sharp et Bruce Jen­kins nous invitent à la vigi­lance contre les coups d’Etat anti-démo­cra­tiques et expliquent en une petite cen­taine de pages à gros carac­tères com­ment résis­ter aux vel­léi­tés de put­schistes éven­tuels. L’argumentation est adap­tée à l’amateur moyen de des­sins ani­més japo­nais et la vision du monde qu’ils déve­loppent est d’une com­plexi­té com­pa­rable à la savane du Roi-Lion. Enten­dons par là qu’il existe un sys­tème poli­tique légal unique, la démo­cra­tie, et que tout put­schiste appar­tient à l’univers fas­ciste. Bref, des bons et des méchants. Gros­so modo, l’appareil théo­rique à pré­ten­tion uni­ver­selle pro­po­sé par nos auteurs trouve un champ d’application à peu près appro­prié dans les répu­bliques bana­nières à régimes par­le­men­taires récents. Pour le reste du monde, les expli­ca­tions sont pour le moins peu convain­cantes et les réfé­rences au putsch d’Alger ou à la ten­ta­tive de reprise en main de l’URSS par les conser­va­teurs en 1991 attisent plu­tôt l’impression d’une absence de connais­sance sérieuse des contextes poli­tiques, his­to­riques et cultu­rels des quelques exemples venant à l’appui de leurs thèses, seuls des élé­ments d’ordre fac­tuel parais­sant réel­le­ment sérieux.
Du reste, l’usage de l’expression « sys­tème consti­tu­tion­nel » pour dési­gner les régimes démo­cra­tiques laisse bien entendre qu’en dehors de ceux-ci n’existe que chaos. La pro­blé­ma­tique du coup d’Etat dans les nations n’ayant jamais connu de régime démo­cra­tique ne peut logi­que­ment pas être abor­dée par des auteurs soit fei­gnant d’ignorer (ou igno­rant peut-être réel­le­ment) l’existence d’une telle caté­go­rie soit accep­tant dans la caté­go­rie des Etats démo­cra­tiques des pays dont les valeurs consti­tu­tion­nelles réelles sont pour­tant bien loin de l’idéaltype cari­ca­tu­ral de pen­seurs très occi­den­to-cen­trés.
La lutte contre l’abomination suprême — le coup d’Etat, donc — doit être pen­sée (à très grosses mailles), orga­ni­sée préa­la­ble­ment (voir consti­tu­tion­na­li­sée si pos­sible), et pré­sen­ter les carac­té­ris­tiques prin­ci­pales sui­vantes : la non-vio­lence obli­ga­toire et l’obligation de prin­cipe. […]

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