Revue de réflexion politique et religieuse.

Lec­ture : L’Occupation, période com­pli­quée

Article publié le 10 Avr 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Si les prin­ci­pales figures intel­lec­tuelles de la Col­la­bo­ra­tion (Drieu, Bra­sillach, Céline et, dans une moindre mesure, Reba­tet) ont sus­ci­té une lit­té­ra­ture secon­daire consi­dé­rable, si les iti­né­raires de ministres de Vichy comme Benoist-Méchin, Car­co­pi­no et Bon­nard ont été revi­si­tés avec plus ou moins de bon­heur et de rigueur, en revanche les par­cours de cer­tains hauts fonc­tion­naires sous l’Occupation res­tent bien moins connus, alors même qu’ils furent par­fois plus sin­gu­liers que ceux des écri­vains. Ain­si du par­cours de Ber­nard Faÿ (1893–1978), per­son­nage qui était tom­bé dans l’oubli et qui a reçu récem­ment de la part d’Antoine Com­pa­gnon un éclai­rage savant, appuyé sur une docu­men­ta­tion irré­pro­chable mais quelque peu ter­ni par des juge­ments très approxi­ma­tifs dans l’ordre des caté­go­ries poli­tiques.
En l’occurrence, l’auteur, spé­cia­liste de Proust et de Barthes, pré­cise qu’il avait deux rai­sons per­son­nelles de s’intéresser à Faÿ. En effet celui-ci, avant d’être nom­mé admi­nis­tra­teur géné­ral de la Biblio­thèque natio­nale au début d’août 1940, « avait ensei­gné à l’université Colum­bia, à New York, et à Paris, au Col­lège de France, deux mai­sons — dit-il — où je l’ai sui­vi quelques dizaines d’années plus tard et qui me tiennent natu­rel­le­ment à coeur » (7). Son livre a quelque chose du salut recon­nais­sant — mais jamais ami­cal ni même vrai­ment bien­veillant — d’un man­da­rin ins­tal­lé à un man­da­rin qui s’est four­voyé. En témoignent trois juge­ments de Com­pa­gnon sur le domaine de com­pé­tence de Faÿ, juge­ments d’une grande hon­nê­te­té intel­lec­tuelle : Faÿ « fut un amé­ri­ca­niste fran­çais de pre­mier plan » (17) et même un « amé­ri­ca­niste vir­tuose […] brillante excep­tion dans la France de l’entre-deuxguerres, sans par­ler de la suite » (ibid.), tan­dis qu’en conclu­sion l’auteur voit en lui « sûre­ment le meilleur connais­seur fran­çais de l’Amérique entre les deux guerres » (191).
Mais en aver­tis­sant d’emblée que son sujet demeure pour lui une sorte de rébus humain, que « l’énigme de son funeste enga­ge­ment […] reste pour [lui] entière » (12), Com­pa­gnon a sur­tout le mérite, à tra­vers l’étude d’un cas pré­cis, de faire tou­cher du doigt toute la com­plexi­té du régime de Vichy et de l’Occupation, loin de tout mani­chéisme rétros­pec­tif. Au détour d’un para­graphe sur les rela­tions de Faÿ avec son pré­dé­ces­seur à la tête de la B.N., il sou­ligne — comme en pas­sant, mais c’est en réa­li­té une des clés de son livre — que « tout a tou­jours été un peu plus com­pli­qué sous l’Occupation » (101). […]

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