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La notion clas­sique de digni­té et les droits de l’homme

Les dif­fé­rentes décla­ra­tions des droits de l’homme énu­mèrent de longues listes de droits recon­nus inalié­nables et abso­lus à toute per­sonne, indé­pen­dam­ment de ses qua­li­tés et de ses actions. Ce sont des « droits sub­jec­tifs », au sens stric­te­ment moderne de cette expres­sion, c’est-à-dire des facul­tés inhé­rentes aux indi­vi­dus, qu’ils pos­sèdent de manière innée et anté­rieu­re­ment à tout ordre juri­dique puisque ces droits sont posés comme la source même de toute léga­li­té.
De telles décla­ra­tions, qui se sont mul­ti­pliées à par­tir du XVIIIe siècle, se pré­sentent fré­quem­ment avec la modeste pré­ten­tion de pro­té­ger les faibles face aux abus du pou­voir poli­tique. Cepen­dant, puisqu’il s’agit de droits sub­jec­tifs indé­pen­dants de tout ordre nor­ma­tif et, de ce fait, sans limites, ils portent en leur sein un germe incu­rable d’anarchie qui à son tour ne peut que favo­ri­ser, in fine, le des­po­tisme, lequel entraîne alors d’autres décla­ra­tions des droits. C’est ain­si que sont appa­rus de nou­veaux textes à la suite de la Deuxième Guerre mon­diale, afin de garan­tir une pro­tec­tion face aux tota­li­ta­rismes du XXe siècle, tan­dis que de nou­velles formes de des­po­tisme, glo­ba­li­sé cette fois, se mani­festent actuel­le­ment.
Ce qui est décon­cer­tant, c’est le fait que de nom­breux per­son­nages d’Eglise se soient joints à ce dan­ge­reux jeu dia­lec­tique à par­tir, peu ou prou, du retour en vogue des droits de l’homme au XXe siècle, rom­pant ain­si avec la tra­di­tion magis­té­rielle qui jusque-là les avait reje­tés et qui avait pré­va­lu depuis l’époque de la Révo­lu­tion fran­çaise.
Pie VI n’avait-il pas décla­ré en 1791 que « les dix-sept articles sur les droits de l’homme […] sont contraires à la reli­gion et à la socié­té ». Et pour­tant, comme on a pu le dire à bon escient il y a un cer­tain temps, « la pen­sée chré­tienne […] a opté de manière déter­mi­née et enga­gée pour la défense et la pro­mo­tion des droits de l’homme ».
Dans cette ten­ta­tive pour pro­mou­voir les droits de l’homme sur des fon­de­ments chré­tiens, un cer­tain nombre d’auteurs ont cher­ché des argu­ments sur la digni­té humaine auprès des Pères de l’Eglise et des théo­lo­giens catho­liques les plus illustres afin de les sol­li­ci­ter à l’appui de la concep­tion des droits pro­cé­dant du jus­na­tu­ra­lisme de l’époque des Lumières.
Dans les pages qui suivent, je ten­te­rai cepen­dant de mon­trer que la pen­sée chré­tienne clas­sique ne per­met pas de jus­ti­fier l’attribution de droits à la per­sonne ni de pen­ser sa digni­té indé­pen­dam­ment de ses actions.
Les mots « digne » et « digni­té » s’appliquent aux choses qui sont bonnes, en tant qu’elles sont ou peuvent être recon­nues comme telles. En d’autres termes, on qua­li­fie de bon ce qui se mani­feste comme bien, et qui en a l’apparence qui ne trompe pas. Fai­sant appel à notre capa­ci­té de juge­ment sur le bien, la digni­té et ce qui est digne sont donc des notions rela­tives. Cepen­dant, il faut dis­tin­guer, comme semble vou­loir le dire saint Tho­mas d’Aquin, entre les expres­sions « avoir de la digni­té » et « être digne », car la pre­mière expres­sion s’applique de manière plus res­treinte que la seconde. Est digne d’un bien, d’une part, celui qui pos­sède déjà ce bien en confor­mi­té avec la jus­tice et en acte et, d’autre part, celui qui pos­sède une cer­taine apti­tude ou un cer­tain mérite pour le rece­voir.
Nous nous réfé­rons à cette apti­tude poten­tielle lorsque nous disons que quelqu’un est digne d’une charge, quand nous consta­tons qu’il pos­sède les qua­li­tés ou facul­tés qui le rendent apte à l’exercer, avec les fonc­tions et les hon­neurs qui lui sont liés. En revanche on dit que quelqu’un a de la digni­té seule­ment lorsqu’il pos­sède en acte le bien dont il s’agit, comme, par exemple, la digni­té de roi. On peut dire de quelqu’un qu’il est digne d’être roi, sans qu’il le soit ; mais ce n’est que du roi qui l’est en exer­cice que l’on peut dire qu’il en a la digni­té.
En résu­mé, on peut affir­mer que les mots « digne » et « digni­té », au sens strict, se réfèrent au bien en tant qu’il est recon­nu comme tel. De plus, on peut faire une dis­tinc­tion entre la digni­té actuelle, ou pos­ses­sion en acte d’une per­fec­tion, et la digni­té poten­tielle, ou mérite.