Revue de réflexion politique et religieuse.

Digni­ta­tis Huma­nae. Liber­té reli­gieuse : évo­lu­tion d’un concept

Article publié le 10 Avr 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le 11 avril 1963, Jean XXIII publiait l’encyclique Pacem in ter­ris dans laquelle il évo­quait ain­si la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme des Nations unies : « Nous n’ignorons pas que cer­tains points de cette Décla­ra­tion ont sou­le­vé des objec­tions et fait l’objet de réserves jus­ti­fiées. Cepen­dant, Nous consi­dé­rons cette Décla­ra­tion comme un pas vers l’établissement d’une orga­ni­sa­tion juri­di­co-poli­tique de la com­mu­nau­té mon­diale. Cette Décla­ra­tion recon­naît solen­nel­le­ment à tous les hommes, sans excep­tion, leur digni­té de per­sonne ; elle affirme pour chaque indi­vi­du ses droits de recher­cher libre­ment la véri­té, de suivre les normes de la mora­li­té, de pra­ti­quer les devoirs de jus­tice, d’exiger des condi­tions de vie conformes à la digni­té humaine, ain­si que d’autres droits liés à ceux-ci ».
C’était la pre­mière fois qu’un sou­ve­rain pon­tife de l’Eglise catho­lique s’exprimait en des termes aus­si élo­gieux au sujet d’une Décla­ra­tion moderne des droits de l’homme, d’inspiration clai­re­ment libé­rale. Il ne fau­drait cepen­dant pas pas­ser outre deux remarques. La pre­mière concerne les « réserves jus­ti­fiées » que Jean XXIII lui-même admet qu’il est pos­sible d’émettre à pro­pos de ce texte (sans pour autant pré­ci­ser de quelles réserves il s’agit). La deuxième concerne les droits énon­cés comme fai­sant par­tie de la Décla­ra­tion : le pas­sage cité prouve clai­re­ment qu’en réa­li­té ils n’y figurent pas. Le Pon­tife en fait une syn­thèse, en en trans­for­mant les termes, et attri­bue aux droits sub­jec­tifs et auto­nomes des Nations unies une saveur objec­tive ren­voyant à un fon­de­ment trans­cen­dant (cf. par exemple le droit de recher­cher libre­ment la véri­té, de suivre les normes de la mora­li­té, etc.).
Ce constat incite à s’interroger sur le sens véri­table de l’approbation de ce docu­ment. Si pour y pro­cé­der l’Eglise doit aupa­ra­vant expri­mer une inten­tion géné­rale de réserve et alté­rer la for­mu­la­tion des droits consa­crés dans le but de les ajus­ter à sa doc­trine, c’est que la dis­tance qui sépare cette der­nière du fond théo­lo­gique et phi­lo­so­phique de ces droits ne doit pas être insi­gni­fiante. Cepen­dant, chez Jean XXIII, cette dis­tance est écour­tée. En effet, lorsqu’il consi­dère comme irrem­pla­çable le rôle des Nations unies dans l’application des droits de l’homme, il semble faire abs­trac­tion des dif­fé­rences doc­tri­nales qu’il a pour­tant lui-même consta­tées : « Nous dési­rons donc vive­ment que l’organisation des Nations unies puisse de plus en plus adap­ter ses struc­tures et ses moyens d’action à l’étendue et à la haute valeur de sa mis­sion. Puisse-t-il arri­ver bien­tôt, le moment où cette Orga­ni­sa­tion garan­ti­ra effi­ca­ce­ment les droits qui dérivent direc­te­ment de notre digni­té natu­relle, et qui, pour cette rai­son, sont uni­ver­sels, invio­lables et inalié­nables ».
Quels sont ces droits qui dérivent direc­te­ment de notre digni­té natu­relle, uni­ver­sels, invio­lables et inalié­nables ? Ceux consa­crés dans la Décla­ra­tion et refor­mu­lés dans Pacem in ter­ris ? Ou bien ceux éta­blis direc­te­ment et immé­dia­te­ment dans la Décla­ra­tion, sans pré­ci­sion ulté­rieure ni réin­ter­pré­ta­tion ? La Décla­ra­tion doit-elle deve­nir le texte com­mun de base, indi­ca­tif des droits éma­nant de la digni­té natu­relle de l’homme, y com­pris pour les catho­liques ? En matière de liber­té de conscience, de pen­sée et de reli­gion, qui forment le sub­strat des décla­ra­tions modernes des droits de l’homme, l’alternative est déli­cate. […]

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