Revue de réflexion politique et religieuse.

L’homme au XXIe siècle

Article publié le 11 Déc 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Mon âge avan­cé ne me per­met pas d’assister per­son­nel­le­ment, comme je l’aurais sou­hai­té, à votre congrès. « L’homme au XXIe siècle » est un sujet qui me pré­oc­cupe pro­fon­dé­ment ; je me per­mets donc de vous adres­ser ce mes­sage comme modeste contri­bu­tion à vos tra­vaux.

Sous le nom de Moyen Âge – sous l’influence de la Réforme pro­tes­tante et de la Renais­sance – naît en Occi­dent un mou­ve­ment cultu­rel d’« huma­ni­sa­tion », c’est-à-dire d’affirmation de l’homme comme acteur et fin de sa propre exis­tence. A l’origine, l’« huma­nisme » – c’est le nom de cette atti­tude idéo­lo­gique – signi­fie le retrait de Dieu du centre d’intérêt des hommes ain­si que de leurs actions, pour pri­vi­lé­gier la per­sonne humaine. Dans cette même ligne, le « déisme » réduit Dieu à une loin­taine cau­sa­li­té.
Le « Siècle des Lumières » va encore plus loin : d’un obs­cur anté­cé­dent concep­tuel, Dieu devient l’obscurité elle-même. Pour être fina­le­ment tota­le­ment nié. C’est en s’opposant à l’« idée de Dieu » – qui doit être com­bat­tue parce que néfaste – que l’homme est affir­mé. A par­tir des élé­gantes « Lumières », en pas­sant par l’apostasie émo­tive et homi­cide de la Révo­lu­tion fran­çaise, on arrive au mili­tan­tisme plein de res­sen­ti­ment du maté­ria­lisme his­to­rique qui com­bat l’« opium du peuple ».

Cepen­dant, pen­dant tout ce pro­ces­sus Dieu est encore un point de réfé­rence, bien que flou ou à évi­ter, ou même objet de refus expli­cite. Mais rapi­de­ment, mal­gré les efforts d’un « huma­nisme chré­tien » hési­tant, l’affirmation de l’homme comme ins­tance suprême et imma­nente passe par l’étape logique préa­lable de la néga­tion de Dieu. La pen­sée offi­ciel­le­ment cor­recte déclare que son concept est contra­dic­toire, ou tout au moins « sub­jec­tif ». Au nom de la men­ta­li­té scien­ti­fique, l’athéisme ambiant décrète qu’un Être Créa­teur et pro­vident n’a aucun sens et ne mérite donc pas d’être l’objet de dis­cus­sions. Dieu est alors réduit à un phé­no­mène socio­lo­gique ou psy­chique, et par le fait même à un objet d’étude des sciences sociales et humaines ou de l’introspection. Le pro­ces­sus men­tal d’« huma­ni­sa­tion » culmine fina­le­ment dans la deuxième moi­tié du siècle der­nier. Et Dieu en fait encore par­tie !

Depuis cette situa­tion ines­pé­rée, nous nous trou­vons main­te­nant confron­tés à l’absence de Dieu, déci­dée par les grands de ce monde. Les « droits de l’homme » se fondent alors sur eux-mêmes (comme l’impératif caté­go­rique de Kant) et ignorent de ce fait leur contre­par­tie, les devoirs de l’homme envers Dieu. Les droits ne résident plus dans la nature (créée par Lui) mais dans la liber­té, sans res­tric­tion et égo­cen­trique, qui s’ouvre à toutes les pos­si­bi­li­tés. Les fron­tières éthiques dis­pa­raissent en même temps que la perte de la trans­cen­dance divine.
Cette phi­lo­so­phie des droits abso­lus de l’homme est la source méta­phy­sique de la moder­ni­té ; et la post­mo­der­ni­té consiste à l’assumer plei­ne­ment.

Elle le fait par le biais de deux méca­nismes qui se sont consti­tués à leur propre fin : d’une part l’engrenage de la tech­nique qui rend pos­sible le pané­co­no­misme actuel et n’admet que la loi du mar­ché ; et, d’autre part, le méca­nisme de la soli­da­ri­té glo­bale, froide et ano­nyme, pla­ni­fiée et obli­ga­toire, qui rem­place le dévoue­ment cor­dial et volon­taire d’autrefois – par jus­tice et com­pas­sion – par la fra­ter­ni­té envers le pro­chain. L’humanisme déshu­ma­ni­sé et apos­tat encen­sé par les moyens de com­mu­ni­ca­tion de masse et léga­li­sé par des textes juri­diques consa­crés inter­na­tio­na­le­ment culmine dans ces deux méca­nismes qui dévorent l’homme mais dont les avan­tages évi­dents sous d’autres aspects sont indis­cu­tables. C’est un huma­nisme dés­in­car­né et sans âme qui a per­du ses racines en Dieu, en Dieu qui est Amour. Et qui ignore le Christ, Dieu fait homme.
Il faut cepen­dant être aveugle pour ne pas voir où nous a conduits cet huma­nisme orphe­lin de Dieu. Il n’est donc pas néces­saire de décrire ce que nous remar­quons de toutes parts : aux côtés des avan­cées de la civi­li­sa­tion abondent les égoïsmes, les dés­équi­libres, les vio­lences, les dan­gers, les injus­tices… qui ont certes tou­jours exis­té, mais qui consti­tuent aujourd’hui un réseau pla­né­taire qui menace l’humanité dans son essence et son exis­tence. La déca­dence de l’Occident – déjà diag­nos­ti­quée dans les années vingt du siècle der­nier – et les deux méca­nismes pré­da­teurs que nous avons évo­qués s’apparentent et se condi­tionnent de sorte que leurs arti­fices ne peuvent pas com­pen­ser les ravages de la civi­li­sa­tion déca­dente dans laquelle les hommes ne sont que des pan­tins.

Le seul moyen de sor­tir de cette situa­tion consiste à rede­ve­nir des hommes, de véri­tables hommes, et à nous débar­ras­ser des impos­teurs qui empoi­sonnent et fal­si­fient notre essence. Telle est la tâche sal­va­trice de l’homme du XXIe siècle. Retrou­ver les racines de l’Occident et, conscients de notre dépen­dance, reven­di­quer notre filia­tion divine afin de prendre un nou­vel essor, for­ti­fiés par l’espérance et par une nou­velle jeu­nesse.
En Amé­rique his­pa­nique, la terre la plus occi­den­tale de l’Occident, nos racines chré­tiennes ne se sont pas com­plè­te­ment des­sé­chées ; une sève vivi­fiante coule encore en elle. Pro­té­gés par les océans et par la mer des Caraïbes – bien qu’envahis par la moder­ni­té – nous avons sau­ve­gar­dé le sen­ti­ment d’éternité, de géné­ro­si­té, de la nature dans sa vir­gi­ni­té tel­lu­rique, et même l’insolence du « quand ça me chan­te­ra ». C’est là notre tré­sor. Sor­tons-le au grand jour pour les géné­ra­tions futures, com­mu­ni­quons-le dans un effort édu­ca­tif ins­pi­rés des idéaux éter­nels, mon­trons-le dans notre géné­ro­si­té spi­ri­tuelle au monde entier et remer­cions-en Dieu parce que nous savons et pou­vons encore le faire.

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