Revue de réflexion politique et religieuse.

Numé­ro 104 : Les muta­tions sym­bo­liques

Article publié le 14 Juil 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Une socié­té n’est pas diri­gée et édu­quée que par la loi, mais encore par toute une série de signes sym­bo­liques et de condi­tions qui la façonnent, et qui se super­posent au cadre légis­la­tif, même si celui-ci en consti­tue l’un des ins­tru­ments pré­fé­ren­tiels, ou tout au moins le plus visible. Pour reprendre la ter­mi­no­lo­gie de Mon­tes­quieu, « plu­sieurs choses gou­vernent les hommes : le cli­mat, la reli­gion, les lois, les maximes du gou­ver­ne­ment ; les exemples des choses pas­sées, les mœurs, les manières ; d’où il se forme un esprit géné­ral qui en résulte » (l’Esprit des lois, Livre XIX, ch. 4). Toute orga­ni­sa­tion sociale se mani­feste par une série de signes visibles, en même temps que ces signes consti­tuent des ins­tru­ments de son uni­té. La sépa­ra­tion entre le public et le pri­vé est la grande réus­site du libé­ra­lisme, au sens phi­lo­so­phique éla­bo­ré au début du pro­ces­sus moderne, et qui imprègne ce qu’il est conve­nu d’appeler l’Occident. Cette sépa­ra­tion et son accep­ta­tion jusque dans l’esprit de ceux qui pré­tendent lui être oppo­sés est sans doute sa plus belle réus­site : l’utilité publique d’un côté, les valeurs propres aux indi­vi­dus de l’autre. <br />L’intégration à peu près uni­ver­selle de cette sépa­ra­tion arbi­traire entre l’individuel et le social rend très dif­fi­cile l’appréhension et plus encore, l’analyse de l’ « esprit géné­ral » qui émane de l’organisation sociale en même temps qu’il contri­bue à son main­tien, d’autant plus effi­ca­ce­ment que cet « esprit », même res­sen­ti comme une fata­li­té, est par­tout et nulle part, sem­blant rele­ver de la nature des choses ou des mal­heurs du temps. Si les lois per­verses sont immé­dia­te­ment iden­ti­fiables, il n’en va pas de même du vaste sys­tème de signes qui les pré­cèdent et les pro­longent. L’ordonnancement de la socié­té tem­po­relle médié­vale vers sa fin éter­nelle se tra­duit non seule­ment par la haute den­si­té des cathé­drales, des églises et des monas­tères, mais aus­si par l’organisation des villes autour de ces édi­fices, par un rythme de vie orga­ni­sé en fonc­tion du rythme litur­gique, en même temps que le déve­lop­pe­ment de cette litur­gie et de la vie ecclé­sias­tique prend en compte le rythme de la socié­té dans laquelle elle s’insère et qu’elle irrigue. Dans les socié­tés tra­di­tion­nelles, on retrouve éga­le­ment cette orga­ni­sa­tion de l’espace et du temps social autour de l’organisation reli­gieuse, qui la struc­ture et lui donne son orien­ta­tion géné­rale et sa ver­ti­ca­li­té.

Cette imbri­ca­tion très forte entre l’organisation de la Cité et sa struc­tu­ra­tion reli­gieuse n’a pas été remise en cause par le pro­ces­sus de sécu­la­ri­sa­tion : car la moder­ni­té poli­tique a vou­lu se consti­tuer elle-même en reli­gion de sub­sti­tu­tion, en repre­nant à son compte, et dans une fonc­tion exclu­si­ve­ment sécu­lière, les rites reli­gieux et sociaux qui la pré­cé­daient. Les liai­sons sym­bo­liques n’ont pas été, tout au contraire, sup­pri­mées par la moder­ni­té : on pour­rait même dire que le recours à des rites sociaux  a, à l’inverse, été accru par elle, mais avec une signi­fi­ca­tion et une fonc­tion toute dif­fé­rente. Les rites et sym­boles sociaux sont en effet conçus, à l’instar des ten­ta­tives ini­tiales de recons­truc­tion du calen­drier révo­lu­tion­naire, comme autant de moyens de main­te­nir arti­fi­ciel­le­ment une uni­té sociale dépour­vue de fon­de­ment com­mun.

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