Revue de réflexion politique et religieuse.

Le Cercle Jean XXIII

Article publié le 14 Juil 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

[Note : cet article a été publié dans Catho­li­ca n. 89, automne 2005]

Un uni­ver­si­taire nan­tais, Guy Gou­reaux, mili­tant socia­liste et laïque, vient de retra­cer l’histoire d’une asso­cia­tion de catho­liques en rup­ture d’Eglise, dont il a été l’un des ini­tia­teurs et ani­ma­teurs de sa fon­da­tion en 1963 — pour sou­te­nir les pre­mières intui­tions de Vati­can II et en hom­mage au pape qui l’avait convo­qué —, à sa dis­so­lu­tion en 1980 : le Cercle Jean XXIII ((6. Guy Gou­reaux, Le Cercle Jean XXIII. Des catho­liques en liber­té. Nantes, 19631980, Kar­tha­la, coll. Signes des Temps, décembre 2004, 28€)). Comme l’écrit Yvon Tran­vouez dans la pré­face du livre qui porte ce titre, il a vécu sous « l’ancien régime de la révo­lu­tion conci­liaire » et rejette ce qu’il appelle l’« Eglise-Ins­ti­tu­tion », la hié­rar­chie.

Ain­si, mal­gré ce que l’auteur sou­hai­te­rait faire accep­ter, l’ouvrage n’est pas neutre, il est en quelque sorte l’éloge funèbre d’un com­bat qui a échoué, ce qu’il regrette amè­re­ment. Cela n’enlève tou­te­fois rien à l’intérêt du livre, car il s’agit là d’un témoi­gnage, livré sans rete­nue, sur ce qu’a été ce grou­pe­ment de catho­liques à la pointe du pro­gres­sisme. Rejet de l’« Eglise Ins­ti­tu­tion », exi­gence de « démo­cra­tie interne » dans l’Eglise, remise en cause des rap­ports entre la Hié­rar­chie et le « Peuple de Dieu », telles sont les idées de base d’un mou­ve­ment qui trouve ses racines dans la résis­tance à l’Occupation. Son orga­ni­sa­tion, de même, qui se veut non hié­rar­chique, à la manière d’une « cel­lule de base » spon­ta­née.

A ces idées de réformes struc­tu­relles s’ajoute très vite — décou­lant de fait de ces points de départ — une remise   en cause de la pré­sence ecclé­siale dans la socié­té, la pré­fé­rant dis­crète et effa­cée dans tous les domaines, refu­sant tout appui des pou­voirs publics pour défendre la reli­gion : « Par exemple, les démarches effec­tuées […] auprès d’instances poli­tiques pour ten­ter de faire inter­dire la pro­jec­tion d’un film, ne pou­vaient elles être per­çues comme une marque d’autoritarisme, voire d’abus de pou­voir, ris­quant de faire dou­ter de la sin­cé­ri­té du témoi­gnage de l’Eglise ? ». De même, pour « recon­naître les réa­li­tés du monde », on donne nais­sance à un mou­ve­ment de refus de l’école libre, contre la posi­tion offi­cielle des évêques. On voit ain­si de nom­breux membres nan­tais du Cercle Jean XXIII s’associer aux « laïques » pour exi­ger la fin de l’école « confes­sion­nelle », pous­sant les parents à reti­rer leurs enfants des écoles libres pour les pla­cer dans les écoles publiques, voire à récla­mer d’en ouvrir lorsqu’il n’y en a pas.

Mais il ne s’agit pas du seul ter­rain de contes­ta­tion, loin s’en faut. Les membres du Cercle Jean XXIII — sou­te­nus par des ecclé­sias­tiques, tels les pères Chris­tian Duquoc et Marie-Domi­nique Che­nu, mais aus­si d’autres, moins connus — s’engouffrent dans la brèche créée par le concile Vati­can II et touchent à tous les domaines, avec deux slo­gans : « démo­cra­tie » et aggior­na­men­to. Pour eux, tout est à revoir dans l’« Eglise-Ins­ti­tu­tion » : rela­tions entre la Hié­rar­chie et les fidèles, morale sous tous ses aspects, théo­lo­gie, au nom d’« un dogme […] :   la liber­té de conscience […].

L’analyse des textes conci­liaires récents les confor­tait dans leur posi­tion, les encou­ra­geait à prendre des ini­tia­tives, voire à s’affirmer aus­si com­pé­tents, sinon plus, que le corps clé­ri­cal, dans la com­pré­hen­sion des phé­no­mènes sociaux et sur nombre de ques­tions y com­pris de morale ». L’auteur exprime au pas­sage bruyam­ment son désac­cord vis-à-vis de l’attitude de la papau­té envers cer­taines « expé­riences pas­to­rales » (prêtres-ouvriers, théo­lo­gie de la libé­ra­tion, condam­na­tions contre­car­rant « le libre débat qui est de droit dans l’Eglise ») et « la ten­dance conser­va­trice », si ce n’est « l’intégrisme catho­lique » : « Fal­lait-il être schis­ma­tique pour être écou­té dans les arcanes vati­canes ?

On atten­dra 1988 pour que Mgr Lefebvre soit condam­né. On attend encore aujourd’hui […] que se sou­mettent aux orien­ta­tions conci­liaires les com­mu­nau­tés schis­ma­tiques ins­tal­lées ici et là avec le sou­tien d’évêques dio­cé­sains ».  De plus, le com­bat de ces mili­tants contre l’« Ins­ti­tu­tion » les conduit à unir leurs efforts à ceux d’autres confes­sions (ce que Guy Gou­reaux appelle « un œcu­mé­nisme enga­gé ») contre Fran­co, Sala­zar, Pino­chet, le Bré­sil des géné­raux, la guerre du Viêt-Nam, le nucléaire… Aupa­ra­vant, tout natu­rel­le­ment, ils avaient été « sur les fronts de la déco­lo­ni­sa­tion (Algé­rie, Indo­chine) », bref, tous les bons com­bats du pro­gres­sisme.  Cet « œcu­mé­nisme enga­gé » s’attaque aus­si — inten­tion­nel­le­ment ou non, l’auteur le met sur le même plan que les régimes auto­ri­taires — aux ques­tions de morale. Lors du débat sur   la léga­li­sa­tion de l’avortement, les mili­tants du Cercle prennent offi­ciel­le­ment posi­tion en faveur de la loi, que ce soit par des textes dis­cu­tés en com­mun ou par des com­mu­ni­qués : « Les signa­taires — face aux groupes dépres­sion dont l’intérêt est de s’opposer à tout chan­ge­ment — se pro­noncent pour la libé­ra­li­sa­tion de la contra­cep­tion et de l’avortement.

Ils demandent très fer­me­ment : […] Que les moyens contra­cep­tifs soient acces­sibles à tous […]. Que l’avortement — comme ultime recours — soit libre, pris en charge par la sécu­ri­té sociale, et réa­li­sé dans les meilleurs condi­tions médi­cales ».  Cepen­dant la contes­ta­tion tous azi­muts menée par le Cercle entraîne son affai­blis­se­ment — en rai­son du manque de relève et d’un épui­se­ment lié à l’absence de coor­di­na­tion — et un réin­ves­tis­se­ment de ses membres, au moins de cœur, dans les asso­cia­tions contes­ta­taires telles que « Chré­tiens en Liber­té… », les « réseaux du Par­vis » et « Nous sommes aus­si l’Eglise ».

Guy Gou­reaux, dans sa conclu­sion, regrette clai­re­ment que son com­bat n’ait pu abou­tir, citant ces mots du père Congar (Mon­jour­nal du Concile) : « Il n’y a rien à faire de déci­sif tant que l’Eglise romaine ne sera pas sor­tie tota­le­ment de ses pré­ten­tions sei­gneu­riales et tem­po­relles. Il fau­dra que tout cela soit détruit. Et cela le sera ». La contes­ta­tion, tou­jours pré­sente, ne dépasse cepen­dant pas le stade du grou­pus­cule dont l’action est vouée inexo­ra­ble­ment à l’échec et ne se main­tien­drait pas long­temps sans le relais de médias amis.

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