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Le nou­veau Kul­tur­kampf

[Wer­ner Olles fait par­tie, comme Gün­ter Maschke ou Botho Strauss, des Kon­ver­ti­ten, ces anciens acti­vistes du mou­ve­ment de 1968 qui ont aban­don­né leurs attaches d’origine. En 1968–1969, Wer­ner Olles mili­tait à Franc­fort dans les rangs du SDS de Rudi Dut­schke. Après être pas­sé dans dif­fé­rents mou­ve­ments de la gauche radi­cale, il est deve­nu per­ma­nent des jeu­nesses socia­listes (Juso) entre 1973 et 1977. Ce n’est que dans la fin des années soixante-dix qu’il rompt avec ce milieu. Il col­la­bore aujourd’hui régu­liè­re­ment à l’hebdomadaire ber­li­nois Junge Frei­heit, organe de presse non confor­miste, idéo­lo­gi­que­ment com­po­site, stu­pi­de­ment dési­gné du doigt comme néo­na­zi par la pro­pa­gande mar­xiste tou­jours cultu­rel­le­ment domi­nante outre-Rhin, par­ti­cu­liè­re­ment hai­neuse contre les trans­fuges de son camp.]

C’est dans les années soixante, alors que l’école de Franc­fort prend ses dis­tances avec le mar­xisme pour se ral­lier à la variante anti­fas­ciste du libé­ra­lisme, que l’on assiste à la fin des débats intel­lec­tuels entre gauche et droite. Pour les deux camps, bien qu’ils ne l’avouent pas, il s’agit d’une défaite intel­lec­tuelle : pour la gauche, car même si elle conserve cer­tains restes du mar­xisme, elle pour­suit désor­mais une forme de sen­ti­men­ta­lisme mora­li­sa­teur fon­dé sur l’antifascisme ; pour la droite conser­va­trice, dans la mesure où, se défi­nis­sant par oppo­si­tion, elle perd son adver­saire et donc sa rai­son d’être intel­lec­tuelle.

Dans son cas la crise prend cepen­dant l’allure d’une tem­pête dans un verre d’eau, car il est dif­fi­cile d’identifier chez elle le moindre pro­jet, qu’il s’agisse d’un pro­jet intel­lec­tuel, popu­liste, voire même ter­ro­riste. L’époque est aux grandes rup­tures. L’Eglise catho­lique n’arrête pas de se réfor­mer et les syn­di­cats se trans­forment en socié­tés d’assurances, tan­dis que les par­tis font sem­blant de faire de la poli­tique. L’extension de l’utilitarisme a joué un rôle impor­tant dans cette évo­lu­tion, avec pour effet de trans­for­mer en norme le maté­ria­lisme, sous la forme d’une ido­lâ­trie de la mar­chan­dise, et de dis­qua­li­fier la dif­fé­rence entre la véri­té et l’erreur, ce qui fait que tout est pos­sible pour arri­ver à ses fins. Dans cette ido­lâ­trie de la mar­chan­dise, les verts alle­mands, les Grü­nen, ont joué un rôle d’avant-garde. Le com­mu­niste Rudolf Bah­ro disait à leur sujet : « La classe la plus cor­rom­pue psy­cho­lo­gi­que­ment est la classe intel­lec­tuelle bour­geoise de type alter­na­tif dont le seul objec­tif est l’expansion de son propre style de vie ». Il y a quelque temps, nous avons eu un grand débat visant à faire le bilan du mou­ve­ment de 1968. La conclu­sion s’est impo­sée : la pro­tes­ta­tion révo­lu­tion­naire, loin de don­ner un coup de frein à la socié­té de consom­ma­tion, a para­doxa­le­ment accé­lé­ré son déve­lop­pe­ment. L’adaptation a été si par­faite que les soixante-hui­tards n’ont même pas remar­qué qu’ils étaient deve­nus les défen­seurs d’un sys­tème qu’ils étaient cen­sés avoir atta­qué. C’est l’une des forces de ce sys­tème que de pou­voir anéan­tir ses enne­mis par l’intégration. Dans cette grande révo­lu­tion sociale, on a donc cher­ché la rup­ture avec la tra­di­tion, mais sans trop savoir vers où on allait, et c’est de cette manière que s’est construite la cri­tique sociale. Mais main­te­nant que l’Etat est aux mains des soixante-hui­tards, les masques sont tom­bés et avec eux les grands idéaux, et le cli­mat est donc au désar­roi : désar­roi des mili­tants qui ont l’impression d’avoir été trom­pés, désar­roi de la socié­té qui ne par­vient plus à dis­tin­guer les mes­sages des uns et des autres. Et cette nou­velle situa­tion engendre une crise de confiance vis-à-vis de la sphère poli­tique, cha­cun pre­nant peu à peu conscience du déca­lage entre les dis­cours et les actes. Au-delà des grands objec­tifs pro­cla­més, il devient mani­feste que les hommes poli­tiques consti­tuent une classe homo­gène qui cherche avant tout son inté­rêt propre. Le dis­cré­dit se porte donc à la fois sur les hommes du fait de leur hypo­cri­sie, et sur les idées qu’ils véhi­culent parce qu’elles appa­raissent de plus en plus clai­re­ment comme un vul­gaire ali­bi. Les grands concepts de sou­ve­rai­ne­té popu­laire et de repré­sen­ta­tion perdent leur brillant et appa­raissent bru­ta­le­ment comme des concepts vides visant à mas­quer la cap­ta­tion du pou­voir par une classe spé­cia­li­sée.

Dans cette situa­tion de dés­illu­sion, il est éton­nant de consta­ter à quel point l’imagination poli­tique a pu man­quer. Si la classe poli­tique n’a pas inté­rêt à sor­tir de ce sys­tème, qui consti­tue son gagne-pain, la socié­té, de son côté, tient aux avan­tages acquis et ne sou­haite en rien sacri­fier son mode de vie indi­vi­dua­liste et hédo­niste. En défi­ni­tive, c’est la peur de l’inconnu qui domine : même si les gens ne sont pas satis­faits du régime actuel, ils craignent les néces­saires remises en cause que pour­rait impli­quer un chan­ge­ment. En fait, ils ne sont pas suf­fi­sam­ment dés­illu­sion­nés pour pas­ser à un rejet mili­tant. Toute forme d’alternative semble impen­sable, si bien qu’on assiste à la vic­toire du mot d’ordre de Chur­chill : « La démo­cra­tie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Quant aux milieux conser­va­teurs dont on atten­drait une oppo­si­tion plus réso­lue, c’est le fata­lisme du fait accom­pli qui les anéan­tit. Ils sont tel­le­ment englués dans la réa­li­té quo­ti­dienne de l’ordre des choses en vigueur que celui-ci leur masque toute autre pers­pec­tive. L’imagination et l’audace poli­tique dis­pa­raissent, la seule réponse pos­sible res­tant de nature pure­ment défen­sive.

Si l’on veut com­prendre ce phé­no­mène de rési­gna­tion dés­illu­sion­née ou de dés­illu­sion rési­gnée, il faut prendre la mesure de l’extension aux masses de l’utilitarisme iro­nique. Si per­sonne ne croit plus aux grands dis­cours, seule compte désor­mais l’utilité indi­vi­duelle. On retrouve le même pro­ces­sus d’ironisation du côté de l’Etat et du côté du peuple, les deux se condi­tion­nant d’ailleurs mutuel­le­ment. Alors qu’autrefois l’Etat était convain­cu de la noblesse de sa mis­sion, aujourd’hui tel n’est plus le cas. La crise touche tout autant la classe poli­tique que celle des fonc­tion­naires qui, per­sua­dés jusque-là d’assurer une mis­sion de bien public, tombent désor­mais dans la dés­illu­sion et se mettent comme les autres à adop­ter l’utilitarisme ambiant. Du côté de la socié­té, le pro­ces­sus est ana­logue. A la dif­fé­rence d’il y a une cin­quan­taine d’années, per­sonne ne croit plus aux grands dis­cours et à la mis­sion de l’Etat. Dans ce cli­mat, cha­cun se met donc à cher­cher son bien propre. La socié­té se trans­forme en une jux­ta­po­si­tion de mafias qui cherchent toutes leur inté­rêt. Cepen­dant, puisque per­sonne ne croit plus à rien si ce n’est à l’organisation du bien-être per­son­nel, on pour­rait ima­gi­ner que l’espace public affiche cet indi­vi­dua­lisme radi­cal. Or, il semble que l’ensemble des acteurs tiennent mal­gré tout à sau­ver la face en fai­sant comme si de rien n’était. Pour main­te­nir l’illusion, on trouve de nou­veaux pro­jets ou, pour reprendre l’expression du pré­sident Ken­ne­dy, de nou­velles fron­tières. La construc­tion de l’Europe tout comme le bri­co­lage du vivant rem­plissent typi­que­ment cette fonc­tion.

Si l’on vou­lait adop­ter une pers­pec­tive de rup­ture, il fau­drait iden­ti­fier les lieux de pro­duc­tion de l’idéologie et du confor­misme, car ce sont eux qui font constam­ment de la publi­ci­té pour le monde tel qu’il est. La gauche, qui est allée à pas de géant de Marx à Haber­mas, n’est plus en mesure d’analyser les struc­tures d’encadrement intel­lec­tuel et social des masses. Tout occu­pée avec sa propre sub­jec­ti­vi­té, elle n’en finit plus de s’autocélébrer. La « post­po­li­tique » consti­tuant le para­digme domi­nant, il s’opère une clô­ture de l’organisation sociale sur elle-même, ce qui fait que plus per­sonne ne pense à la remettre en cause. Il n’y a plus ni ami ni enne­mi, mais seule­ment des malades et des gens en bonne san­té. Tout cela débouche sur une nou­velle forme de Kul­tur­kampf, où il n’y a plus de véri­table débat, où toutes sortes de pla­ce­bos sont admi­nis­trés pour faire face à la dépres­sion de chaque camp et où l’opposant doit être « trai­té » pour reve­nir à la nor­ma­li­té. Ce que l’on appelle en Alle­magne la « révolte des bien-pen­sants » (Der Auf­stand der Anstän­di­gen) est typique de ce phé­no­mène : il s’agit en effet d’une coa­li­tion hété­ro­clite regrou­pant Eglises, syn­di­cats, par­tis et bonnes gens de toute cou­leur poli­tique dont l’objectif est de pour­chas­ser tous ceux qui ne sont pas dans la ligne en les accu­sant de néo­na­zisme. L’ironie de l’histoire, c’est que ceux qui sont exclus se prennent pour des résis­tants héroïques au même titre que les bien-pen­sants, ce qui vient confir­mer que l’idéologie actuelle fonc­tionne comme une machine à fabri­quer de l’autosatisfaction.

Même si on ne peut repor­ter toute la res­pon­sa­bi­li­té sur le mou­ve­ment de 1968, il est évident que toute cette agi­ta­tion a contri­bué à la décons­truc­tion de l’Etat dans sa forme auto­ri­taire telle qu’elle a exis­té jusque dans les années cin­quante. L’objectif était de cas­ser ce qui pou­vait res­ter d’unité sociale pour abou­tir à l’éclatement dans tous les domaines : poli­tique, cultu­rel, et aus­si reli­gieux. Et ce pro­ces­sus a pris corps avec la poli­ti­sa­tion et la démo­cra­ti­sa­tion de tous les sec­teurs de la vie. L’une des fonc­tions essen­tielles de 1968 aura été de faire sau­ter un cer­tain nombre de ver­rous. Dans les années soixante, la socié­té était mûre pour se libé­ra­li­ser tan­dis que l’Etat tra­vaillait à sa propre dissolution/recomposition (Ent­ker­nen). La nou­veau­té, c’est alors l’éclatement de la socié­té en de très nom­breux petits groupes d’intérêt qui fonc­tionnent tous à la manière de gangs. L’Etat lui-même est deve­nu mafieux au point qu’il n’est plus pos­sible de le dis­tin­guer du reste de la socié­té. Certes, nous ne tou­chons pas encore le fond et il est dif­fi­cile de dis­cer­ner la sor­tie de ce pro­ces­sus de déclin, mais per­sonne ne paraît aujourd’hui en mesure de don­ner un coup de frein. En fait, le sys­tème a décou­vert les lois de l’éternelle sta­bi­li­té ! Il s’agit d’une grande trom­pe­rie dont per­sonne n’est dupe mais que tout le monde accepte.

C’est là que la ques­tion du « que faire ? » prend tout son sens. Mal­heu­reu­se­ment, du côté de ceux qui sont cen­sés refu­ser l’effondrement, on ne peut que consta­ter le manque d’idées visant à arrê­ter ce der­nier. Et pour­tant il y a suf­fi­sam­ment de rai­sons qui devraient pous­ser à la révolte contre le sys­tème tech­no­cra­tique, d’autant plus que si ce der­nier est très puis­sant, il est en même temps très vul­né­rable. Du fait de cette contra­dic­tion interne, je pense qu’il vau­drait mieux par­ler d’ordre instable. Le para­doxe est si fort que le scé­na­rio de l’implosion n’est pas à exclure : ce serait la réité­ra­tion à l’Ouest de ce qui s’est pas­sé à l’Est pour le régime com­mu­niste. Cepen­dant, il nous faut prendre conscience qu’aussi long­temps que la grande coa­li­tion de tech­no­crates-chré­tiens et des sociaux-tech­no­crates, des réa­listes prag­ma­tiques et des gens de droite, s’appuyant sur les restes de la théo­rie cri­tique, entre­tien­dra son hégé­mo­nie cultu­relle sous la forme de l’évangile de la « socié­té civile » ou sous la forme de l’engagement en faveur des droits de l’homme, toute révolte contre cette tech­no­cra­tie sera impos­sible et de ce fait devra être pen­sée dans la durée. Une autre dif­fi­cul­té vient du carac­tère insai­sis­sable des centres de pou­voir, puisque la tech­no­cra­tie est tout à la fois par­tout et nulle part. Aupa­ra­vant, il était facile d’identifier les lieux du pou­voir : c’était l’empereur, le tsar, le roi. Avec la nou­velle tech­no­cra­tie, le pou­voir devient à la fois ten­ta­cu­laire et ano­nyme. La révolte devient de ce fait beau­coup plus dif­fi­cile.

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Plu­sieurs élé­ments peuvent cepen­dant jouer à l’avenir et la démo­gra­phie n’est pas l’aspect le moins impor­tant. On va en effet tout droit vers le sui­cide démo­gra­phique : il s’agit d’une vague de fond irré­sis­tible. Le sys­tème a trou­vé mal­gré tout la parade en recou­rant mas­si­ve­ment à l’immigration. Et je ne crois pas que de ce fait nous allions au devant d’une grande guerre civile, car les nou­veaux arri­vants vont pro­gres­si­ve­ment s’assimiler et, un jour ou l’autre, ils seront aus­si déca­dents et cor­rom­pus que le reste de la popu­la­tion. Certes, on peut ima­gi­ner qu’une mino­ri­té res­tée reli­gieuse garde un mode de vie dif­fé­rent, mais il ne peut s’agir que d’une mino­ri­té. De toute façon, si elle garde sa reli­gion, ce sera uni­que­ment à titre pri­vé. Même si les futurs immi­grés par­viennent à consti­tuer une force sociale, ils pren­dront les mêmes habi­tudes et devien­dront aus­si mafieux que les autres. Je ne crois ni à un clash violent ni à la répu­blique isla­mique. En revanche, la déca­dence occi­den­tale se ren­for­ce­ra.

Aus­si, je ne vois aujourd’hui aucune issue dans la décen­nie qui vient. Même en France où un contexte plus favo­rable per­met l’expression poli­tique dis­si­dente, le sys­tème sait gérer cette « crise » en met­tant en place tous les contre-feux néces­saires. Je suis donc plu­tôt pes­si­miste dans le court terme. Avec la dis­pa­ri­tion de l’attachement à la reli­gion, à la nation ou à la famille, on assiste à une nou­velle aggra­va­tion du drame de l’homme moderne. Il est vrai que la socié­té ato­mi­sée peut encore enivrer ses membres avec plus de loi­sirs, de vacances, de télé­vi­sion, de consom­ma­tion et de drogue. Comme dirait mon ami Gün­ter Maschke, il nous faut faire face à un phé­no­mène d’« indi­vi­dua­li­sa­tion sur fond de mas­si­fi­ca­tion totale ». Tan­dis que la repro­duc­tion indus­trielle de l’homme est à por­tée de la main, jamais on ne lui a autant expli­qué com­bien il consti­tuait une créa­ture sin­gu­lière ! Mais paral­lè­le­ment l’homme expé­ri­mente quo­ti­dien­ne­ment sa soli­tude, son désar­roi et sa totale impuis­sance. Il va donc fal­loir admettre un jour que le pro­jet des Lumières a échoué et que la socié­té moderne est régie par un anti-huma­nisme. Mais comme per­sonne n’ose le dire — car il fau­drait alors admettre que l’existence humaine est une « val­lée de larmes » — le train est déjà par­ti et on ne peut plus l’arrêter.

Pour­rait-on reprendre contre le sys­tème tech­no­cra­tique la révolte inau­gu­rée par le sur­réa­lisme à l’encontre la domi­na­tion de la rai­son ? Ce ne serait qu’un jeu, une mise en scène esthé­tique. « Qui ne fait plus aucune conquête, consent à être conquis », écri­vait Cio­ran. Il est dif­fi­cile de dis­cer­ner les contours que la dis­si­dence peut et doit prendre si elle veut échap­per à cer­tains cou­rants pes­si­mistes. Sans objec­tif, elle oscil­le­ra en tout cas entre ral­lie­ment « réa­liste » et oppo­si­tion totale mais sté­rile. Je ne vois mal­heu­reu­se­ment nulle part une volon­té poli­tique de dépas­ser la situa­tion pré­sente. Il se pas­se­ra encore beau­coup de temps avant que les nappes de brouillard ne se dis­sipent et que l’on puisse dis­tin­guer les nou­velles lignes de front pour que fina­le­ment sonne l’heure du poli­tique et du réveil natio­nal. Si bien qu’aujourd’hui je pense que notre devoir est de créer un peu de désordre intel­lec­tuel dans une sphère publique occu­pée par un Kul­tur­kampf au rabais, et dont le carac­tère arti­fi­ciel tient à la mise en scène sté­réo­ty­pée des pro­ta­go­nistes, la figure du conser­va­teur jouant le rôle de bouc émis­saire. Je ne crois pas au carac­tère réfor­mable du sys­tème et toute stra­té­gie par­ti­ci­pa­tive, notam­ment par l’insertion au sein des par­tis, est vouée à l’échec. En revanche, il est pos­sible à mon sens de tra­vailler dans deux direc­tions. C’est ce que j’ai eu l’occasion d’expliquer, il y a un cer­tain temps, en marge d’une confé­rence tour­nant autour de mon article Das Ver­lust des Poli­ti­schen (« La perte du poli­tique », Junge Frei­heit, 11 août 2000). Une pre­mière piste consiste à tis­ser des liens micro-sociaux. Face à l’isolement, la sur­vie ne peut pas­ser que par l’entretien de rela­tions actives à cette échelle. L’autre piste, c’est le tra­vail intel­lec­tuel, sachant qu’il ne faut sur­es­ti­mer aucune des deux pistes. En effet, d’un côté, il y a ceux qui croient à l’activisme — au col­lage d’affiches ! — mais qui ne se rendent pas compte que cela ne sert à rien, tan­dis que de l’autre il y a ceux qui écrivent des articles pour une dou­zaine de per­sonnes qui acquiescent tout en se deman­dant ce qu’il faut faire. Le drame, c’est que ces deux popu­la­tions ne se ren­contrent pas. Tout se passe comme s’il exis­tait un fos­sé entre les prag­ma­tiques et les intel­lec­tuels. Or il est impor­tant d’unir les deux dimen­sions si l’on veut évi­ter l’écueil de l’intellectualisme dés­in­car­né tout comme celui de l’activisme irres­pon­sable. Mais avant cela, il faut fixer les objec­tifs et se cla­ri­fier les choses à soi-même. Et en ce sens, démys­ti­fier l’ordre exis­tant est un moyen de com­prendre ce qui se passe et de sai­sir les occa­sions quand elles se pré­sentent.