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L’américanisme et son idole

La liber­té n’est pas seule­ment ce dont on écrit le nom sur ses cahiers d’écolier. Ce peut être une idole au culte ren­table, qui vous assure tous les droits, jusqu’à celui de pri­ver des leurs ses sup­po­sés enne­mis ; sur cette pré­misse fort plas­tique, on jus­ti­fie l’injustifiable. Chris­to­pher Fer­ra­ra illustre abon­dam­ment ce constat dans Liber­ty : the god that fai­led [Liber­té, le dieu qui a échoué] ((. Chris­to­pher A. Fer­ra­ra, Liber­ty The God That Fai­led, Poli­cing the Sacred and Construc­ting the Myths of the Secu­lar State, from Locke to Oba­ma, Ange­li­co Press, New York, 2012, 726 p. L’auteur est avo­cat, pré­sident de l’American Catho­lic Lawyers Asso­cia­tion)) . Il s’agit, comme l’auteur le men­tionne à plu­sieurs reprises, d’une étude de la fonc­tion de la liber­té dans la poli­tique amé­ri­caine, dis­cours et pra­tique (pp. 40 et 619), de Locke à la fin du XIXe siècle. Fer­ra­ra part du XVIIe siècle, et du constat que la notion de Lumières « modé­rées » n’a pas de sens, sauf à détes­ter les consé­quences des causes que l’on ché­rit. Les Lumières sont anti­ca­tho­liques par concep­tion. Elles sont nées dans l’Angleterre que le divorce d’un roi avait jeté dans la guerre civile et reli­gieuse. L’empirisme bri­tan­nique n’a rien de modé­ré, même s’il n’ose pas tou­jours aller au bout de sa logique. On connaît la lignée des phi­lo­sophes d’outre-Manche, Bacon (1561–1626), Hobbes (1588–1679), Locke (1632–1704), Ber­ke­ley (1685–1753) ou Hume (1711–1776). Fer­ra­ra les aborde sous un angle limi­té, mais cela vaut une inté­res­sante pré­sen­ta­tion de la reli­gion de Hobbes ou de l’émergence d’un « chris­tia­nisme rai­son­nable » chez Locke, dont l’influence sur les jeunes Etats-Unis s’avéra par­ti­cu­liè­re­ment puis­sante. Locke tolère tout sauf le catho­li­cisme, et en fait, la foi. L’on retrouve quelques points de pas­sage obli­gés : mythe de l’état de nature, réduc­tion du mariage à un contrat pri­vé, pro­mo­tion du divorce, sou­mis­sion de l’autorité reli­gieuse au pou­voir civil, haine de la papau­té. Fer­ra­ra note que les Lumières ont en outre atta­qué l’un des sub­strats de la phi­lo­so­phie clas­sique, à savoir la notion de sub­stance. Plus pro­fon­dé­ment, au nom de la liber­té, les­dites Lumières ont nié la nature de l’homme. Elles l’ont assi­mi­lée à une chaîne, à l’un de ces vices contre nature des liens des­quels la sagesse clas­sique a tout fait pour aider le vieil homme à s’affranchir. Mais on ne se libère pas de sa propre nature, parce que la nature n’est pas une mar­tin­gale extrin­sèque, mais une forme de l’être que l’éternité ne demande qu’à trans­fi­gu­rer. En para­phra­sant saint Tho­mas (IIIa q8 a7), on pour­rait dire que les Lumières ont défor­mé la notion de liber­té pour, sous son cou­vert, éle­ver au rang de biens l’aversion de Dieu et fina­le­ment la haine de soi.
Mais Fer­ra­ra per­met sur­tout de plon­ger dans les méandres de l’histoire amé­ri­caine, qui ne se ramène pas à une longue période de crois­sance heu­reuse acci­den­tel­le­ment trou­blée par la guerre de séces­sion. […]