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Au spec­tacle des droits de l’homme

Le récent essai de Valen­tine Zuber ((. Valen­tine Zuber Le culte des droits de l’homme, Gal­li­mard, Biblio­thèque des sciences humaines, 2014, 366 p., 26 €. ))  sur la nature et la valeur des droits de l’homme, en par­ti­cu­lier tels qu’exprimés dans la décla­ra­tion de 1789, s’inscrit dans la pen­sée laïque répu­bli­caine clas­sique. Il réa­lise à sa manière une syn­thèse assez remar­quable de la glose révo­lu­tion­naire, cette brume qui pré­tend s’illuminer à mesure qu’elle s’épaissit. L’idéologie des droits de l’homme est un oxy­more : elle est des­ti­née à abo­lir et rem­pla­cer toute reli­gion, mais ne peut le faire qu’en s’instituant elle-même une reli­gion – ou un « culte », pour reprendre la ter­mi­no­lo­gie de l’auteur, dont l’ouvrage eût pu d’une manière plus franche s’intituler « contri­bu­tion au culte des droits de l’homme ». En effet, ce qu’on ne peut lire que comme une défense des droits de l’homme for­mels ne s’attache à aucun moment au fond de ces droits ni à leur ori­gi­na­li­té ou à leurs apports concrets. Ils sont typiques de la divi­ni­té par leur inac­ces­si­bi­li­té et leur rendre l’hommage qui leur est dû semble bien être le seul hori­zon auquel s’est atta­chée Valen­tine Zuber. Si elle semble s’être effor­cée de rela­ter les grands débats et les oppo­si­tions d’idées qui ont émaillé l’histoire du texte et de l’idéologie qu’il porte, cet exer­cice n’est guère convain­cant car il ne s’attaque jamais à la signi­fi­ca­tion mais tou­jours à l’enveloppe du mes­sage, sacra­li­sée à l’envi. Au-delà du récit his­to­rique de la construc­tion et de l’épanouissement du culte des droits de l’homme, notre socio­logue tire, tout long de son ouvrage, des bords entre cri­tique des cri­tiques et apo­lo­gé­tique de l’œuvre révo­lu­tion­naire. Joseph de Maistre est le pre­mier monu­ment de la pen­sée contre-révo­lu­tion­naire auquel elle se confronte. Celui-ci, explique-t-elle, s’est conten­té de se trom­per sur la nature de la Res­tau­ra­tion : non pas, in fine, le « contraire d’une révo­lu­tion » mais la simple mani­fes­ta­tion d’une résis­tance méca­nique au souffle irré­sis­tible du génie triom­phant de la divine huma­ni­té. Comme Ben­ja­min Constant en son temps, rédui­sant l’histoire à un tor­rent qui ne sau­rait reve­nir sur lui-même, elle prête aux prin­cipes de la révo­lu­tion fran­çaise un carac­tère irré­ver­sible, un sens unique, obli­ga­toire et inévi­table, ce que conforte le constat que « la fin de l’Empire et les bou­le­ver­se­ments poli­tiques et mili­taires des années 1814–1815 […] n’ont pas été exempts de vio­lences et de règle­ments de comptes, ni d’une rééva­lua­tion du rôle de l’individu, acquis cen­tral et défi­ni­tif de la période révo­lu­tion­naire » (p. 63). Ce qui signi­fie, dit d’une autre manière, que le double tort de la réac­tion réside dans l’usage d’une vio­lence à la fois illé­gi­time et insuf­fi­sante. Insuf­fi­sante car n’anéantissant pas ses adver­saires. Illé­gi­time car s’opposant à l’immanence du culte de l’humanité, seul culte que sau­rait admettre la droite rai­son. Le défi­ni­tif de la révo­lu­tion s’applique bien sûr d’abord à la vio­lence par laquelle elle assure son triomphe.
S’attaquant ensuite à Hip­po­lyte Taine, elle écarte les cri­tiques qu’il a for­mu­lées en les rame­nant à des attaques contre de pré­ten­dus « faux prin­cipes de liber­té et d’égalité des hommes, incar­nés par la pro­cla­ma­tion émi­nem­ment dan­ge­reuse pour l’ordre social de la toute-puis­sance de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire » (p. 67). Puis elle concède fina­le­ment qu’en « mon­trant que l’œuvre des révo­lu­tion­naires avait été fina­le­ment nui­sible à l’épanouissement des liber­tés indi­vi­duelles pour­tant sacra­li­sées dans le texte théo­rique, mais selon lui par­ti­cu­liè­re­ment inef­fi­cace de la DDHC, Hip­po­lyte Taine a essayé de nous faire entendre une voix nou­velle et ori­gi­nale. Elle n’a pas été com­prise par le milieu répu­bli­cain fran­çais de la fin du XIXe siècle » (p. 82). On note­ra à cet endroit trois témoi­gnages d’une pro­fonde mau­vaise foi (l’incompétence ne sau­rait être impu­tée à cette uni­ver­si­taire répu­tée). D’abord, alors même qu’elle n’ignore pas Alphonse Aulard, Valen­tine Zuber cherche à faire de Taine un simple incom­pris. Il le fut en réa­li­té si bien que la répu­blique inven­ta, dans le but pre­mier de dis­cré­di­ter son œuvre, la chaire d’histoire de la révo­lu­tion fran­çaise. Et du reste, l’université fran­çaise n’a pas à ce jour, c’est le moins que l’on puisse écrire, réha­bi­li­té l’auteur des Ori­gines de la France contem­po­raine, tâche à laquelle l’auteur ne paraît pas non plus pres­sé de s’atteler. Deuxiè­me­ment, et il s’agit d’un trait carac­té­ris­tique de l’ouvrage, pas un ins­tant n’est abor­dé le fond du pro­jet « droits de l’homme et du citoyen », ce dont Taine ne s’est, lui, pas abs­te­nu. Enfin, ce n’est pas dans « la toute-puis­sance de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire » que Taine a vu l’horreur ter­ro­riste, mais, pré­fi­gu­ra­tion des siècles à venir, dans l’action occulte de grou­pus­cules idéo­lo­giques sus­ci­tant pas­sions, désordres et vio­lences par les pro­messes, la cor­rup­tion et les men­songes (c’est tout un). C’est pro­ba­ble­ment pour ces trois mêmes rai­sons que l’ouvrage ne contient pas la moindre allu­sion à l’œuvre d’Augustin Cochin, sem­blant mon­trer a contra­rio que la cri­tique de ce der­nier, réfu­tant Aulard jusqu’à dévoi­ler son impos­ture, ne pou­vait pas être mini­mi­sée, défor­mée ou récu­pé­rée.
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