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Hen­ri Hude : « Pen­ser la guerre depuis la chute du mur de Ber­lin. L’Empire du Bien contre la paix »

L’auteur, direc­teur du Pôle éthique des écoles mili­taires de Saint-Cyr, pré­sente un état de la ques­tion, rapide mais très logi­que­ment construit, de l’évolution de l’Empire amé­ri­cain depuis qu’il s’est trou­vé libé­ré du dan­ger d’affrontement avec son concur­rent sovié­tique. Cet Empire, qui n’est amé­ri­cain que parce qu’il lui faut une base, a une force conqué­rante mas­quée sous un dis­cours aimable en appa­rence, offrant paix et pros­pé­ri­té, mais se fai­sant pres­sant pour le faire par­ta­ger par tout le monde, d’une manière qui rap­pelle Rous­seau (« for­cer les gens d’être libres »). Dans cette entre­prise, tous les moyens sont bons, la morale invo­quée étant téléo­lo­gique (la fin jus­ti­fie les moyens) : inter­ven­tions mili­taires, de pré­fé­rence par vas­saux inter­po­sés, meurtres ciblés – faci­li­tés par l’usage des drones et autres tech­niques sophis­ti­quées –, désta­bi­li­sa­tion des Etats à sou­mettre, mani­pu­la­tion de mou­ve­ments ter­ro­ristes. Tout cela au nom de la pro­hi­bi­tion des guerres et de l’instauration d’une démo­cra­tie glo­bale (wil­son­nisme), rai­son­ne­ment impli­quant la cri­mi­na­li­sa­tion de toute oppo­si­tion et la pré­ten­tion d’avoir le droit de l’éradiquer par tout moyen, y com­pris les plus machia­vé­liques. Sur ce der­nier point, Hen­ri Hude rap­pelle une véri­té que tout le monde connaît, sur­tout depuis la paru­tion du livre de Hil­la­ry Clin­ton (Le temps des déci­sions, Fayard, juin 2014) : ce sont les Etats-Unis qui ont créé l’ISIS, appe­lé main­te­nant Etat isla­mique, pro­je­tant une uni­fi­ca­tion de la Libye au Golfe per­sique. L’intervention amé­ri­caine – tar­dive – en Irak (mais aus­si en Syrie !) devra donc être obser­vée très atten­ti­ve­ment dans le double dis­cours qu’elle nour­rit déjà. Le jeu est dan­ge­reux et au total peu cou­ron­né de suc­cès (l’échec égyp­tien est fla­grant, les Etats-Unis ayant misé sur des Frères musul­mans inca­pables et moins dis­ci­pli­nés que l’actuelle orga­ni­sa­tion cen­tra­li­sée du « calife » Ibra­him) sinon qu’il per­met à la puis­sance de se pré­sen­ter comme unique recours pour éteindre l’incendie par elle allu­mé (cf. notam­ment un entre­tien de J.-P. Filiu dans El Watan du 26 août 2014). En pré­pa­ra­tion ou en com­plé­ment vient l’activité du Natio­nal Endow­ment for Demo­cra­cy (Washing­ton), fon­da­tion gérant mani­pu­la­tion des foules, désta­bi­li­sa­tion et cor­rup­tion per­met­tant les « révo­lu­tions de cou­leur » (Liban, Tuni­sie, Egypte, Ukraine…) et les ren­ver­se­ments de régimes. Mal­gré cela, l’Empire ren­contre des obs­tacles externes – résis­tance de la Rus­sie et de la Chine, indo­ci­li­té d’Israël, l’instabilité des Euro­péens – et internes : la lourde fuite en avant tech­no­lo­gique et son corol­laire, la peur de l’engagement phy­sique sur le ter­rain. Deux hypo­thèses sont rete­nues par l’auteur : ou bien l’Empire implose comme l’a fait l’URSS, ou bien il pro­voque une troi­sième guerre mon­diale pour essayer de se sur­vivre. Une telle ana­lyse consti­tue une sti­mu­lante base de dis­cus­sion.