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Abbé Claude Barthe : Pen­ser l’œcuménisme autre­ment. Brève dis­ser­ta­tion sur l’unité de l’Église à la lumière de saint Tho­mas

Parmi les concepts en cours sur l’œcuménisme, un paraît pré­sen­ter une posi­tion moyenne, celui de « com­mu­nion impar­faite » qui désigne le rap­port des chré­tiens non-catho­liques avec l’Eglise. Or, selon la théo­lo­gie de saint Tho­mas d’Aquin, on ne peut sou­te­nir une telle idée. Tel est le point de départ de l’auteur de ce livret. En effet, dit-il, la com­mu­nion de, et dans l’Église est équi­va­lente à la com­mu­nion au Christ, et les deux doivent être envi­sa­gées du côté de la foi et de la cha­ri­té, « [l]a foi [ayant] une prio­ri­té (pas néces­sai­re­ment chro­no­lo­gique, car les ver­tus peuvent être infu­sées ensemble) et la cha­ri­té [ayant] valeur d’achèvement » (pp. 70–71). Parce qu’elle « fait par­ti­ci­per à l’unité sou­ve­raine de la divi­ni­té » (p. 81) et à l’unité de l’Eglise, Corps du Christ, l’unité de la foi ne peut être rela­ti­vi­sée : le désac­cord sur une véri­té révé­lée « revient à refu­ser l’autorité de Dieu, sur laquelle repose le « motif » de la foi […] et donc pul­vé­rise la foi de celui qui opère un tel choix » (p. 17). Repous­ser les « moyens obli­gés pour adhé­rer au Christ » – ce que font les héré­tiques – ne porte pas moins de consé­quences que le refus du Christ lui-même par les païens (p. 77). Une com­mu­nion selon la cha­ri­té est-elle alors pos­sible ? Non, car si tout dans l’Eglise est ordon­né à l’union dans la cha­ri­té, « [l]’acte de cha­ri­té sup­pose la foi, « car la volon­té ne peut tendre vers Dieu d’un amour par­fait si l’intelligence ne pos­sède pas une foi droite en ce qui concerne Dieu » » (p. 78, citant ST IIa IIae, q4, a 7, 5° solu­tion). On ne pose­ra pas alors de dif­fé­rence fon­da­men­tale entre pro­tes­tants et ortho­doxes : ces der­niers ont conser­vé la trans­mis­sion de l’épiscopat et par là la vali­di­té des sacre­ments, mais de manière gra­ve­ment défi­ciente par la dis­jonc­tion entre l’intégration dans le col­lège épis­co­pal par la consé­cra­tion, et la néces­saire juri­dic­tion reçue du pape. L’histoire et le pré­sent (la consti­tu­tion Angli­ca­no­rum coe­ti­bus orga­ni­sant le retour d’Anglicans) témoignent de la sou­plesse pas­to­rale de l’Eglise, mais cela ne sau­rait mini­mi­ser ce point (cf. cha­pitre II, pp. 47–66) C’est dans ce cadre théo­lo­gique que doivent être pen­sées des expres­sions phares du der­nier concile, à la source du flot­te­ment du dis­cours sur la note de l’Eglise qu’est l’unité : le « sub­si­tit in » de Lumen gen­tium n. 8, la « hié­rar­chie des véri­tés » d’Unitatis redin­te­gra­tio n. 11. Fai­sons ici sim­ple­ment deux remarques : dans « l’herméneutique de tra­di­tion » que l’abbé Barthe pour­suit, tous les textes du Concile trou­ve­ront-t-il leur place ? Et même, les deux textes cités ci-des­sus rece­vront-ils fina­le­ment l’interprétation qu’il pro­pose ? Pour le pre­mier, la décla­ra­tion Domi­nus Iesus ne tranche pas la ques­tion. N’y a‑t-il donc – pour pour­suivre le rai­son­ne­ment de l’ouvrage – aucune union du chré­tien non-catho­lique avec le Christ et l’Eglise ? Si, mais elle est sim­ple­ment « poten­tielle », en puis­sance, au regard de l’universalité du des­sein du Salut. Pour le chré­tien non-catho­lique comme pour le non-chré­tien, l’union au Christ n’est pas effec­tive, degré qui carac­té­rise les membres en acte de l’Eglise, « ceux qui sont dans la gloire ou qui sont sur la terre, in via, unis à l’Eglise par la foi et la cha­ri­té » (p. 26). Si l’on peut par­ler de com­mu­nion impar­faite ou « informe », c’est à pro­pos des catho­liques pécheurs mor­tels car, déclare saint Tho­mas, « la cha­ri­té est la forme de la foi, en tant que par la cha­ri­té l’acte de foi est véri­ta­ble­ment for­mé » (ST IIa IIae, q 4, a3, cité p. 32) ; ce qui n’est pas chez eux le cas. Si la pen­sée pré­sen­tée ici vaut sans conteste pour ceux qui causent l’hérésie ou le schisme, comme pour les com­mu­nau­tés et Eglises sépa­rées en tant que com­mu­nau­tés, il faut ordon­ner sen­si­ble­ment les choses autre­ment pour les chré­tiens de bonne foi, nés dans une com­mu­nau­té sépa­rée mais n’assumant pas per­son­nel­le­ment la dimen­sion héré­tique, « anti­ca­tho­lique » de cette com­mu­nau­té. L’auteur en convien­dra sans doute avec nous.