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Jacques Char­pen­treau : Ombres légères. Élé­gies

L’his­toire est écrite par les vain­queurs. Dépouillé des moyens maté­riels de défendre sa cause, le vain­cu se voit sur­tout pri­vé du res­sort néces­saire pour écrire sa propre vie. Seuls les peuples forts engendrent de grands his­to­riens, et aus­si de grands écri­vains. Qui ne s’aime pas soi-même, n’aime pas davan­tage sa langue, et en oublie qu’elle peut conduire au-delà de la signi­fi­ca­tion uti­li­taire de ses mots. La sté­ri­li­té poé­tique moderne sonne comme un signal poli­tique. Trait carac­té­ris­tique d’une civi­li­sa­tion malade, nous pro­dui­sons encore des ouvrages d’érudition, des romans de deuxième ordre, et presque plus un seul poème. L’industrie contem­po­raine de poé­sie en prose vomit sur­tout des sco­ries sub­ven­tion­nées. Ecrire en vers est deve­nu un acte de résis­tance et de foi qui fait sou­rire les cénacles offi­ciels et l’on pour­rait dire de la poé­sie en vers ce qu’Aude de Ker­ros écrit de « l’art caché » oppo­sé à « l’art contem­po­rain ». Publié en 2009, Ombres légères, de Jacques Char­pen­treau (né en 1928), com­porte plu­sieurs bonnes élé­gies, et notam­ment Réa­lisme qui assume une dimen­sion poli­tique : « Et je ne ver­rai pas la vieille répu­blique / Rajeu­nir pour chas­ser Césa­rin et sa clique / Qui règnent par le jeu, le sport et la télé / Sur un peuple abru­ti, pauvre et décer­ve­lé ». Hubert le Roux (né en 1963) a quant à lui signé un pre­mier recueil, Bour­rasques. Un peu trop d’amertume et quelques faci­li­tés mises à part, Bour­rasques offre à son lec­teur un vrai plai­sir ; les illus­tra­tions de Sté­phane Mar­chi­set contri­buent à faire de cet opus­cule un beau livre, ce qui n’est pas rien. « Il suf­fit par­fois de quelques larmes adroites / Pour évi­ter de pas­ser l’arme à gauche. » L’auteur aime jouer sur les mots et les registres – on se demande jusqu’où com­prendre la larme à droite ou l’arme gauche. Cer­taines strophes rap­pellent le Ver­laine des Ariettes : « D’abord des ombres pâles, / Bla­fardes et piquantes, / De ces ombres étales, / Dif­fuses, qui nous hantent ». Ailleurs, on pense à Bau­de­laire ou Here­dia : « Sous des cieux char­bon char­gés d’orages clairs, / A la table du Sage ils sont venus s’asseoir. / Un peuple tout entier attend de leurs lumières / Un signe, un mot, des choix qui lui rendent l’espoir. » A ceci s’ajoutent de beaux vers sur l’amour, le temps qui passe, la mort du père ou l’espérance. « Alors viennent les fils ! / Ceux qui devront demain / Mon­ter les édi­fices / Et tra­cer les che­mins. // La flamme qui vacille / Au fond de leurs yeux clairs / Sau­ra char­mer les filles […] ».