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Défense et sécu­ri­té : pro­blé­ma­tique des évo­lu­tions en cours

Les ques­tions de défense et de sécu­ri­té revêtent aujourd’hui un degré de com­plexi­té inédit à l’image de l’évolution du monde. En même temps, elles ne sus­citent que peu d’intérêt au sein de nos socié­tés euro­péennes occi­den­tales, en paix depuis plus de soixante ans. Les popu­la­tions avec leurs élites intel­lec­tuelles et diri­geantes admettent que les affron­te­ments se sont dépla­cés sur le ter­rain de l’économie, source véri­table de la puis­sance aujourd’hui. S’interroger par consé­quent dans nos vieilles démo­cra­ties sur le cas des armées est un exer­cice qui pour­rait rele­ver de la pure spé­cu­la­tion intel­lec­tuelle. Or, il appa­raît impé­rieux au moment où, sous le feu de l’actualité poli­tique en Europe, les ins­ti­tu­tions mili­taires s’interrogent comme en Alle­magne, en Grande-Bre­tagne, en France bien sûr avec la paru­tion d’un nou­veau Livre blanc, une nou­velle fois sur leur ave­nir. Les gou­ver­ne­ments recher­che­raient ain­si l’adaptation des armées et des forces de sécu­ri­té à l’évolution du contexte stra­té­gique.
Ces nou­veaux ren­dez-vous, au plus fort d’une crise mon­diale, finan­cière et éco­no­mique, deve­nue aus­si sociale en Europe, trouvent en réa­li­té leur jus­ti­fi­ca­tion par la volon­té de réduire la dette et les défi­cits publics des Etats. Ils masquent dif­fi­ci­le­ment l’objectif, dans les faits, de réduire en prio­ri­té les dépenses de leur sys­tème de défense sous cou­vert de l’adapter aux « ambi­tions » du moment.

Monde instable, menaces mul­ti­formes, Europe désar­mée

Cette crise mon­diale, qui sévit depuis 2007 et qui se foca­lise sur l’Europe, illustre l’un des sou­bre­sauts d’un monde d’après Guerre froide en recom­po­si­tion pro­fonde. La fin du monde bipo­laire et l’évolution expo­nen­tielle des tech­niques de l’information et des com­mu­ni­ca­tions ont conduit au phé­no­mène de mon­dia­li­sa­tion et à l’émergence de nou­veaux acteurs – Chine, Inde, Bré­sil entre autres – qui sont autant de pôles de puis­sance en deve­nir. Pour autant, l’arc de crise « isla­mique » et l’instabilité moyen-orien­tale favo­risent, d’une cer­taine manière, la radi­ca­li­sa­tion de popu­la­tions entraî­nant une suite de conflits reli­gieux ou iden­ti­taires. Mais, bien d’autres fac­teurs cri­so­gènes, à terme, pour­raient être cités à l’image de la dégra­da­tion de l’environnement natu­rel, des ten­sions sur les res­sources rares et les matières pre­mières ou sur l’eau, des mou­ve­ments migra­toires liés à une démo­gra­phie forte au sein des pays les plus dému­nis. A tous ces ingré­dients, s’ajoutent les fra­gi­li­tés propres au monde occi­den­tal. La cohé­sion sociale de nos socié­tés est ébran­lée autant par le déve­lop­pe­ment d’un hédo­nisme qui pousse à l’individualisme que par la mon­tée de com­mu­nau­ta­rismes reven­di­ca­teurs de par­ti­cu­la­rismes dont les plus vifs sont sou­te­nus par un islam radi­cal. On ne peut exclure aus­si le risque poli­tique d’un autre com­mu­nau­ta­risme à carac­tère régio­nal en Europe qui pour­rait conduire à des reven­di­ca­tions sépa­ra­tistes (Ecos­sais, Fla­mands, Basques, Cata­lans, etc.), atti­sées, il faut le recon­naître, par l’idéologie d’une « Europe des régions », qui serait des­truc­trice des nations tra­di­tion­nelles.
Au-delà de ces fac­teurs d’instabilité locale ou régio­nale, d’autres menaces de por­tée mon­diale montent en vigueur. La pro­li­fé­ra­tion de l’armement nucléaire ou la menace chi­mique ou bac­té­rio­lo­gique, véhi­cu­lées par des armes dites de des­truc­tion mas­sive reste une réa­li­té. D’autres encore, plus ano­nymes ou trans­na­tio­nales, pré­sentent à leur tour le visage de nou­veaux dan­gers mor­tels. Le ter­ro­risme en est une emblé­ma­tique illus­tra­tion dont on peut craindre qu’il n’en soit qu’à ses débuts. Les attaques cyber­né­tiques seraient de nature à pro­vo­quer la para­ly­sie d’un pays entier, voire même le chaos à plus grande échelle, tant les sys­tèmes d’information, de contrôle et de com­mu­ni­ca­tion innervent désor­mais les struc­tures indus­trielles et de trans­port, celles des admi­nis­tra­tions publiques et pri­vées ou encore les réseaux publics et leur sys­tème de sécu­ri­té.
Même si toutes ces menaces, plus ou moins nou­velles, ne por­taient pas atteinte d’une manière égale à l’intégrité de nos ter­ri­toires, à la vie des popu­la­tions ou à nos inté­rêts vitaux, un cer­tain nombre d’entre elles n’appellent pas néces­sai­re­ment une réponse de nature mili­taire. Face à ce pay­sage décon­cer­tant, l’Europe s’entretient dans l’illusion de la dis­pa­ri­tion de toute éven­tua­li­té d’une guerre qui la concer­ne­rait. On ne peut nier notre dif­fi­cul­té à dési­gner, quand néces­saire, l’ennemi, soit par iré­nisme, soit par crainte des déchaî­ne­ments média­tiques contre toute vision qui n’ait pas reçu l’onction des grandes consciences du jour. Et pour­tant, les dépenses mili­taires mon­diales ont aug­men­té de 50 % ces dix der­nières années. Si le monde réarme, l’Europe, col­lec­ti­ve­ment, à l’image de cha­cun de ses membres, désarme. Sur les vingt-sept Etats membres de l’Union euro­péenne, la France et le Royaume-Uni portent à eux seuls la moi­tié du poids des dépenses de défense. L’ensemble de ces der­nières n’atteint pas la moi­tié de celles des Etats-Unis… les­quels sont tou­jours plé­bis­ci­tés pour assu­rer la défense de l’Europe, par le biais de l’Alliance atlan­tique et de son bras armé, l’OTAN.
Pour ne consi­dé­rer que la France, trans­cen­dant les par­tis poli­tiques, les ques­tions de défense béné­fi­ciaient d’un consen­sus qui masque par­fois une pro­fonde indif­fé­rence, du moins celle d’une opi­nion publique qui s’est éloi­gnée des armées depuis la sus­pen­sion de la conscrip­tion. Indif­fé­rence déjà par­ta­gée, sauf excep­tion, par l’élite intel­lec­tuelle du pays et la grande majo­ri­té de ses diri­geants. Pour ces der­niers, qui n’ont pas cher­ché à appro­fon­dir ces ques­tions – il est vrai peu élec­to­ra­listes – l’appareil mili­taire ne se jus­ti­fie bien sou­vent que par sa facul­té, immé­diate et sans entraves, d’être l’instrument d’une poli­tique étran­gère leur per­met­tant de tenir un rang sur la scène inter­na­tio­nale, ou de par­ti­ci­per à une forme de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale.
Ain­si, vu de ce prisme arran­geant, l’ensemble des menaces rela­ti­vi­se­rait un rôle pos­sible des armées dans les désordres qui montent, face aux­quels les démo­cra­ties euro­péennes se montrent très vul­né­rables. Car, elles sont peu pré­pa­rées mora­le­ment, quand elles ne sont pas oppo­sées intel­lec­tuel­le­ment, à des règle­ments de crise par la force. La dif­fi­cul­té à don­ner un conte­nu cré­dible et concret à ce qui mena­ce­rait nos inté­rêts vitaux, voire notre sur­vie, est réelle. Face à l’hypothétique résur­gence d’une menace mor­telle, notre dis­sua­sion nucléaire est tou­jours cen­sée tenir son rôle de garant de la sur­vie de la nation, mais avec quelle cer­ti­tude encore ? De quel cré­dit jouit-elle dans les esprits de futurs fau­teurs de troubles dont les sché­mas de pen­sée sont étran­gers à la ratio­na­li­té car­té­sienne, dont les modes d’action contournent avec sub­ti­li­té les appa­reils mili­taires tra­di­tion­nels et dont les cri­tères d’appréciation du prix de la vie humaine ne sont pas mesu­rés sur la même échelle de valeur que la nôtre ? […]