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Archi­tec­ture reli­gieuse et moder­ni­té triom­phante

Pierre Lebrun, archi­tecte et urba­niste, s’inscrit dans une vision d’ensemble de l’architecture reli­gieuse contem­po­raine en France avec Le temps des églises mobiles ((. Pierre Lebrun, Le temps des églises mobiles. L’architecture reli­gieuse des Trente Glo­rieuses, Info­lio, Gol­lion (Suisse), 2011, 345 p., 29,40 €.)) , repre­nant un thème déjà explo­ré, entre autres, dix ans aupa­ra­vant, dans une démarche de géo­gra­phie urbaine, par Franck Debié et Pierre Vérot ((. Franck Debié et Pierre Vérot, Urba­nisme et art sacré, une aven­ture du XXe siècle, Cri­te­rion, Limoges, 1991.)) , avec une pers­pec­tive assez voi­sine, qui est de mon­trer en quoi la construc­tion des églises a pu être à la fois un exemple et un labo­ra­toire des muta­tions de l’architecture et de son inser­tion sociale et spa­tiale dans la cité.
Les mêmes étapes de cette évo­lu­tion majeure ont été abor­dées, ici cen­trées sur l’après-guerre jusqu’aux années soixante-dix, mais avec un accent moindre sur les réa­li­sa­tions archi­tec­tu­rales en tant que telles, ce qui explique que les exemples les plus fouillés ne sont pas for­cé­ment ceux qui ont été les plus fré­quem­ment déve­lop­pés aupa­ra­vant, comme la cha­pelle de Le Cor­bu­sier à Ron­champ, mais des réa­li­sa­tions de taille par­fois plus modeste ou moins ambi­tieuses, que Pierre Lebrun a choi­si de décrire dans le détail, comme repré­sen­ta­tives de l’évolution tant de la socié­té que de l’Eglise. Son pro­jet est bien, en effet, de mon­trer « l’architecture reli­gieuse des Trente Glo­rieuses », dans ce que cette époque pré­sente de muta­tions pro­fondes, à la fois de l’économie, de l’urbanisme, de la socié­té et de l’Eglise, puisque le concile Vati­can II occupe comme le centre de gra­vi­té de la période. En France, ces bou­le­ver­se­ments sont tels qu’on a pu clas­si­que­ment mettre en évi­dence leur dimen­sion révo­lu­tion­naire, sur­tout vers le milieu des années soixante, éga­le­ment dans la genèse même du concept de « Trente Glo­rieuses », puisque l’ouvrage épo­nyme de Jean Fou­ras­tié por­tait le sous-titre de « La Révo­lu­tion invi­sible » ((. Jean Fou­ras­tié, Les Trente Glo­rieuses ou la révo­lu­tion invi­sible de 1946 à 1975, Fayard, 1979. Hen­ri Men­dras, La Seconde Révo­lu­tion fran­çaise (1965–1984), Gal­li­mard-NRF, 1988.)) . A près de qua­rante ans du pre­mier choc pétro­lier (1973) qui mar­qua leur pre­mier ralen­tis­se­ment, ces muta­tions nous appa­raissent désor­mais dans une mise à dis­tance his­to­rique. Com­bien nous semble main­te­nant loin­taine la situa­tion éco­no­mique et sociale qui sous-ten­dait les pro­jets ecclé­siaux et archi­tec­tu­raux de cette époque, sur les­quels Pierre Lebrun cite de nom­breuses sources écrites mais aus­si les témoi­gnages des acteurs et des concep­teurs qu’il a ren­con­trés ces der­nières années, qui expriment alors soit un regret des enthou­siasmes pas­sés, soit leur désen­chan­te­ment d’aujourd’hui. Les temps ont donc chan­gé ! Qui pour­rait, de nos jours, vibrer devant l’expansion de grands ensembles exclu­si­ve­ment rési­den­tiels (« cités dor­toirs ») de plu­sieurs cen­taines d’appartements ? Qui par­ta­ge­rait encore rai­son­na­ble­ment la convic­tion d’une mon­tée sans fin des niveaux de vie et d’une crois­sance bien­fai­sante conti­nue de l’équipement auto­mo­bile des cita­dins, jugeant iné­luc­table la géné­ra­li­sa­tion des rési­dences secon­daires, ce qui aurait pu inci­ter à pla­cer les nou­velles églises près des axes rou­tiers d’entrée dans les villes, comme ce pro­jet d’« église de route », sur le tra­jet des plages, pour lequel l’abbé Brion avait acquis un ter­rain à la sor­tie de Nantes à la fin des années soixante (p. 164).L’oratoire de l’aéroport d’Orly (1961) trouve éga­le­ment ici son contexte (p. 165). Ce culte de la mobi­li­té a mené au pro­jet de l’« église mobile », cen­tral dans le point de vue de Pierre Lebrun et dans le titre de son livre, avant que les mobi­li­tés ne prennent, plus tard, éga­le­ment la forme de migra­tions étran­gères loca­le­ment concen­trées, où la réfé­rence qui s’impose dans l’architecture reli­gieuse ne doit plus rien au chris­tia­nisme ni aux idéaux de l’urbanisme moderne qu’il a vou­lu un temps pro­mou­voir. Ce prin­cipe de mobi­li­té est allé jusqu’au pro­to­type d’une église gon­flable, repré­sen­tée sur la cou­ver­ture de l’ouvrage, qui a été mon­tée, le temps d’une messe, à Mon­ti­gny-lès-Cor­meilles en 1969 (p. 264). Ce pro­gramme archi­tec­tu­ral, concep­tua­li­sé aus­si comme « églises-tentes » ou « église nomade » (p. 258–274), pro­cé­dait, tech­ni­que­ment, d’un allé­ge­ment maxi­mal des parois et des struc­tures, sup­po­sant une forte impli­ca­tion de l’ingénierie et de la consom­ma­tion éner­gé­tiques, dans des pro­por­tions qui ne sont plus poli­ti­que­ment ni éco­no­mi­que­ment envi­sa­geables, après les chocs pétro­liers et le « Gre­nelle-Envi­ron­ne­ment ». […]