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Jean-Chris­tophe Rufin : Kati­ba

Méde­cin huma­ni­taire, Gon­court 2001, ex-ambas­sa­deur à Dakar, aca­dé­mi­cien, J.-C. Rufin noue l’intrigue de son der­nier roman sur une trame mêlant ter­ro­risme, appel du désert, ors du quai d’Orsay, quêtes d’identité, rêves d’absolu et socié­tés de ren­sei­gne­ment. Les ingré­dients sont bons. Rufin écrit bien. Il donne accès au monde isla­miste. Il sug­gère avec une sobrié­té remar­qua­ble­ment effi­cace quelques moments insou­te­nables, comme celui où le dji­ha­diste sou­lève sa che­mise pour lais­ser sa com­plice lui ajus­ter une cein­ture explo­sive.
On poin­te­ra quelques aber­ra­tions tech­niques, qui font par­tie du genre : Iliou­chine se posant sur un ter­rain non bali­sé, ou télé­phone por­table bri­co­lé avec un émet­teur sup­plé­men­taire. Quelques scènes sen­suelles inter­disent de lais­ser le livre à des ado­les­cents. Syn­drome de Tom Clan­cy, Rufin mul­ti­plie habi­le­ment mais un peu exces­si­ve­ment les com­parses. Plus regret­table, l’intrigue repose sur la conco­mi­tance pla­ni­fiée de deux évé­ne­ments, atten­tat à Paris et prise au piège d’un diri­geant d’Al Qai­da… mais cette conco­mi­tance appa­raît après coup comme si peu plau­sible que le mon­tage, auquel on croit long­temps, se révèle arti­fi­ciel.
Rufin réus­sit ini­tia­le­ment à nim­ber de mys­tère son héroïne fran­co-algé­rienne ; celle-ci s’avère fina­le­ment une musul­mane ten­dance laïque qui se fait pas­ser pour isla­miste, ne boit pas d’alcool mais fume des joints, et s’offre une pas­sade la veille de par­tir retrou­ver l’amour de ses vingt ans, lui aus­si agent double algé­rien. On leur sou­haite beau­coup d’enfants, sans savoir com­ment le futur mari, beau­coup plus pur, appré­cie­ra d’avoir été si joyeu­se­ment trom­pé. Rufin veut faire l’éloge d’une per­son­na­li­té pro­fon­dé­ment plu­rielle ; mais l’attente habi­le­ment créée se décom­pose face à un per­son­nage à la psy­cho­lo­gie trop impro­bable pour res­ter consis­tante. Il veut aus­si rendre hom­mage aux ser­vices algé­riens, qui ne le méritent en rien, et que, invo­lon­tai­re­ment, Kati­ba montre bien légers dans leurs modes opé­ra­toires et leur recru­te­ment.
Par ses thèmes comme par ses per­son­nages, Kati­ba rap­pelle Le Retour­ne­ment. Ce paral­lèle avec Vol­koff vaut à lui seul un com­pli­ment, mais il place la barre cruel­le­ment haut, et il accuse aus­si le che­min lit­té­raire, géo­po­li­tique et spi­ri­tuel des­cen­du en trente ans.