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Récits d’un pèle­rin céve­nol

L’ortho­doxie demeure mal connue de nos contem­po­rains. On lui asso­cie quelques images pit­to­resques : des popes très bar­bus, des céré­mo­nies sur­char­gées d’or, de cierges et d’encens, des voix de basse et des har­mo­nies non fami­lières. On demeure éton­né de lui trou­ver un visage plus proche, que ce soit à tra­vers les Récits d’un pèle­rin russe, les romans de Vol­koff ou les essais de Jean-Marc Jou­bert. A ce seul titre, L’autre soleil méri­te­rait lec­ture : les édi­tions DDB ont réédi­té ces « quelques notes d’autobiographie spi­ri­tuelle » (sous-titre), à l’occasion de la mort de leur auteur, Oli­vier Clé­ment (1921–2009) ((. L’autre soleil, DDB, 2010, 198 pages, 19 €.)) . La qua­trième de cou­ver­ture nous le pré­sente comme un agré­gé d’histoire, pro­fes­seur à l’Institut catho­lique, grand théo­lo­gien ortho­doxe et pion­nier de l’oecuménisme – mais c’est peut-être pas­ser à côté de l’essentiel.
« J’aime écou­ter les autres par­ler d’eux. Je n’aime pas par­ler de moi ». Dans un genre dif­fi­cile, L’autre soleil témoigne non seule­ment sur la vie spi­ri­tuelle de son auteur, mais, au-delà, sur celle de notre patrie. Non sans quelque idéa­li­sa­tion, Clé­ment sug­gère ce que furent ses racines. Les Cévennes mar­quées de pro­tes­tan­tisme. Le grand-père « gran­di dans un catho­li­cisme exté­nué, fait sur­tout d’observances inin­tel­li­gibles » et « conver­ti au socia­lisme » comme à une reli­gion, non par haine de classe mais « par exi­gence morale ». Une famille athée mais patriar­cale, mar­quée par des per­son­na­li­tés de justes qua­si bibliques et où l’on croyait inten­sé­ment à la conscience ; une famille où l’on veillait scru­pu­leu­se­ment les morts, tout en affir­mant qu’ils retournent au néant. Evo­quant les rites de com­mu­nion vil­la­geoise – la terre, la langue, l’amitié, le feu, le soleil – Clé­ment peut assu­rer : « Oui, ces êtres étaient por­tés. Alors qu’il nous faut tout réin­ven­ter ». « On était por­té, on était pro­té­gé. On pou­vait s’affronter – qu’il s’agît du socia­lisme ou de l’existence de Dieu – cela ne met­tait pas en cause quelque chose de fon­da­men­tal, une ami­tié entre les êtres, avec les choses aus­si, une pudeur sans pru­de­rie, une fidé­li­té dans la famille, le clan, le vil­lage, une sorte de limite qui vous abri­tait de l’inhumain. N’importe quoi ne pou­vait pas arri­ver n’importe quand. Et tout cela, nous l’avons per­du, parce que per­sonne ne s’en est occu­pé ». « Je suis sûr, main­te­nant, que tous ces gens, clé­ri­caux et anti­clé­ri­caux, catho­liques, pro­tes­tants et “socia­listes”, vivaient sur un fonds de chré­tien­té, sur une ancienne et savou­reuse cuis­son des choses de la terre au feu de l’Evangile ».
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