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Jacques Le Goff : A la recherche du temps sacré. Jacques de Vora­gine et la Légende dorée

Voici un ouvrage savou­reux à plus d’un titre. La grande éru­di­tion de Jacques Le Goff, his­to­rien et médié­viste dont la répu­ta­tion n’est plus à faire, est alliée à une modes­tie d’universitaire conscien­cieux qui ne répugne pas à adop­ter le genre de la dis­ser­ta­tion d’étudiant pro­gres­sant selon la méthode de l’observation atten­tive et ne ris­quant aucune conclu­sion hâtive ou sys­té­ma­tique. Il nous per­met de par­ta­ger sa pas­sion toute juvé­nile pour cette sorte d’encyclopédie de la sain­te­té que consti­tue le célèbre ouvrage de ce frère prê­cheur encore très proche de saint Domi­nique qui eut une car­rière impor­tante non seule­ment dans son ordre où il exer­ça des charges déli­cates, mais aus­si comme évêque de Gênes,
avec tout ce que cela signi­fie d’implication dans les affaires tant poli­tiques et diplo­ma­tiques qu’ecclésiastiques. L’oeuvre de sa vie lit­té­raire connut un renom inéga­lable et sans doute inéga­lé, béné­fi­cia d’innombrables copies, puis impres­sions, quoique son suc­cès ait com­men­cé à décli­ner au tour­nant de l’humanisme moderne, et de nom­breuses tra­duc­tions. OEuvre repré­sen­ta­tive, mais dont le rayon­ne­ment sera éga­le­ment consi­dé­rable, d’une époque où la catho­li­ci­té est par­ve­nue à un épa­nouis­se­ment, à une forme d’harmonie, où la légende fait place peu à peu à la bio­gra­phie, sous la forme de la vie des saints, où l’on com­mence à se sou­cier de dates dans la mesure où l’on en dis­pose, où le calen­drier s’est éla­bo­ré, où enquête exacte, foi théo­lo­gale, pié­té popu­laire coexistent sans heurts. Ce sera d’ailleurs pro­ba­ble­ment le cas long­temps encore dans les espaces de chré­tien­té épar­gnés pour l’essentiel par le tsu­na­mi cultu­rel de la moder­ni­té sécu­la­ri­sante, et cela jusque fort avant dans le siècle der­nier, tant il est vrai qu’une sen­si­bi­li­té chré­tienne spé­ci­fique ne se pul­vé­rise pas aus­si faci­le­ment qu’on veut bien le dire…
On relè­ve­ra une erreur (en ita­liques cides­sous) éton­nante chez un his­to­rien au fait de l’histoire de l’Eglise et du conte­nu de sa doc­trine, encore plus éton­nante de la part de l’historien de la doc­trine du Pur­ga­toire (comme l’ouvrage de son cru cité en note 10 p. 60 en fait foi). « Comme nous ne savons pas ce qu’il en était dans la seconde moi­tié du XIIIe siècle de la croyance au Pur­ga­toire dans la dévo­tion des chré­tiens de l’Italie sep­ten­trio­nale, il faut sim­ple­ment remar­quer que le Pur­ga­toire, qui sera d’ailleurs rayé du dogme au XXe siècle par le concile de Vati­can II, est une idée nou­velle et encore impré­cise dans le milieu où évo­lue Jacques de Vora­gine. » (p.152) Gageons que la bonne foi de notre auteur aura été sur­prise par les affir­ma­tions péremp­toires de quelque clerc s’autorisant du haut de son magis­tère des « avan­cées » (sans omettre les guille­mets) du concile en ques­tion pour remi­ser, sans autre forme de pro­cès, ce dogme au rang de vieille­rie. L’angle de pers­pec­tive que choi­sit notre his­to­rien convient à mer­veille au des­sein de son auteur : il s’agit de la sacra­li­sa­tion du temps, par la litur­gie, par la vie des saints, par l’histoire du salut. Sanc­to­ral et tem­po­ral, qui sont les deux dimen­sions du calen­drier, c’est à dire fêtes fixes (calen­drier solaire) et fêtes mobiles (calen­drier lunaire) convergent vers le temps escha­to­lo­gique et se tissent avec le temps chro­no­lo­gique (car le temps de l’Eglise est aus­si celui de l’histoire ter­restre).