Petit ouvrage (collectif) retraçant la vie d’un prêtre issu d’une paroisse vendéenne, au parcours quasiment exemplaire au séminaire et dans sa paroisse, devenu prêtre ouvrier à Bordeaux, mort accidentellement et tragiquement en plein travail. Michel Favreau n’est pas un militant en révolte totale contre sa hiérarchie, qui à l’époque d’ailleurs favorise l’expérience des prêtres ouvriers, mais un homme plein de bonne volonté, profondément travaillé par la condition du « prolétariat ». La partie la plus intéressante est celle évoquant justement cette vie « active », témoignage sur une époque et sans doute aussi sur l’impact joué sur les prêtres eux-mêmes. « Je comprends mieux que le caractère sacerdotal n’est pas lié à quelques actes, mais que c’est tout dans ma journée, depuis le jus du matin jusqu’au dernier coup de chiffon sur le moteur qui est sacerdotal » (p. 96), affirme-t-il alors qu’il travaille comme matelot sur une péniche, désormais en bleu de travail avec ses mains noircies, et qu’il ne peut dire la messe tous les jours. « Sentiment pénible aussi : celui de se sentir et de se savoir incompris de la presque totalité du clergé paroissial ; de se sentir aussi étranger qu’un véritable prolétaire quand on rentre dans un presbytère ou une église » (p. 133). A l’église où il entre un soir, il est étonné de ne voir que des personnes âgées récitant le chapelet : « On conserve vraiment les cendres sans s’apercevoir que d’autres ont pris feu […] Ce n’est pas que je sois contre le chapelet […] mais une église de vieux […] tout juste un quarteron de bigotes » (p. 101). Un peu plus loin, évoquant sa rencontre avec le curé de la paroisse, il explique comment il essaie de lui faire comprendre la nature de son apostolat : « J’ai essayé de faire comprendre sans scandaliser (mais ça c’est du mal) que je ne voulais convertir personne, que mon rôle n’était pas un rôle de conquête ; mais de présence, et que l’important pour nous n’était pas un changement d’individus, mais l’insufflation de l’esprit de l’Evangile dans les bouillonnements du monde ouvrier ; nous parlions deux langages différents […] Le clergé paroissial est loin de la vie, même quand il est très chic et accueillant » (p. 102).
L’objectif principal est donc pour lui (et pour les prêtres de la Mission ouvrière de Bordeaux), de « s’intégrer dans le mouvement des quais », loin d’un certain intellectualisme qu’il rejette progressivement, afin de partager dans une grande fraternité la vie des dockers. Il n’aborde pas ces derniers en tant que prêtre (ils l’apprendront plus tard) mais en tant que « copain », « frère » (ce sont ses termes) donnant l’exemple de la pauvreté et du dépouillement parfois extrême. Restant toujours très attaché à la prière (chaque journée de docker est à elle seule un chemin de croix), à la célébration de la messe, il est alors aux yeux des auteurs plus prêtre que jamais : « Il n’est pas là pour un apostolat mais pour une présence » ; « pour ces hommes que l’Eglise lui a confiés, il ne peut être question de culte ou de sacrements. Puisqu’il ne peut assurer sa médiation sacerdotale à ce niveau, il va plus loin, plus bas, assure une médiation plus radicale encore » (p. 130). Le lecteur est parfois mal à l’aise, surtout quant au maintien de la spécificité du prêtre…
Reste que l’ouvrage présente l’intérêt de témoigner d’une époque révolue mais qui a laissé des scories. Ajoutons qu’il est préfacé par Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux. « Sa vie, comme celle des prêtres ouvriers ou des militants chrétiens qui ont suivi ses traces, reste un appel particulièrement fort pour l’Eglise d’aujourd’hui. Elle est en tout cas pour tous un témoignage vibrant de fraternité en acte », affirme-t-il.