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Michel Favreau : Prêtre docker à Baca­lan (1949–1951)

Petit ouvrage (col­lec­tif) retra­çant la vie d’un prêtre issu d’une paroisse ven­déenne, au par­cours qua­si­ment exem­plaire au sémi­naire et dans sa paroisse, deve­nu prêtre ouvrier à Bor­deaux, mort acci­den­tel­le­ment et tra­gi­que­ment en plein tra­vail. Michel Favreau n’est pas un mili­tant en révolte totale contre sa hié­rar­chie, qui à l’époque d’ailleurs favo­rise l’expérience des prêtres ouvriers, mais un homme plein de bonne volon­té, pro­fon­dé­ment tra­vaillé par la condi­tion du « pro­lé­ta­riat ». La par­tie la plus inté­res­sante est celle évo­quant jus­te­ment cette vie « active », témoi­gnage sur une époque et sans doute aus­si sur l’impact joué sur les prêtres eux-mêmes. « Je com­prends mieux que le carac­tère sacer­do­tal n’est pas lié à quelques actes, mais que c’est tout dans ma jour­née, depuis le jus du matin jusqu’au der­nier coup de chif­fon sur le moteur qui est sacer­do­tal » (p. 96), affirme-t-il alors qu’il tra­vaille comme mate­lot sur une péniche, désor­mais en bleu de tra­vail avec ses mains noir­cies, et qu’il ne peut dire la messe tous les jours. « Sen­ti­ment pénible aus­si : celui de se sen­tir et de se savoir incom­pris de la presque tota­li­té du cler­gé parois­sial ; de se sen­tir aus­si étran­ger qu’un véri­table pro­lé­taire quand on rentre dans un pres­by­tère ou une église » (p. 133). A l’église où il entre un soir, il est éton­né de ne voir que des per­sonnes âgées réci­tant le cha­pe­let : « On conserve vrai­ment les cendres sans s’apercevoir que d’autres ont pris feu […] Ce n’est pas que je sois contre le cha­pe­let […] mais une église de vieux […] tout juste un quar­te­ron de bigotes » (p. 101). Un peu plus loin, évo­quant sa ren­contre avec le curé de la paroisse, il explique com­ment il essaie de lui faire com­prendre la nature de son apos­to­lat : « J’ai essayé de faire com­prendre sans scan­da­li­ser (mais ça c’est du mal) que je ne vou­lais conver­tir per­sonne, que mon rôle n’était pas un rôle de conquête ; mais de pré­sence, et que l’important pour nous n’était pas un chan­ge­ment d’individus, mais l’insufflation de l’esprit de l’Evangile dans les bouillon­ne­ments du monde ouvrier ; nous par­lions deux lan­gages dif­fé­rents […] Le cler­gé parois­sial est loin de la vie, même quand il est très chic et accueillant » (p. 102).
L’objectif prin­ci­pal est donc pour lui (et pour les prêtres de la Mis­sion ouvrière de Bor­deaux), de « s’intégrer dans le mou­ve­ment des quais », loin d’un cer­tain intel­lec­tua­lisme qu’il rejette pro­gres­si­ve­ment, afin de par­ta­ger dans une grande fra­ter­ni­té la vie des dockers. Il n’aborde pas ces der­niers en tant que prêtre (ils l’apprendront plus tard) mais en tant que « copain », « frère » (ce sont ses termes) don­nant l’exemple de la pau­vre­té et du dépouille­ment par­fois extrême. Res­tant tou­jours très atta­ché à la prière (chaque jour­née de docker est à elle seule un che­min de croix), à la célé­bra­tion de la messe, il est alors aux yeux des auteurs plus prêtre que jamais : « Il n’est pas là pour un apos­to­lat mais pour une pré­sence » ; « pour ces hommes que l’Eglise lui a confiés, il ne peut être ques­tion de culte ou de sacre­ments. Puisqu’il ne peut assu­rer sa média­tion sacer­do­tale à ce niveau, il va plus loin, plus bas, assure une média­tion plus radi­cale encore » (p. 130). Le lec­teur est par­fois mal à l’aise, sur­tout quant au main­tien de la spé­ci­fi­ci­té du prêtre…
Reste que l’ouvrage pré­sente l’intérêt de témoi­gner d’une époque révo­lue mais qui a lais­sé des sco­ries. Ajou­tons qu’il est pré­fa­cé par Mgr Ricard, arche­vêque de Bor­deaux. « Sa vie, comme celle des prêtres ouvriers ou des mili­tants chré­tiens qui ont sui­vi ses traces, reste un appel par­ti­cu­liè­re­ment fort pour l’Eglise d’aujourd’hui. Elle est en tout cas pour tous un témoi­gnage vibrant de fra­ter­ni­té en acte », affirme-t-il.