Le père dominicain Edward Schillebeeckx, décédé en 2009, a eu la réputation d’appartenir, voire de conduire, l’aile la plus avancée, la plus progressiste, des théologiens. C’est donc avec intérêt qu’on lit ses « notes de concile ». Et il s’agit bien de notes, d’abord par leur brièveté : les 106 pages du présent fascicule en contiennent une version bilingue, en flamand et en anglais, introduite et annotée de manière assez conséquente (on saluera ici le remarquable travail d’édition) ; réduite à lui-même, le texte original court sur seulement 25 pages. Notes encore, tant il est manifeste que le théologien belge n’avait pas en vue leur publication ; notes enfin, parce que seules les deux premières sessions du concile sont concernées. Quant à leur contenu, les notes sur la première session sont assez descriptives des événements et interventions principaux dans l’assemblée conciliaire, mais aussi de l’activité de l’auteur, en marge de celle-ci. Les quelques pages sur la deuxième session présentent essentiellement un développement sur la notion de collégialité épiscopale.
Ce n’est donc pas à un journal du concile, style Congar ou Lubac, auquel nous avons affaire. Cependant, c’est un sentiment identique qui en ressort, rendu ici plus aigu par la concision de notes prises au jour le jour : celui d’une exaltation (« euphorie », p. 24) face à l’opportunité offerte à l’Eglise de se rénover profondément, exaltation au sein de laquelle est assumé le parti pris d’un combat à mener contre un camp. Ainsi, après le vote du 20 novembre 1962, où le seuil des 2/3 permettant un rejet du schéma I préparé par la Curie fut manqué de 100 voix, Edward Schillebeeckx s’évertue-il à faire la part, continent par continent, pays par pays, des forces en présence, entre partisans de la « nouvelle théologie » et partisans de la « théologie curiale » (cf. p. 23). Plus expressive encore des dispositions d’esprit, cette notation du 25 octobre 1962 : « J’ai appris que le cardinal Siri préparait une importante attaque contre le Schéma sur la Liturgie. Ses objections m’avaient été envoyées. Mgr Bekkers était prévu pour prendre la parole après Siri. J’ai donc élaboré un nouveau discours dans lequel je réfutais une à une les objections de Siri. Mgr Jansen trouva ce procédé inélégant ! (On doit être prudent : Jansen ne fait rien ! Excursions exclues, il ne recherche aucun contact avec les évêques, etc.) » (pp. 10–11).
Le dominicain s’active beaucoup, allant de conférences pour des évêques en réunions entre théologiens. Toutefois, c’est auprès des évêques hollandais qu’il agit particulièrement, évêques dont il est un conseiller et plus encore un « nègre », mais dont il ne sera jamais un expert officiellement appointé, sans doute en raison de son implication dans l’écriture du document publié en 1960 par l’épiscopat des Pays-Bas sur le concile et sa phase préparatoire (cf. p. XVII). Cette activité – la sienne et celle des autres experts – est telle, quant à son ampleur et à son importance, qu’il écrit : « Après tout, il y a “deux conciles’’ : l’officiel à Saint-Pierre, les discussions mutuelles préparatoires et les changements continuels de tactique » (p. 12).
Les pages consacrées à la collégialité mériteraient de plus amples remarques ; notons simplement que le théologien belge, au cours de la deuxième session, met son espérance dans l’affirmation doctrinale de la collégialité épiscopale : elle est, pour lui, indispensable à la mise en oeuvre du renouveau de l’Eglise commencé par le concile, celui-ci étant déjà la manifestation de cette collégialité. La collégialité est un point de rencontre et d’influence réciproque entre doctrine et ministère pastoral : « Le concile pastoral devient doctrinal, précisément en raison de son caractère pastoral […] Le gouvernement collégial de l’Eglise est le fondement doctrinal de l’aggiornamento pastoral actuel. Tout le reste en découle » (p. 37).
Au final, dans ces notes, loin d’être l’extrémiste que l’on présente parfois, Edward Schillebeeckx apparaît comme un théologien parmi d’autres ; et s’il prend peut-être, durant le concile, une ampleur particulière, c’est sans doute aussi parce qu’il est au service d’un des épiscopats les plus engagés : tous les évêques hollandais étaient membres d’une commission. On rejoint alors l’éditeur dans le souhait qu’il formule d’une étude plus approfondie du rôle de l’épiscopat hollandais (en y ajoutant les nombreux évêques missionnaires) durant le concile.