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La démo­cra­tie à l’épreuve de ses fon­da­tions

Pierre de Lau­zun expose, dans un essai très didac­tique [Pierre de Lau­zun, L’avenir de la démo­cra­tie – Poli­tique I, Fran­çois-Xavier de Gui­bert, col­lec­tion his­toire essen­tielle, février 2011, 255 p., 22 €.], les évo­lu­tions qui pour­raient affec­ter le monde que nous connais­sons, struc­tu­ré par la domi­na­tion d’une idéo­lo­gie dont la capa­ci­té d’attraction et d’absorption est par­ti­cu­liè­re­ment éle­vée. Constat pre­mier et der­nier de la thèse qu’il défend, cette idéo­lo­gie est une réa­li­té de ce monde, ce qui sup­pose à la fois une capa­ci­té d’adaptation mais aus­si une des­ti­née mor­telle intrin­sèque. Le pre­mier aspect intro­duit le sujet, le second le conclut. Entre les deux, une ana­lyse de la démo­cra­tie à la fois riche et ouverte per­met de s’interroger avec l’auteur sur sa sub­stance mul­ti­forme.
C’est que la démo­cra­tie est à la fois orga­ni­sa­tion prag­ma­tique de la vie col­lec­tive – régime poli­tique de com­pro­mis – et assise intel­lec­tuelle d’un modèle de civi­li­sa­tion à part entière. Prise dans sa pre­mière accep­tion, elle est com­mu­né­ment repré­sen­tée comme ayant pour objet cen­tral « […] l’agrégation des volon­tés, non l’obtention d’une véri­té. La démo­cra­tie ne donne pas une réponse opti­male à des ques­tions, mais une réponse poli­tique aux conflits dont le débat public est por­teur. L’accord ne se fait pas sur une véri­té, mais sur une solu­tion sanc­tion­née par le ver­dict du nombre » (p. 61). Com­prise dans le second sens, beau­coup plus large, elle est une matrice exclu­si­viste, absor­bante et mutante, qui se fonde sur la connais­sance et la pré­fé­rence qu’elle a d’elle-même : « Au fon­de­ment de cette idéo­lo­gie [la démo­cra­tie com­prise comme telle], il faut recon­naître un fait plus pro­fond, qui lui est sous-jacent : une anthro­po­lo­gie, une vision de l’homme dont on peut faire remon­trer l’origine au XVIIe siècle, un nou­veau para­digme de l’homme et de la socié­té. Cette idéo­lo­gie est, en outre, en évo­lu­tion constante, la phase actuelle se carac­té­ri­sant par la radi­ca­li­sa­tion de ce que nous appe­lons le rela­ti­visme » (p. 74). L’auteur consi­dère sans iré­nisme, ni illu­sion ni com­plai­sance, la réa­li­té sys­té­mique et men­tale de la démo­cra­tie. Et celle-ci semble tutoyer dan­ge­reu­se­ment, d’une cer­taine façon, mais aus­si natu­rel­le­ment, le pré­ci­pice des contra­dic­tions létales. Les muta­tions de la démo­cra­tie vers une forme « cor­ro­sive » que P. de Lau­zun signale tôt dans son ouvrage tiennent en par­ti­cu­lier à la perte de repères, au fait que ses valeurs de réfé­rence se fondent de moins en moins sur le socle d’un don­né pérenne (cela a‑t-il déjà été vrai­ment le cas ?) mais tou­jours plus sur un vou­lu tem­po­rel, tem­po­raire, le désir, le caprice. La valeur suprême est alors la règle, qui se fonde en elle-même et devient donc, peut-on ajou­ter, lar­ge­ment fac­tice car trans­for­mable à sou­hait. Au ver­so de la face liber­taire, des muta­tions très lar­ge­ment enca­drées et orien­tées. L’auteur note que « la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive est un sys­tème à média­tion. Un corps de gens très spé­cia­li­sés et très spé­ci­fiques y tra­duit, trans­pose, cana­lise, mani­pule, pro­voque et régule des pul­sions popu­laires hété­ro­clites et inuti­li­sables telles quelles » (p. 63). Et il semble bien évident que moins le cadre de réfé­rence est clair, que plus les valeurs fon­da­trices sont floues, hété­ro­gènes, idéelles, plus les spé­cia­listes ont la pos­si­bi­li­té d’agir, d’influencer, d’imposer. L’auteur ne manque pas, du reste, de déve­lop­per dans un cha­pitre consa­cré à la rela­tion entre rela­ti­visme et démo­cra­tie quelques réflexions cin­glantes sur la grande méfiance que les ingé­nieurs sociaux entre­tiennent à l’égard des aspi­ra­tions à une démo­cra­tie plus par­ti­ci­pa­tive, directe, réelle. […]