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Lec­ture : Le tota­li­ta­risme et la moder­ni­té

Même si l’effondrement du bloc sovié­tique a libé­ré la réflexion sur le tota­li­ta­risme, sclé­ro­sée par des enjeux poli­tiques immé­diats ren­dant dif­fi­cile le com­pa­ra­tisme nazisme-com­mu­nisme, l’étude de ce phé­no­mène poli­tique ne se résume pas à ces deux seuls régimes, loin de là. Trois nou­veaux ouvrages sont consa­crés à la com­pré­hen­sion des grands évé­ne­ments poli­tiques du XXe siècle. Com­men­çons par la tra­duc­tion en langue fran­çaise du der­nier livre de l’historien ita­lien Emi­lio Gen­tile, L’apocalypse de la moder­ni­té ((. Emi­lio Gen­tile, L’apocalypse de la moder­ni­té, Aubier, jan­vier 2011, 415 p., 26 €.)) . L’étude ne porte pas sur le tota­li­ta­risme en lui-même, mais il va de soi que cet his­to­rien du fas­cisme ne s’éloigne guère du sujet à tra­vers cette nou­velle publi­ca­tion. Car qu’est-ce que le tota­li­ta­risme si ce n’est l’apocalypse de la moder­ni­té ? Le cadre chro­no­lo­gique est limi­té aux décen­nies qui ont pré­cé­dé la Pre­mière Guerre mon­diale, tan­dis qu’un autre ouvrage annon­cé pour­sui­vra la réflexion sur l’autre grande catas­trophe du XXe siècle. Ernst Nolte fait école, il s’agit bien d’une guerre civile euro­péenne s’étendant sur plu­sieurs décen­nies.
La par­ti­cu­la­ri­té de l’ouvrage tient à ses sources. La pen­sée poli­tique y est secon­daire, l’auteur accor­dant la place d’honneur à la pro­duc­tion artis­tique et lit­té­raire de l’époque. L’ensemble du monde de la culture et de la connais­sance est appe­lé à la barre pour témoi­gner de l’esprit du temps. Et le résul­tat est pro­bant. Une vive anxié­té taraude les esprits d’une époque connue pour sa confiance dans le pro­grès, sa croyance en la capa­ci­té de l’homme à trans­for­mer la nature, sa fas­ci­na­tion pour les nou­velles décou­vertes et les pos­si­bi­li­tés illi­mi­tées de la tech­nique. Après avoir volon­tai­re­ment quit­té les rives du monde chré­tien, l’homme moderne fonce à la vitesse du che­val à vapeur vers un monde nou­veau, mais en même temps il s’inquiète, il se demande si der­rière la lumière arti­fi­cielle pro­duite par l’électricité, mise en valeur lors de l’exposition uni­ver­selle de Paris, ne se pro­file pas quelque sombre orage d’acier. Le sur­homme de Nietzsche ébauche sa propre ruine. Dès  les pre­miers mois de la Grande Guerre, com­bien de poètes et de roman­ciers ont vu la catas­trophe vers laquelle cou­rait la civi­li­sa­tion euro­péenne ! Déjà, à l’aube du XXe siècle, « le cau­che­mar de la dégé­né­res­cence de la civi­li­sa­tion euro­péenne, engen­dré par la moder­ni­té elle-même » (p. 81), était répan­du par des hommes de tous hori­zons.
La pen­sée phi­lo­so­phique et scien­ti­fique n’est pas absente de l’ouvrage. Le dar­wi­nisme social pro­cla­mait « que la lutte pour la vie et le triomphe du plus fort étaient les lois néces­saires de l’histoire et du pro­grès. La guerre, tout aus­si néces­saire à la sélec­tion du plus fort qu’à l’avancée de la civi­li­sa­tion, fai­sait par­tie inté­grante de cette lutte » (p. 69). Héri­tier du dar­wi­nisme et répan­du dans tous les milieux, l’eugénisme fai­sait éga­le­ment son appa­ri­tion, avec les méde­cins anglais Fran­cis Gal­ton et Karl Pear­son. Tous les ingré­dients des drames à venir, jusqu’à nos jours, étaient bien pré­sents. […]