[note : cet article a été publié dans catholica, n. 111, pp. 39–47]
C’est aujourd’hui vers l’Italie que l’on doit tendre l’oreille si l’on veut entendre des paroles et même des colloques et débats publics où une analyse du concile Vatican II et de l’époque post-conciliaire s’énonce, sans atténuation de la pensée ou, à l’inverse, sans que soit agité, pour seule réaction, le chiffon rouge de l’extrémisme. Certes, en d’autres pays, la France notamment, et depuis longtemps, une critique construite s’est exercée et continue, sauf, peut-être, sur un plan historique, en tout cas avec une ampleur qui puisse rivaliser avec des entreprises dont la monumentale Histoire du Concile Vatican II d’Alberigo ((. Giuseppe Alberigo (dir.), Histoire du Concile Vatican II, édition française : Cerf, 5 tomes, 1997–2005.)) est le paradigme. Toutefois, reconnaissons que cette critique plus ancienne n’est guère parvenue à s’extraire du dilemme entre précaution de langage et ostracisme, qu’un certain contexte ecclésial imposait.
Les temps, cependant, sont autres : le discours de Benoît XVI à la Curie, le 22 décembre 2005, a inauguré un contexte nouveau dont l’Italie semble être la première bénéficiaire. Alors que la réflexion portait auparavant sur l’application du concile Vatican II, puis sur sa réception, elle est remontée plus près de la source, au Concile lui-même : l’affaire maintenant est de savoir en quoi, à quel degré, et dans quels domaines il y a continuité ou discontinuité, tant dans l’interprétation que l’on a donnée et continue de donner de telle ou telle partie du corpus conciliaire, que dans ce corpus lui-même par rapport à la doctrine antérieurement professée. Cet angle de réflexion s’est aujourd’hui imposé à tous, et celui qui a opéré ce basculement autorise sans aucun doute une parole plus libre, sans crainte de confinement.
Effectivement, des thématiques somme toute assez connues trouvent donc actuellement en Italie une audience inédite. Parmi d’autres événements, l’on mettra particulièrement en exergue un ouvrage de Roberto de Mattei – l’une de ces études historiques attendues –, et surtout un colloque organisé en décembre 2010 par les Franciscains de l’Immaculée à Rome sur le caractère « pastoral » du Concile ((. Convegno sull’indole pastorale del Vaticano II : una valutazione (Colloque sur le caractère pastoral de Vatican II : une évaluation), Rome, 16–18 décembre 2010. Un compte rendu détaillé en a été publié en français dans L’Homme Nouveau n. 1487 (12 février 2011), pp. 4–8.)) . Les propos tenus apportent-ils quelque nouveauté dans le contenu même de la critique ? Il importe d’abord de relever qui sont ceux qui parlent et plus encore les lieux nouveaux où ils le font, sans doute plus larges, certainement plus proches des institutions de l’Eglise. Et l’oreille est rendue plus attentive encore quand l’œil, lui aussi, est attiré, sur fond de gris franciscain, par la pourpre cardinalice côtoyant le violet épiscopal ou le filetage des soutanes de nombre de prélats de la curie. Non qu’il y ait mondanité, mais qui dédaignerait l’importance de cette présence publique de la hiérarchie ecclésiastique, à deux pas du Vatican : le contexte a effectivement bien changé.
Mgr Brunero Gherardini entre dans ce cadre italien qui néanmoins tend à s’internationaliser par le juste intérêt qu’il suscite ; il peut même, en quelque manière, en être considéré comme, sinon le chef de file, du moins l’éclaireur de tête. Tout d’abord par l’activité éditoriale : en 2009, un livre très critique sur le dialogue œcuménique et interreligieux, comme sur la « judéo-dépendance » de l’Eglise comme il la nomme ((. Brunero Gherardini, Quale accordo fra Cristo e Beliar ? Osservazioni teologiche sui problemi, gli equivoci ed i compromessi del dialogo interreligioso, Fede e Cultura, Vérone, 2009, 182 p.)) ; la même année, un livre sur le Concile Vatican II, se terminant par une supplique au pape lui enjoignant d’entreprendre enfin l’interprétation magistérielle authentique de certains des documents conciliaires ((. Id, Concilio ecumenico Vaticano II. Un discorso da fare, Casa Mariana editrice, Frigento, 2009 ; trad. française : Vatican II, un débat à ouvrir, Courrier de Rome, 2010.)) ; en 2010, une importante livraison de la revue Divinitas consacrée entièrement à une clarification historique et théologique de ce qu’est la Tradition dans l’Eglise, depuis publiée en livre ((. Id., Quod et tradidi vobis. La tradizione, vita e giovinezza della Chiesa, Casa Mariana editrice, Frigento, 2010.)) ; en 2011, un nouvel ouvrage, dont on parlera plus loin.
Eclaireur de tête aussi par la personnalité elle-même : né en 1925, docteur en théologie, enseignant pendant de nombreuses années à l’Université pontificale du Latran, doyen de la faculté de théologie de cette université, chanoine de la Basilique Saint-Pierre au Vatican, actuel directeur de Divinitas.
La figure de ce prélat romain retient encore l’attention parce que son travail aborde, en les distinguant avec acuité, les niveaux différents du débat actuel, dont Benoît XVI a de fait imposé les termes par son discours à la Curie romaine le 22 décembre 2005. Sur des points spécifiques du concile Vatican II et a fortiori des pratiques ou des discours qui s’en autorisent (la liberté religieuse, par exemple), il convient de s’interroger sur la continuité ou la discontinuité d’avec l’enseignement magistériel précédent ; et si ces discontinuités, dont on ne peut nier l’existence, tiennent à des motifs contingents comme les circonstances historiques, ou touchent le cœur même de la doctrine. Un deuxième niveau est celui de l’herméneutique générale du Concile et de la période qui la suit, jusqu’à aujourd’hui : ces discontinuités peuvent-elles servir de principes d’interprétation ? Ne doit-on pas, plutôt, réhabiliter la Tradition comme ce nécessaire principe d’interprétation, à l’opposé d’approches qui voudraient faire du Concile un en-soi autoréférencé et ouvert simplement sur le futur et l’extérieur (l’autrement croyant) ? S’ouvre alors un troisième niveau, le plus fondamental : l’étude de la racine théologique de la crise et de la difficulté de s’accorder sur des solutions, on veut parler ici de la Tradition. Voilà le soubassement des approches récentes du Concile à partir de son herméneutique ; et Mgr Gherardini, dans son nouvel opus, s’emploie à l’exposer, pour un public large, et donc selon des catégories simples d’accès et avancées avec pédagogie par des aperçus historiques plus que par une histoire et une théologie systématiques du concept : Quaecumque dixero vobis. Parola di Dio e Tradizione a confronto con la storia e la teologia (Lindau, Turin, 2011).
S’il faut redonner à la Tradition sa juste place, il convient que cela aussi soit opéré pour le Magistère ; et quand Mgr Gherardini reconnaît à Benoît XVI – et lui en sait gré – d’avoir prononcé des paroles décisives le 22 décembre 2005, il lui semble que le Magistère ne gagnera pas à demeurer dans ce débat sur l’herméneutique, pour le moment passablement brouillé, mais qu’il lui revient, pour reprendre ses propres termes, de se prononcer « sur l’explication officielle et par là magistérielle d’une parole, d’un texte, d’un document, d’un concile en son entier ».
Les réponses que Mgr Gherardini a bien voulu accorder à la revue sont ainsi comme les têtes de chapitre du « débat à ouvrir » sur Vatican II ; débat désormais largement ouvert et qui, comme la porte de l’Apocalypse (3, 8), si l’on ose le rapprochement, ne sera plus refermé.
Laurent Jestin
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Catholica – Dans l’introduction de Quaecumque dixero vobis, vous remarquez que Benoît XVI, déjà quand il était le cardinal Ratzinger, a fait appel à la Tradition à de nombreuses reprises lorsqu’il a évoqué le concile Vatican II, pour finir par exposer, dans son discours à la Curie du 22 décembre 2005, ce que doit être, au regard de cette Tradition, l’herméneutique du Concile. Ce discours est-il conclusif à vos yeux, ou bien a‑t-il eu pour effet d’ouvrir la boîte de Pandore sur un sujet crucial longtemps délaissé ?
Mgr Brunero Gherardini – Je ne peux évidemment pas présumer des intentions du Saint-Père, même si l’impression que j’ai ressentie à la lecture de ce discours – et que j’avais communiquée immédiatement à un proche ami allemand – fut celle d’une intervention papale qui, comme telle, voulait apposer le sceau du « definitive tenendum » (ce qui doit être définitivement tenu) sur des interventions analogues faites avant son élection au souverain pontificat. Le fait que Benoît XVI ait renchéri semblerait indiquer son intention d’ouvrir enfin la porte de l’interprétation authentique de Vatican II. Le résultat, pourtant, est que, depuis ce 22 décembre 2005, le débat théologique pâtit d’une confusion des herméneutiques ; en ce sens, il y a effectivement comme une boîte de Pandore qui s’est ouverte. Mais il est aussi vrai que nous n’en sommes qu’au point de départ.
Herméneutique de la continuité par opposition à une herméneutique de la rupture, ou plus exactement « herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité »… Le concept avancé par Benoît XVI suscite diverses questions, dont une première : est-ce un exercice normal du magistère de devoir éclairer la dernière parole par les précédentes, le dernier concile par la Tradition ?
Votre question, prise en elle-même, ne soulève aucune difficulté pour qui doit y répondre. Qu’y a‑t-il de plus obvie qu’un texte expliqué par ceux qui l’ont précédé ? On fait cela même avec la Sainte Ecriture. Lire le dernier Concile à la lumière de la Tradition, voilà bien un critère qui est une lapalissade : un « dernier concile », quel qu’il soit, n’a un sens qu’au regard de la Tradition. Mais si l’on sort du plan abstrait pour porter l’attention sur certains points concrets de Vatican II, la réponse à votre question s’avère très difficile. Avant toute autre considération vient celle-ci : si un concile a besoin d’être interprété, cela signifie que ses énoncés, ou une partie d’entre eux, ne sont pas clairs. C’est précisément à la lumière de ces textes provenant du Magistère suprême de l’Eglise, et dès lors valides par eux-mêmes et non par l’explication qu’on en donnerait, que la vie chrétienne de chacun et de la communauté devrait pouvoir s’orienter. Mais si les textes ne sont pas clairs, ils ne peuvent en rien orienter la vie chrétienne. Le Magistère devra-t-il alors les clarifier ? Rien ne s’y oppose, même s’il me semble que la tâche du Magistère ne consiste pas à s’expliquer soi-même. En pratique, et sauf meilleur jugement, si le Magistère doit intervenir sur le terrain de l’herméneutique, il conviendrait qu’il le fasse non pour exposer ce que sont les principes herméneutiques, mais en se prononçant sur l’explication officielle et par là magistérielle d’une parole, d’un texte, d’un document, d’un concile en son entier.
Cela dit, j’ai conscience d’avoir laissé de côté les idées de base sur lesquelles s’appuyait votre question : herméneutique de la continuité, de la réforme, du renouveau dans la continuité, et non de la rupture. Chacun de ces concepts doit être clarifié, et s’ils ne sont pas utilisés dans leur sens strict, il ne sert à rien de perdre notre temps à les utiliser. Affirmer, sans plus, qu’il y a continuité, voire renouveau dans la continuité ne suffit pas à faire exister cette continuité. Est continu ce qui jouit d’une succession ininterrompue. Ce qui est le cas du « sujet Eglise ». Mais on se doit d’être moins affirmatif pour telle ou telle doctrine, dont on ne peut garantir qu’elles sont de celles qui sont contenues dans la Tradition.
Sur le concept d’herméneutique avancé dans le discours du 22 décembre 2005, une autre question doit être évoquée : la Tradition étant supposée mêler ruptures et continuité, quel est le seuil à partir duquel la « réforme » devient rupture ? Plus radicalement, s’il faut s’interroger sur ce qu’est la Tradition, n’est-ce pas aussi la qualification magistérielle du concile Vatican II qui mérite clarification ?
Si les mots ont un sens et si celui-ci a pour fonction de faire que les hommes communiquent entre eux de manière univoque, qu’alors Dieu nous garde de mêler, dans la Tradition, rupture et continuité : un tel mélange serait la tombe de la Tradition. Le seuil à partir duquel la Tradition périrait et où triompherait la rupture, ce serait l’énonciation par le Magistère d’une nouveauté – nouveauté qui est toujours possible et parfois nécessaire – mais d’une nouveauté effectuée dans un rapport non homogène avec les formulations précédentes. La qualification de Vatican II ne devrait par conséquent pas s’écarter de cette homogénéité de la Tradition.
L’objection présentée dans le discours du 22 décembre 2005 est celle du changement réel de situation : à chaque situation historique sa propre évaluation doctrinale. L’exemple, amplement détaillé, est celui de la liberté religieuse : dénoncée comme délire par les papes à l’encontre du laïcisme du XIXe siècle, elle devrait être considérée différemment au regard des changements postérieurs à 1945, et à la découverte de la possibilité d’une autre laïcité plus ouverte, liée à une meilleure connaissance des Etats-Unis.
C’est effectivement dans l’allocution du 22 décembre 2005 que sont évoquées ces divergences doctrinales, divergences seulement apparentes déclare le texte parce que seraient en cause non les doctrines mais les situations historiques. Avec tout le respect que je dois à l’Autorité suprême de l’Eglise, je reste très perplexe face à de telles affirmations.
Il appartient en propre à la doctrine catholique d’être « absolue », non liée, indépendante de quelque variation temporelle ou culturelle que ce soit, et de se présenter avec son identité propre de toujours, inchangée en sa substance. Il est possible d’en adapter l’application aux attentes du monde, mais selon des changements simplement extrinsèques, sa substance restant dès lors ferme et sans altération. Une confirmation indirecte de cette indépendance peut même être trouvée dans Dignitatis humanae, texte entièrement préoccupé par la recherche d’un fondement biblique capable d’assurer à la liberté religieuse sa place dans le patrimoine révélé ; mais tenter de trouver un tel fondement en l’absence de la moindre citation biblique, ce serait comme vouloir prendre la lune avec les dents. Et l’on ne doit pas perdre de vue que le texte même de Dignitatis humanae, au n. 9, admet qu’il n’existe pas de proclamations explicites dans la Révélation en faveur de la liberté religieuse, et c’est pourquoi elle ne parle que du « respect du Christ envers la liberté des hommes ». Ce qui est avouer l’absence de tout fondement biblique. En plus de cela, qui déjà n’est pas rien, j’ajoute que si la doctrine était interchangeable en fonction des données des diverses situations, alors à côté du Syllabus du bienheureux Pie IX il y aurait place pour Dignitatis humanae, qui serait un Syllabus de sens contraire ; mais si ce qui en 1864 était indifférentisme et relativisme est aujourd’hui encore indifférentisme et relativisme en Europe, aux Etats-Unis ou sur tout autre continent, il s’ensuit avec certitude que la doctrine d’hier doit être celle d’aujourd’hui et que, si on ne la modifie pas, l’opposition restera doctrinale et non pas simplement historique.
On a pu (le P. Basile Valuet en France, don Morselli en Italie) vous adresser le reproche de ne pas donner au magistère sa juste place de formulation et d’interprétation dans l’analyse et la critique que vous faites du concile Vatican II et de ses suites : le magistère a parlé au concile Vatican II et souvent après, affirme-t-on ; la critique ne pourrait donc pas porter sur les textes eux-mêmes, mais sur les interprétations abusives qui en ont été faites. Que répondez-vous à ce reproche ?
Si vous me le permettez, je ne ferai pas de polémique et répondrai simplement. Quand j’ai écrit Vatican II, un débat à ouvrir, je me suis abstenu d’user de la méthode critique : je n’ai pas composé un essai, ou un manuel, mais j’ai voulu attirer l’attention sur un fait. De cela, les critiques qui m’ont été adressées n’ont pas tenu compte et l’on a été jusqu’à m’accuser de protestantisme. C’est un comble ! Mon but était que l’on s’accorde sur l’exacte portée de Vatican II en partant de données réelles et non d’un fantasme : ce n’est pas d’interprétations abusives postérieures au Concile qu’est issue la rupture, parce que la rupture a commencé avec le Concile lui-même et son refus des schémas préparatoires qui, eux, étaient placés sous la bannière de la continuité homogène. Je vois même une cohérence conciliaire certaine dans la conduite adoptée depuis 1965 par les Souverains Pontifes, les Dicastères romains, les Conférences épiscopales, les évêques et les autres acteurs pastoraux. Nous n’en serions jamais arrivés à la situation actuelle de relativisme religieux s’il n’y avait pas eu la Déclaration sur la liberté religieuse ; nous n’aurions pas, non plus, pu imaginer une Eglise judéo-dépendante comme elle l’est actuellement sans la Déclaration Nostra aetate ; pas plus que nous n’aurions pu imaginer un accord sur la doctrine luthérienne de la justification et moins encore une approbation d’une anaphore ne contenant pas les paroles de la consécration – je veux parler de l’anaphore de Addai et Mari. C’est la logique du Concile qui a conduit à tout cela.
Romano Amerio, dans son ouvrage fameux Iota Unum – peut-être pour ne pas devoir être conduit à avancer l’accusation d’hérésie à l’encontre de certaines propositions du Concile ou de la période postconciliaire – a mis en valeur la notion d’amphibologie : des assertions ayant un double sens, l’un conforme à la foi et à la Tradition, l’autre non. De votre côté, vous pointez par exemple un flou jusque dans la définition de la Tradition contenue dans la constitution Dei Verbum. Diriez-vous qu’un tel flou est une caractéristique importante et inédite des textes conciliaires : dans les textes, et dans l’interprétation mêlant nécessairement textes et contexte ?
Je ne nie pas que dans les textes conciliaires il puisse y avoir ce « flou » ; s’il en va ainsi, il nous faut le vérifier au cas par cas, avant que de qualifier ce flou de « caractéristique importante ». Ce n’est pas une vérité écrite dans les étoiles qu’un détail ajouté soit toujours un gain. Cela peut être le symptôme d’un affaiblissement, si ce n’est d’une trahison. Qu’il y ait des nuances de ce genre dans Vatican II, cela est clair ; mais il est moins évident qu’elles soient toutefois importantes. Le concept d’amphibologie ne suscite pas mon enthousiasme ; il est possible qu’Amerio l’ait utilisé avec la « bonne » intention que vous lui prêtez, mais le concept, par lui-même, n’est ni positif ni neutre : il signifie simplement « ambiguïté », dans sa racine grecque, en latin classique et tardif, comme en français où Calvin l’introduisit. Il n’y a nulle amphibologie dans le préambule de la Constitution dogmatique Dei Verbum qui se présente comme « Conciliorum Tridentini et Vaticani I inhaerens vestigiis » (suivant la trace des Conciles de Trente et de Vatican I) : il s’agit d’un engagement solennel, d’une déclaration d’intention, d’une décision sans « mais » ni « si ». Devra-t-on alors parler d’amphibologie pour qualifier l’engagement pas seulement non tenu, mais encore renversé (non pas deux sources de la révélation, mais une seule ; unification de l’Ecriture, de la Tradition et du Magistère ; inversion de la source lointaine et de la source prochaine de la foi) ? La suite manquée des deux conciles précédents ne trouve pas sa qualification adéquate dans le sens bienveillant qu’Amerio donnait à l’amphibologie : il s’agit simplement d’un retournement.
La difficulté que soulèvent certains textes comme Dignitatis humanae peut-elle être réduite au concept d’amphibologie ? Ou bien la critique doit-elle être plus drastique ?
A la lumière de ce que j’ai dit plus haut, une seule réponse peut être faite : le texte ne se situe pas dans le prolongement homogène de l’enseignement traditionnel.
Des efforts récents de clarification sont manifestes. Suscitent-ils en vous une espérance réelle ?
Certainement. Mais je ne vois pas l’heure où une telle espérance se réalisera.
Dans le même temps, une certaine conception de la pluralité (théologique, Liturgique…) dans l’Eglise paraît s’affirmer. En a‑t-on mesuré les postulats (par exemple, le privilège donné à la pacification des situations conflictuelles) et les conséquences possibles ? Ne pourrait-on craindre, pour reprendre des formules d’un certain dialogue œcuménique, un « consensus différencié » conduisant à une « diversité réconciliée » au sein de l’Eglise catholique elle-même ?
Je commencerai par un prudent « in insipientia dico » – je parle en insensé (2 Co 11, 21) – car je n’ai aucun titre pour m’exprimer en donneur de leçons sur ce sujet. Les formules que vous rappelez ici et qui tournent et retournent ont toutes un péché d’origine : dans la mesure où il y a une « différence », il n’y a pas de consensus. Si l’on devait concentrer son attention sur le « consensus différencié », les positions resteraient réciproquement en opposition. Et de même à l’inverse, s’il y a une « réconciliation », il n’y a plus de diversité. Je dis cela parce que je suis habitué non à la danse des mots mais à leur signification originelle et à la clarté des positions. Et si l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique (on ajoutait également autrefois, romaine) s’adonnait à cette danse des mots, elle cesserait alors inévitablement d’être le « fundamentum veritatis et unitatis ».
Les publications de Mgr Brunero Gherardini, ainsi que de celle de l’historien Roberto de Mattei, ont soulevé de vifs débats en Italie. On peut notamment accéder à de nombreux articles autour de la question de l’interprétation du concile Vatican II sur le site [1] du vaticaniste Sandro Magister, avec de nombreuses traductions, et également, mais en italien seulement, sur son blog [2] personnel.