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Lec­ture : Un labo­ra­toire de gou­ver­nance glo­bale ?

Leslie Jean-Robert Péan, éco­no­miste de for­ma­tion, a entre­pris une monu­men­tale his­toire contem­po­raine d’Haïti, pour le moment encore inache­vée. Avec le tome IV, der­nier paru (2007), il nous livre quelques clés utiles à la com­pré­hen­sion des méca­nismes de géné­ra­tion et d’entretien du sous-déve­lop­pe­ment, de la dépen­dance et la pau­vre­té. Natif d’Haïti, pra­ti­cien des ONG, il explore sans com­plai­sance les res­pon­sa­bi­li­tés et les motifs des acteurs inté­rieurs et exté­rieurs de ce qu’il com­pare à « un inté­res­sant labo­ra­toire pour remon­ter les filières natio­nales et inter­na­tio­nales du chaos qui menace l’humanité » (p. 621).
On pas­se­ra sur quelques appré­cia­tions, disons… naïves, à pro­pos par exemple de l’Eglise (« Avec les auto­da­fés et les tor­tures, l’Eglise est bien repré­sen­tée au pal­ma­rès de l’épouvante », p. 71) ou dans la réfé­rence aux vieux repères gauche-droite (qua­li­fier cer­taines éma­na­tions de l’hyperclasse mon­diale d’« extrême droite » est un peu léger). Cepen­dant, si cer­taines pré­gnances cultu­relles empêchent sou­vent l’auteur de tirer plus encore de ses propres constats, il n’en reste pas moins qu’il mani­feste à la fois hon­nê­te­té et luci­di­té dans l’identification des res­pon­sables et sur les par­tages de res­pon­sa­bi­li­tés dans l’état de fait haï­tien. Une très grande abon­dance d’éléments détaillés étaye éga­le­ment la démons­tra­tion et pré­vient la méfiance que les déve­lop­pe­ments accu­sa­toires sus­citent par­fois chez le lec­teur.
L’économie inter­na­tio­nale et son cor­tège de cor­rup­tion a engen­dré un homme nou­veau, dont John Per­kins dresse le modèle, l’economic hit man, le tueur à gages éco­no­mique (ou assas­sin finan­cier dans la tra­duc­tion fran­çaise de son ouvrage majeur). La réfé­rence, tôt venue dans l’ouvrage, au repen­ti amé­ri­cain n’est pas inno­cente. Toute la démons­tra­tion de Péan consiste à mettre en évi­dence à quel point la quête du gain peut être des­truc­trice non seule­ment du tra­vail, des métiers, de l’entreprise et des tis­sus éco­no­miques natu­rels, mais aus­si de l’initiative et des consciences, et pro­duire des dés­équi­libres majeurs per­met­tant des concen­tra­tions finan­cières arti­fi­cielles sans limites, donc in fine des concen­tra­tions de pou­voir réel impos­sibles à contre­ba­lan­cer. Et la cor­rup­tion, à laquelle rien dans notre uni­vers ne peut échap­per en ver­tu de sa seule nature, appa­raît rapi­de­ment comme le cœur des sys­tèmes de domi­na­tion. […]