Revue de réflexion politique et religieuse.

Crise des voca­tions : essai de diag­nos­tic

Article publié le 5 Juil 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Quant on voit par ailleurs com­ment, dans le minis­tère effec­tif, le prêtre est pla­cé devant l’alternative soit de s’imposer auto­ri­tai­re­ment (si, par chance, il n’est pas désa­voué d’emblée par ses confrères et par son évêque) soit de céder dans les moindres détails à des pas­to­rales débi­li­tantes qui ne s’attribuent ce titre de pas­to­rales que pour cou­vrir la défec­tion des pas­teurs ou leur dis­qua­li­fi­ca­tion ter­ro­riste, il est même sur­pre­nant que les can­di­da­tures à la prê­trise n’aient pas tota­le­ment dis­pa­ru. Com­ment, en effet, ne pas être cho­qué devant le fos­sé qui existe entre ce qu’est cen­sé être le sacer­doce et les images agréa­ble­ment pro­fa­na­trices qui font du prêtre un ani­ma­teur, un amu­seur public, un psy­cho­logue, un assis­tant social, un pré­sen­ta­teur de jeux (télé­vi­sés, comme il se doit), et plus géné­ra­le­ment un homme-orchestre char­gé de gérer les fonds de la paroisse, de dis­tri­buer des car­nets de chants, de recueillir les desi­de­ra­ta lit­té­raires et musi­caux d’une clien­tèle d’occasion, d’installer la sono­ri­sa­tion dans cha­cune des quinze ou trente églises qu’il doit des­ser­vir à tour de rôle pour des assem­blées de quelques fidèles majo­ri­tai­re­ment âgés de plus de soixante-cinq ans, un bénis­seur de mariages pour des couples qui n’ont aucune vie sacra­men­telle et dont un tiers au moins aura divor­cé avant quinze ans, d’enterrements de morts qu’il n’a jamais vus et dont il ne ver­ra plus la famille, de bap­ti­seur d’enfants dont les parents s’occupent d’éducation chré­tienne comme d’une guigne, de caté­chiste de com­mu­niants qu’on ne ver­ra plus à l’église dès le dimanche dans l’octave de la com­mu­nion solen­nelle alias pro­fes­sion de foi ? Et l’on vou­drait qu’un tel spec­tacle ne décou­rage pas a prio­ri ceux qui ont com­men­cé à soup­çon­ner que le sacer­doce n’a rien à voir avec cette comé­die socio-reli­gieuse, qu’il est « l’amour du cœur de Jésus » comme l’ont com­pris les grands mys­tiques.
Res­pec­ter le prêtre, ce serait recon­naître en lui l’appel et l’exigence de cet amour, ce serait, plus que le res­pec­ter, l’aimer, et non pour ses qua­li­tés humaines, mais pour cette pré­sence du Christ qui attire tout pour tout conduire au Père. Mal­heu­reu­se­ment, on peut dire du prêtre qu’il n’a guère d’autre choix que celui de mani­fes­ter la sain­te­té du don qu’il a reçu ou d’être une nul­li­té sous toutes formes pos­sibles : l’inverti qui s’en prend aux enfants à lui confiés et pro­fane leur inno­cence, l’intellectuel vani­teux remueur d’abstractions, le fonc­tion­naire de la reli­gion, l’ignorant qui se dis­pense de tout effort et qui, comme dit Péguy, n’étant pas de la nature s’imagine qu’il est de la grâce (ou ce qu’il en reste dans tant de théo­lo­gies de for­tune), le psy­cho­ri­gide auto­ri­taire, le mon­dain com­pro­mis, le com­plice des puis­sants et des athées, etc. Le Ciel a pris la peine de nous aver­tir de la médio­cri­té, voire la tra­hi­son, d’un cler­gé indigne, par des appa­ri­tions sur­na­tu­relles dont le cler­gé en ques­tion n’a jamais eu inté­rêt à dif­fu­ser le mes­sage. L’effet du scan­dale ne sau­rait être mini­mi­sé dans une désaf­fec­tion dont a souf­fert, et souffre encore, l’état sacer­do­tal. En revanche, il n’existe pas d’état de vie qui, comme le sacer­doce ou la vie consa­crée, ait sus­ci­té autant de figures admi­rables et qui ont fait école. Depuis que l’on n’ose plus dire qu’un prêtre est là pour nous mon­trer le che­min du Ciel, pour nous pré­pa­rer dès cette vie au bon­heur qui nous y attend, pour être notre média­teur en Jésus et avec Jésus, depuis qu’on ne veut plus voir en lui le père dont la douce et forte auto­ri­té nous arrête sur le che­min de la médio­cri­té et nous sou­tient sur celui du dépas­se­ment de nous-mêmes, c’est ce tor­rent d’amour puri­fi­ca­teur et trans­for­ma­teur du cœur de Jésus qui est empê­ché de se déver­ser dans les cœurs humains, c’est l’unique rai­son d’être du sacer­doce qui se perd. Et les prêtres ne se sentent plus pères, ni méde­cins des âmes. Ils croient être incom­pé­tents par rap­port aux pra­ti­ciens, pro­fes­seurs, experts. Ils ne voient plus à quoi ils servent. Ou bien ils risquent de s’engager dans une rési­gna­tion d’allure faus­se­ment mys­tique, n’affirmant pas leur droit d’être écou­tés et sui­vis, man­quant à secouer la pous­sière de leurs san­dales là où l’on ne les reçoit pas, ou encore tolé­rant tant de situa­tions fausses où, sous pré­texte que Jésus est venu pour les pécheurs, on oublie d’ajouter que c’est pour les libé­rer du péché, et que la femme péche­resse a ces­sé de l’être du jour où elle a ren­con­tré son Sau­veur. Si un prêtre ne confesse pas, s’il ne dis­tri­bue pas le Corps du Christ de sa propre main, s’il ne contacte pas direc­te­ment les enfants, les pauvres, les malades, les pri­son­niers, ce sont d’immenses réserves de ten­dresse, de conso­la­tion, de récon­fort, de gué­ri­son et, pour tout dire, de misé­ri­corde qui devraient pas­ser par ses mains qui sont per­dues. Et puisque le prêtre n’est plus suf­fi­sam­ment ce père riche des biens du Père, son image n’est plus atti­rante : elle ne veut plus rien dire, et ne sus­cite donc plus l’éveil de la voca­tion dans le cœur des enfants et des jeunes.
Ces enfants et ces jeunes sont eux-mêmes de plus en plus pri­vés des tré­sors spi­ri­tuels qui ne se trouvent que dans la famille, et d’abord la famille nom­breuse, par la grâce du sacre­ment de mariage vrai­ment vécu. La famille est le milieu d’éclosion natu­rel d’une âme sacer­do­tale, la famille chré­tienne, celle qui vit la grâce de la Sainte Famille. Pour que les voca­tions sacer­do­tales éclosent nom­breuses, il faut beau­coup de ces saintes familles qui ini­tient de manière pro­fonde et indi­cible aux secrets du Cœur sacer­do­tal du Christ par le Cœur Imma­cu­lé de Marie, sous la garde de saint Joseph. Ces consi­dé­ra­tions nous éloignent, certes, d’une savante socio­lo­gie, et pour­ront sem­bler ridi­cu­le­ment pié­tistes et quelque peu naïves. Elles relèvent sim­ple­ment de la vie théo­lo­gale, de la Com­mu­nion des saints, de tous les dogmes essen­tiels d’une foi qui est vie et ne connaît d’autre réa­li­té que l’amour.
Le fond de la crise du sacer­doce n’est donc pas à cher­cher du côté de la crise de civi­li­sa­tion — ce serait prendre l’effet pour la cause, car la chré­tien­té s’est effon­drée sous les coups de bou­toir d’une apos­ta­sie qui s’est atta­quée aux croyants et au cler­gé de l’intérieur et non sous la per­sé­cu­tion d’un gou­ver­ne­ment et d’une Chambre anti­clé­ri­caux, per­sé­cu­tion qui nor­ma­le­ment ne pou­vait que pro­vo­quer l’impulsion pour la recons­ti­tuer valeu­reu­se­ment — mais bien dans la conscience croyante elle-même, et plus spé­ci­fi­que­ment dans celle du cler­gé : conscience qu’il est à pro­pos de carac­té­ri­ser comme conscience mal­heu­reuse et comme mau­vaise conscience. Les odieuses accu­sa­tions des impos­teurs révo­lu­tion­naires de la Répu­blique maçon­nique et ban­quière, la tac­tique d’usure et d’intoxication de la cri­tique mar­xiste relayée par le bour­rage de crâne léni­niste, trots­kiste et maoïste, le tra­vail de sape des phi­lo­sophes exis­ten­tia­listes athées, des struc­tu­ra­listes anti-méta­phy­si­ciens, tout cela a fait son che­min et le prêtre a dû déployer des forces sur­hu­maines pour ne pas s’éprouver lui-même comme une sur­vi­vance risible et pitoyable de temps d’obscurantisme et d’oppression. Il s’est inter­ro­gé sur son iden­ti­té. Une réponse s’est pré­sen­tée, lumi­neuse et enthou­sias­mante, celle du frère uni­ver­sel et du levain dans la pâte. Mais cette réponse a trop sou­vent man­qué d’enracinement dog­ma­tique et spi­ri­tuel et, sans doute, de réa­lisme à la fois spi­ri­tuel et intel­lec­tuel, et sur­tout elle s’est pro­po­sée bien vai­ne­ment en rejet d’un pas­sé jugé péri­mé. On en est venu à trai­ter avec désin­vol­ture le « cultuel », qui n’était plus qu’un concept anthro­po­lo­gique étri­qué, oubliant que le « culte en esprit et en véri­té » est la seule chose qui importe, et que les rites, comme expres­sion de ce culte unique, ne sont si impor­tants que parce qu’ils nous pro­tègent contre l’inhumanité de la vio­lence, la tyran­nie des théo­ries et la bar­ba­rie des sys­tèmes poli­tiques. Les prêtres n’ont même pas tou­jours évi­té de pas­sa­ble­ment ver­ser dans la tyran­nie et la bar­ba­rie, lais­sant imper­cep­ti­ble­ment la voie libre à toutes sortes de vul­ga­ri­té, de cette vul­ga­ri­té d’âme qui vio­lente les consciences, embri­gade à coups de mots d’ordre et d’un jar­gon arro­gant, s’acoquine avec les voyous qui réus­sissent, pié­tine les fleurs du jar­din clos du Sei­gneur (hor­tus conclu­sus) et ne com­prend rien à ce qui est beau.
C’était bien joli de vou­loir dépous­sié­rer le « cultuel », mais après ? A quoi bon une « action catho­lique » qui dis­cute et n’agit pas si ce n’est en des « actions » de grève, qui n’est catho­lique ni en doc­trine ni en uni­ver­sa­li­té, qui ne refait plus chré­tien nos frères et désaf­fecte de manière consciente et orga­ni­sée les paroisses qui, après tout, jusqu’à preuve du contraire, sont l’Eglise locale, l’Assemblée sainte réunie de tous les lieux et milieux, la Jéru­sa­lem en fête, épouse parée pour son Epoux, offrant le Sacri­fice « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Mais après être par­tis pour la gloire à plu­sieurs reprises, après s’être obs­ti­nés dans l’exclusion sec­taire de tout ce qui ne pen­sait pas droit (ou plu­tôt de tra­vers), il a fal­lu finir par déchan­ter. Sans revoir sa copie, sans recon­si­dé­rer les choses, sans même trier ce qu’il pou­vait y avoir dans de beaux rêves de pro­met­teur et d’évangélique et ce qui était uto­pie et men­songe, on s’est replié sans l’avouer, mais pra­ti­que­ment, sur le cultuel tant hon­ni, mais réduit à sa plus élé­men­taire expres­sion, en épui­sant les maigres forces sacer­do­tales res­tantes dans des restruc­tu­ra­tions toutes aus­si impuis­santes les unes que les autres à réfor­mer en pro­fon­deur le minis­tère sacer­do­tal et l’organisme dio­cé­sain et parois­sial, impuis­santes, tel l’emplâtre sur la béquille, à assai­nir une situa­tion aus­si inadap­tée qu’inadaptable. La cause du mal n’étant pas vrai­ment iden­ti­fiée, on soigne des symp­tômes à perte de vue, on se console avec des cache-misère qui ont nom : béné­vo­lat, mili­tance, for­ma­tions caté­ché­tiques, équipes litur­giques, que sais-je encore… Non que tous ces dévoue­ments, quand ils sont plus des dévoue­ments réels que des acca­pa­re­ments de lam­beaux de pou­voir, n’aient leur néces­si­té vitale dans les temps sinis­trés qui sont les nôtres, mais parce qu’on ne voit déci­dé­ment pas un recen­trage de la vie ecclé­siale sur le sacer­doce comme tel, dans sa dimen­sion mys­tique et ses impli­ca­tions concrètes en matière de doc­trine, de cha­ri­té et de vie sacra­men­telle, parce que l’on ne pré­pare pas l’avenir sur la pro­messe du Sei­gneur mais que l’on se résigne à des rafis­to­lages qui n’encouragent pas les pares­seux et dégoûtent les cou­ra­geux.
Il faut aus­si oser dénon­cer l’abandon de l’enfance et de la jeu­nesse aux griffes d’un Etat inca­pable de les pro­té­ger contre la mas­si­fi­ca­tion, la délin­quance, l’inculture, contre la débauche encou­ra­gée aux frais du contri­buable (je pense par exemple à ces cam­pagnes pour le « pré­ser­va­tif » et autres déver­gon­dages qui sont la honte de gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs avec la com­plai­sance envers l’avortement et la fai­blesse indigne face à la mon­tée de la por­no­gra­phie et de la toxi­co­ma­nie). Il était, il est du devoir des prêtres et des évêques de s’insurger et de faire s’insurger les laïcs contre des plaies aus­si hon­teuses et aus­si mor­telles ; mais en même temps d’encourager les familles à prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés et à s’unir pour fon­der des ins­ti­tuts d’éducation vrai­ment libres et de haut niveau, des œuvres sani­taires et sociales, des uni­ver­si­tés, des entre­prises modèles, toutes ini­tia­tives qui ne contri­bue­raient pas peu à rele­ver la France mal­heu­reuse et les autres nations chré­tiennes qui gémissent en escla­vage spi­ri­tuel, moral, cultu­rel et même éco­no­mique (pour ne pas dire poli­tique). Si cette insur­rec­tion, paci­fique mais vigou­reuse et réflé­chie, ne vient pas des chré­tiens éclai­rés et sou­te­nus par leurs pas­teurs, il ne fau­dra pas s’étonner de voir une par­tie de la jeu­nesse, dégoû­tée de tant de veu­le­rie et d’hypocrite tolé­rance, céder au chant des sirènes tota­li­taires et confondre le culte de la force avec le sens de l’honneur. La mon­tée de vio­lences encore inédites sera le prix dont il fau­dra bien­tôt payer notre mol­lesse ins­ti­tuée si l’Amour ne sai­sit pas les cœurs, cet Amour dont les prêtres sont les tré­so­riers et les dis­pen­sa­teurs.
A la crise des voca­tions il n’est donc qu’une solu­tion envi­sa­geable : le res­sour­ce­ment dans l’essentiel, dans le Cœur sacer­do­tal du Christ pas­sion­né­ment aimé et choi­si, par l’inspiration mariale d’une Eglise qui sau­ra mater­nel­le­ment enfan­ter et for­mer les magni­fiques voca­tions dont, à n’en pas dou­ter, la Tri­ni­té nous fera bien vite cadeau si nous osons tout fon­der sur le Christ : « Omnia ins­tau­rare in Chris­to ».

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