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Lec­ture : Le com­mu­nau­ta­risme serait-il anti­li­bé­ral ?

Il est à parier que la réflexion sur « la com­mu­nau­té » n’en a pas fini de faire cou­ler de l’encre et de la salive. Dans un livre récent, Fran­çois Hugue­nin pré­sente une bonne intro­duc­tion à l’ensemble des cou­rants intel­lec­tuels nord-amé­ri­cains qui ont réflé­chi sur la « com­mu­nau­té ». La « colo­ra­tion amé­ri­caine » de l’ouvrage, selon l’auteur lui-même, s’explique par le fait que les Amé­ri­cains seraient les seuls à pro­po­ser « une pen­sée digne de ce nom ». Et c’est bien une immer­sion com­plète dans ce cor­pus made in USA à laquelle nous sommes conduits, page après page. La pen­sée de John Rawls consti­tue le point de départ de l’étude, puisqu’elle a cris­tal­li­sé les cri­tiques, et engen­dré un bouillon­ne­ment intel­lec­tuel dans lequel émer­gea une nou­velle manière de conce­voir la poli­tique. Viennent ensuite l’exposé de la pen­sée com­mu­nau­ta­rienne, l’impact de l’historiographie répu­bli­caine et le mou­ve­ment théo­lo­gique gra­vi­tant autour de Radi­cal Orto­doxy. Le der­nier cha­pitre essaie de syn­thé­ti­ser la réflexion nou­velle sur la poli­tique, à par­tir de quelques thèmes majeurs comme la liber­té ou le bien com­mun. Si l’auteur ne cache pas sa sym­pa­thie, voire par­fois son « admi­ra­tion » pour les pen­seurs de la com­mu­nau­té, l’esprit géné­ral reste celui d’un vaste pano­ra­ma détaillé, qui tente d’expliciter les idées-forces et les variantes de cet ensemble com­po­site. Il ouvre des pistes de réflexion, pré­sente les sujets en débat aujourd’hui, et avance quelques opi­nions nuan­cées.
La syn­thèse de la mou­vance com­mu­nau­ta­rienne née de l’opposition à Rawls a l’avantage d’être large, et F. Hugue­nin apporte bien des pré­ci­sions néces­saires pour appré­hen­der les dif­fé­rences entre des auteurs réunis trop faci­le­ment dans une même caté­go­rie, par le seul fait d’une ten­dance com­mune à pro­mou­voir la dimen­sion col­lec­tive de l’individu. La rup­ture avec le libé­ra­lisme est inexis­tante chez cer­tains (Wal­zer, Tay­lor…), tan­dis qu’elle serait plus nette chez d’autres (MacIn­tyre). La ques­tion fait débat, mais l’exposition des diverses théo­ries fait tel­le­ment res­sor­tir l’influence du libé­ra­lisme et du rela­ti­visme com­mu­nau­taire, qu’on en arrive très rapi­de­ment à s’interroger sur le bien-fon­dé du titre du livre. Même au sujet de MacIn­tyre, a prio­ri le plus éloi­gné de la moder­ni­té, il est dif­fi­cile de savoir à quel pas­sage de l’ouvrage se fier. Ain­si, il rejet­te­rait l’avortement au nom de la loi natu­relle (p. 203). Quelques pages plus loin (p. 212), F. Hugue­nin affirme que l’analyse de MacIn­tyre pose « la ques­tion de la spé­ci­fi­ci­té du telos de chaque com­mu­nau­té et de la pos­si­bi­li­té d’une concep­tion uni­ver­selle du bien ». Puis, on apprend que Mil­bank ne trouve pas MacIn­tyre « suf­fi­sam­ment rela­ti­viste ou his­to­ri­ciste » (p. 215), ce qui laisse entendre qu’il l’est au moins un peu. […]