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L’écologie et le bien com­mun

La pen­sée moderne a sub­sti­tué la notion d’intérêt géné­ral au concept clas­sique de bien com­mun. Clas­si­que­ment, « le bien de tout l’u­ni­vers est celui que consi­dère Dieu, son créa­teur et gou­ver­neur ; aus­si tout ce que Dieu veut, il le veut sous la rai­son du bien com­mun, qui est sa bon­té, laquelle est le bien de tout l’u­ni­vers ». Ain­si, le bien com­mun est onto­lo­gi­que­ment fon­dé sur l’ordre natu­rel des choses : puisque cet ordre a été vou­lu par Dieu « sous la rai­son du bien com­mun qui est sa bon­té », tout ce qui y est conforme est néces­sai­re­ment conforme au bien com­mun.
De cette concep­tion découle le carac­tère néces­sai­re­ment « éco­lo­gique » de la loi et du droit. Dis­tin­guée de l’idéologie poli­tique qu’est l’écologisme, l’écologie est la science des « mutuelles rela­tions de tous les orga­nismes vivants ». En tant que science, l’écologie per­met d’accéder à une cer­taine connais­sance de l’ordre natu­rel des choses en obser­vant l’équilibre qui existe entre les dif­fé­rentes créa­tures confor­mé­ment à leur nature. Or, pour les phi­lo­sophes clas­siques, la loi est une « ordon­nance de rai­son en vue du bien com­mun,  pro­mul­guée par celui qui a la charge de la com­mu­nau­té ». Par consé­quent, puisque le bien com­mun cor­res­pond à l’ordre natu­rel et que la loi cor­res­pond au bien com­mun, la loi prend néces­sai­re­ment en compte les contraintes éco­lo­giques.
De la même manière, un droit pro­pre­ment dit ne sau­rait être contraire aux don­nées de l’é­co­lo­gie : « Le droit ou le juste se disent d’une oeuvre quel­conque ajus­tée à autrui sous un cer­tain mode d’é­ga­li­té ». Or, cet ajus­te­ment se fait non seule­ment par rap­port au titu­laire du droit et à son débi­teur, mais aus­si par rap­port à la nature de la chose qui est l’objet du droit. Ain­si, depuis l’Antiquité gré­co-romaine, le régime juri­dique des biens dépend de leurs carac­té­ris­tiques phy­siques : le droit des biens dis­tingue selon qu’elles sont phy­si­que­ment appro­priables ou non (les fleuves ou la mer), qu’elles sont sous la domi­na­tion d’un pro­prié­taire ou non (les ani­maux domes­tiques ou les ani­maux sau­vages), qu’elles sont consomp­tibles ou non, mobiles ou immo­biles, cor­po­relles ou incor­po­relles, etc.
Les phi­lo­sophes modernes, au contraire, ont déta­ché l’intérêt géné­ral de l’ordre cos­mique : l’intérêt géné­ral est ce que la rai­son indi­vi­duelle éta­blit comme tel à par­tir de rai­son­ne­ments abs­traits déri­vés de prin­cipes sup­po­sés incon­tes­tables. Ain­si, l’intérêt géné­ral n’a pas à être conforme à la nature des choses : il lui suf­fit d’être éta­bli en tant que tel par la rai­son.
Du fait du déve­lop­pe­ment des théo­ries contrac­tua­listes, l’intérêt géné­ral est confon­du avec la volon­té géné­rale : en fai­sant usage de leur rai­son, les indi­vi­dus par­vien­draient néces­sai­re­ment à l’intérêt public. Par consé­quent, en tant qu’expression de la volon­té géné­rale, la loi coïn­ci­de­rait néces­sai­re­ment avec celui-ci : « J’appelle donc Répu­blique tout Etat régi par des lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors seule­ment l’intérêt public gou­verne, et la chose publique est quelque chose ».
La loi et le droit moderne ne sont donc plus reliés à la nature des choses comme le sont la loi et le droit clas­siques Ils n’intègrent pas néces­sai­re­ment les contraintes éco­lo­giques : au nom d’un inté­rêt géné­ral éta­bli abs­trai­te­ment, ils peuvent auto­ri­ser ou même encou­ra­ger la sur­ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles, la pol­lu­tion de l’air et des eaux, etc. Même contraire aux don­nées de la science éco­lo­gique, la loi moderne, expres­sion de la volon­té géné­rale, est sup­po­sée ser­vir l’intérêt géné­ral.